Faire jouer une saynète par des élèves en classe est une activité menée fréquemment. Si elle peut rendre compte de nombreux apprentissages, il s’en faut parfois de peu qu’elle ne tourne au fiasco. Voici quelques conseils pour éviter certains écueils encourus.
Introduction
La mise en voix de saynètes, généralement issues du théâtre classique, est l’un des musts des activités des professeurs de français. Considérée comme l’aboutissement d’une séquence sur le théâtre, elle en constitue souvent la tâche finale.
Cependant, la qualité des interprétations des élèves est fonction de leurs capacités à l’oral (en principe travaillées durant la séquence), de leur mémorisation du texte, de leur maitrise du corps, de leur présence scénique, etc. Plus largement, le résultat final dépendra également de la mise en scène prévue ainsi que de nombreuses contingences matérielles et pratiques : salle ad hoc à disposition (ou non), présence de décors, de costumes, d’accessoires…
Pour toutes ces raisons, l’activité proposée ici est davantage conçue comme une activité fonctionnelle, située en début de séquence, que comme une finalité. Elle vise ainsi une découverte active et pratique du genre théâtral.
Ce dispositif a été mené de manière expérimentale avec deux classes de première année en S3 français à HELMo Sainte-Croix, les étudiants s’étant bien volontiers pliés au jeu de l’isomorphisme.
L’analyse didactique des activités présentées ci-dessous a d’ailleurs bénéficié de leurs retours constructifs, et de leurs suggestions d’adaptation à un public cible de l’enseignement secondaire.
Dire une scène de théâtre : mise en pratique et retours didactiques
PLAN DU DISPOSITIF
- AVANT :
1) Lecture de la pièce
2) Choix des scènes à interpréter
- PENDANT :
3) Exercices d’échauffement issus des pratiques d’ateliers-théâtre
4) Préparation en petits groupes de l’interprétation de la scène
5) Oralisation et mise en scène devant la classe
- APRÈS:
6) Structuration des apprentissages nécessaires mis en évidence par l’activité
1) Lecture d’une pièce : proposer un choix parmi les recueils de La scène aux ados
Nous vous avons déjà vanté les mérites des recueils promus par La scène aux ados, édités tous les deux ans chez Lansman1. Chaque volume regroupe une dizaine de pièces de moins d’une heure, jouables par des groupes d’adolescents (une douzaine et plus)2. Les thématiques traitées y sont très variées, allant du pastiche de conte à la dystopie, en passant par des préoccupations partagées par les jeunes (telles que le dérèglement climatique, la surconsommation, les conflits relationnels, etc.).
En classe, le professeur propose une sélection de pièces et constitue des groupes de 4 ou 5 élèves. Après une brève présentation de chacune des œuvres proposées, les élèves se concertent par groupe pour poser leur choix de lecture. Une fois les pièces attribuées (une par groupe), chacun lit la pièce choisie pour le cours suivant.
En voici les consignes :
Pendant votre lecture, veillez à repérer (n’hésitez pas à annoter le texte) :
- les éléments-clés de l’intrigue
- les particularités, les points d’intérêt du texte
- une scène qui pourrait être intéressante à présenter aux autres membres de la classe
Exemple de sélection de pièces variées issues des volumes 7 et 10 de La scène aux ados3:
- Hyperland de Michel Bellier4
- La vie d’Icare après sa chute
de Valériane de Maerteleire5
- La piste cachée de Martin Legrand6
- La vie sous l’eau de François Salmon7
- Comment Marie Forte-Cuisse réussit à alléger le poids de l’histoire de Nathalie Rafal8
- Urgence choisie de Sylvain Kodam9
Point didactique
Proposer des textes courts et adaptés aux élèves dans le cadre d’une première approche du théâtre va accroitre leur motivation et faciliter leur accès aux textes. Ceux-ci sont en effet peu résistants : la langue est moderne (à la différence de celle distillée dans le théâtre classique) et les intrigues sont assez transparentes. Elles n’en sont pas moins dénuées d’inférences, de références culturelles et surtout d’humour, ce qui est un atout majeur. La brièveté des textes permet d’en proposer une lecture intégrale et non pas seulement des extraits, ce qui est appréciable en soi et facilite la compréhension globale.
2) Choix des scènes à interpréter
Une heure de cours est consacrée au choix de la scène qui sera finalement interprétée devant le groupe, et selon les consignes suivantes :
a) En sous-groupes, échangez sur votre lecture personnelle de la pièce : qu’en avez-vous pensé ? Justifiez au moyen d’éléments du texte : qu’est-ce qui vous a (dé)plu ? Pourquoi ?
b) Sélectionnez ensuite une scène qui représente bien l’œuvre et qui vous semble intéressante à interpréter devant la classe. Il peut s’agir : de la scène d’exposition, d’un moment-clé de l’intrigue, d’un extrait drôle, etc. À vous de choisir de manière pertinente !
c) Préparez quelques mots d’introduction de cette scène destinés à vos condisciples qui n’ont pas lu la pièce :
- Qui sont les personnages (et qui les interprète) ?
