Écrire une utopie citoyenne

La thématique de l’utopie, résolument à la mode ces temps-ci, permet aux élèves de s’essayer à l’imitation d’un texte frère tout en mobilisant des compétences citoyennes, au service de valeurs servant le mieux-vivre ensemble.

L’imitation d’un texte source à visée informative est un objectif suggéré (mais non explicitement prévu) par le programme du 2e degré de l’enseignement secondaire général, fiche 2 (« Dans une situation-problème significative, réécrire pour un tiers ou pour soi-même un texte source (oral, écrit ou visuel), en vue de le raccourcir, d’en rendre compte, de le développer, de l’imiter » ; fiche assez fourre-tout, dont on peine à saisir le sens directeur1). 

Selon le programme, imiter revient à parodier ou à pasticher. Il s’agira ici pour l’élève de pasticher une façon d’écrire, mais sans intention parodique, plutôt pour s’adonner à une forme d’exercice de style, afin notamment d’enrichir son répertoire lexical et syntaxique.

Voici le début du texte source dont je propose à l’élève de s’inspirer :

C’est en 2019 que la Ville de Hersaing a décidé de bannir progressivement la voiture de son territoire. Un plan sur dix ans a été adopté, qui prévoyait différentes étapes, mais aucune mesure d’interdiction, pour réaffecter l’espace public à d’autres fonctions que la circulation et le stationnement des voitures. C’est le maintien permanent de cet objectif qui fut à la base de la réussite du projet et des effets positifs considérables, et désormais largement connus, qu’il entraina pour l’ensemble des habitants de la ville.

Là où d’autres municipalités misaient massivement sur la voiture électrique et dépensaient de grandes quantités d’argent public pour installer partout des bornes de recharge et des emplacements réservés à ces véhicules « verts », à Hersaing, il fut clair d’emblée que le remplacement du parc de véhicules thermiques par des véhicules électriques ne résoudrait que très partiellement les problèmes posés par la présence de la voiture dans la ville, tout en ayant un cout considérable. C’est aussi au nom de ce principe que l’arrivée des taxis sans chauffeurs — qui remplacèrent, comme on le sait, la voiture individuelle aux alentours des années 2030 — ne suscita pas à Hersaing le même enthousiasme que dans d’autres villes.

Il n’est pas inutile, avant de poursuivre le récit, d’expliquer la manière dont le plan fut adopté.

(François Schreuer, in La Revue nouvelle, octobre 20162)

L’originalité de ce texte est qu’il participe de deux registres rarement combinés, à ma connaissance : l’utopie et le reportage journalistique. Souvent dystopique, le roman d’anticipation donne à voir une société inquiétante, où la liberté humaine est niée par un système totalitaire (Le meilleure des monde, d’Adous Huxley, ou 1984, de Georges Orwell, ou encore, le moins connu mais non moins génial et surtout beaucoup plus drôle, La Guerre des salamandres de Karel Capek, 1936.

J’ajoute, pour clore cette longue parenthèse, que l’un des pionniers du genre est un certain Eugène Zamiatine, soviétique exilé d’URSS en 1931, auteur en 1920 de Nous autres). Ici, on s’éloigne doublement de ce genre : le type est explicatif avant d’être narratif (on ne s’attarde pas sur des personnages que l’on suit ; seul l’exposé de faits collectifs importe) et le genre est résolument utopique 3, dans la mesure où l’auteur défend un type de société dans lequel il croit sincèrement.

Un monde meilleur

Dans la lignée de films comme Demain ou encore Qu’est-ce qu’on attend, l’article, paru dans la Revue nouvelle, publication belge qui passe au crible d’une critique rationnelle notre société de consommation, imagine une ville de 75000 habitants (Liège en compte 200000) qui met en place plusieurs démarches réalistes pour se débarrasser de ses voitures. 

Quatre exemples de démarches : 

  • installer des minipéages disséminés dans la ville pour faire en sorte que le conducteur prenne conscience du cout global réel de l’emploi de son automobile ; 
  • aménager dans un premier temps des dessertes locales sur la plus grande partie du territoire urbain, où l’on ne pénètre que muni d’une autorisation et où la vitesse est limitée à 20km à l’heure ; 
  • supprimer les emplacements de stationnement présents en voirie ; 
  • relier le centre à l’hôpital au moyen d’un téléphérique.

Progressivement, les citadins découvrent une ville nouvelle, apaisée, respirable, propre, et en réinvestissent les rues et multiples espaces auparavant occupés exclusivement par les voitures. A tel point que la ville accueille de nouveaux citoyens et passe en 2038 à 100.000 habitants. 

Un style oscillant entre le narratif et l’explicatif

A priori, le type de ce texte est résolument explicatif : ce texte est suscité par la volonté de rendre compte de faits sociaux et de la façon dont ces faits ont façonné une ville ; l’auteur s’efface et met en place un dispositif langagier censé assurer une présentation objective d’évènements dont la succession explique un certain état d’un milieu social. Mais cette explication consiste précisément dans cette succession d’évènements ponctuels, exprimés fort logiquement par des passés simples, temps privilégié du récit.

Si l’auteur, comme un bon journaliste, demeure externe à l’action, il ne se prive pas pour autant d’ordonner les faits, de structurer et de modaliser leur présentation. 

Il ordonne au moyen d’indications de temps (vous relèverez dans ce texte de nombreuses expressions qui situent les évènements sur une ligne du temps ou les uns par rapport aux autres, comme « au bout de cinq ans à peine », «désormais», « quelques années plus tard », « d’année en année », « jusque-là », « c’est dès l’année 2021 que », « deux ans plus tôt »…). Il structure le récit pour regrouper des faits analogues, à l’aide notamment des expressions suivantes : « « La stratégie (…) reposa sur trois éléments : Le premier d’entre eux consistait à (…). La deuxième idée (…). La troisième idée clé du plan (…). » 

Enfin , il modalise son récit, c’est-à-dire qu’il laisse explicitement paraitre des traces de sa réflexion concernant les faits qu’il est amené à présenter : « Il n’est pas inutile, avant de poursuivre le récit, d’expliquer la manière dont le plan fut abordé. » ; « Paradoxalement, un des éléments du plan… » ; « La leçon avait enfin été tirée de la très injuste mesure qui… » ; « l’amélioration très substantielle des services de transport en commun (…) eut un effet d’entrainement prodigieux » ; « En 2028, un dispositif assez original de logistique urbaine fut mis en place. »

Laissons les élèves imaginer leur ville

C’est en 2019 que la ville de Liège a décidé de bannir progressivement la voiture de son territoire.

Aux élèves de poursuivre… 

Peut-être faudrait-il commencer par un remue-méninges au cours duquel seraient évoquées les solutions possibles pour améliorer radicalement la vie à Liège en commençant par l’élimination de la voiture personnelle. 

Et l’on enverrait les meilleurs textes aux édiles de la ville…

Pierre-Yves DUCHATEAU

ASBL « Urbagora » : Des idées pour la ville
Source :
http://urbagora.be



***
A la suite, nous vous conseillons les ressources suivantes :

in Lectures.Cultures, janvier-février 2018, n° 6


Aymeric CARON, « Utopia XXI » 500 ans après la naissance de l'utopie, le projet d'une nouvelle société

Ceci n'est pas un livre. C'est un voyage au centre d'une terre nouvelle, ce sont des pas sur une route à inventer, c'est un rêve pour affronter la réalité.

https://editions.flammarion.co...

À partir d'une étude sur la critique de Thomas More envers le système politique en place dans «Utopia», le journaliste établit sa vision de l'utopie et explique en quoi il s'agirait de la solution aux problèmes politiques de l'époque contemporaine.4


Voir également la compétence 10.4 du programme d’ « Education à la philosophie et à la citoyenneté » du 1er degré du SEGEC.

http://www.enseignement.be/ind...



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1 Cette fiche comporte à la fois des objectifs fonctionnel (rendre compte d’un texte source) et littéraires (pasticher un texte source, écrire une nouvelle à partir d’un fait divers) ; elle me parait hétérogène au niveau des genres et des types (pas de dominante claire).

2 Le texte intégral est consultable à cette adresse : http://www.schreuer.org/interv...

3 Dans le langage courant, utopique signifie impossible. Pourtant, les créateurs de ce genre, qui remonte au XVIe siècle, envisageaient plutôt de critiquer leur société en lui substituant une organisation qu’ils jugeaient idéale.

4 https://livre.fnac.com/a102884...

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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