- Où se trouve-t-on et quand se déroule l’action ?
- Quelle est l’intrigue, quels en sont les enjeux à ce moment particulier ?
Répartissez-vous la tâche en vue de cette petite présentation (max. 5 min).
Point didactique
Identifier la scène la plus pertinente à présenter implique d’en avoir saisi la structure globale et, à tout le moins, les enjeux, ce qui peut parfois être un vrai défi pour les élèves. Le professeur pourra donc les y aider en les invitant à dresser le schéma narratif de l’intrigue, de manière à en mettre en évidence les grandes étapes. Il s’agit de les amener notamment à se rendre compte que la scène d’exposition n’est pas forcément la plus intéressante en vue de l’objectif à atteindre.
Pouvoir introduire la scène représentée de manière à ce que le public n’ayant pas lu la pièce dispose des informations nécessaires pour comprendre est une tâche complexe qui, bien réalisée, démontre une compréhension approfondie de l’œuvre. Le « rappel de récit » (résumé de l’intrigue), même partiel, pourrait avoir été travaillé au préalable. Ainsi, lors de lectures précédentes, l’élève aura appris à interrompre sa lecture, à s’interroger sur celle-ci et à rassembler les éléments essentiels de l’intrigue à retenir.
3) Exercices d’échauffement issus des ateliers-théâtre
Consacrer une demi-journée (soit un bloc de 3 heures) à la préparation et à la représentation des scènes peut se révéler impossible dans la pratique. Néanmoins, la phase de préparation (et de répétition), peut être étalée sur plusieurs séances de cours. Dans ce cas, il est important que chacune de ces séances commence par des exercices d’échauffement (qui pourront varier, bien entendu, d’une séance à l’autre).
En voici quelques exemples, tirés de Grosjean (2009)10 :
1°/ Le point fixe
- Prévoir un fond musical.
- Passage des acteurs devant le public. Chacun s’arrête pendant 30 secondes et fixe un point au-dessus du public, sans se laisser déconcentrer. Quand les 30 secondes sont écoulées, l’animateur lui fait un signe et le comédien quitte la scène.
- Pour faciliter les choses, prévoir et placer un « secret », un objet servant de point de ralliement vers lequel peuvent converger les regards des acteurs sur scène. Ce point de repère se trouve donc derrière le public, un peu plus haut que les têtes.
2°/ Occupation de l’espace et incarnation progressive du personnage
Faire marcher tous les participants sur le plateau. Ils doivent l’occuper tout entier, aucun espace ne doit rester libre. Les acteurs marchent selon un rythme régulier :
- Ils se regardent quand ils se croisent.
- Progressivement, ils accueillent dans leur corps une caractéristique physique de leur personnage. Elle s’installe progressivement, comme si elle avait toujours fait partie d’eux.
- Quand ils se croisent, ils s’arrêtent l’un face à l’autre et s’observent pendant quelques secondes. Au fur et à mesure, ce ne sont plus les étudiants que l’on voit déambuler sur le plateau, mais les personnages qu’ils incarnent…
3°/ La mise en espace du texte
L'objectif est de délivrer le texte de manière audible et intelligible et d'inciter l'écoute de l’auditeur.
- Chacun choisit et apprend par cœur une courte réplique qu’il devra dire dans sa scène.
- Tous occupent le plateau et disent leur réplique sans s’adresser à personne (fort, vite, calmement, en chuchotant, etc.).
- Chacun dit sa réplique en y insérant une pause de 3 secondes (qui doit avoir du sens). Le but est d'éviter qu’elle soit énoncée trop vite.
- Chacun dit sa réplique en allongeant la dernière syllabe. Il s'agit de contrecarrer la tendance selon laquelle l'intonation retombe en fin de phrase, ce qui induit souvent un problème de volume.
4°/ « Brochette de personnage »
5-6 joueurs s'alignent d’abord dos au public.
Au signal, ils se retournent pour faire face à l’assistance, et chacun accroche son regard au secret, les jambes bien plantées dans le sol.
La posture se doit de refléter l’ attitude du personnage.
Au signe de l’animateur, tous disent leur réplique en même temps, avec détermination.
Ensuite, au signe de l’animateur, chacun à son tour dit sa réplique : le corps peut accompagner la parole, il faut s’adresser au secret
et remplir l’espace de son et de texte.
Objectifs de ces exercices
Ils sont multiples et dépassent de loin les apprentissages de français. Il s’agit d’abord d’entrer dans l’activité avec l’esprit et le corps, en laissant le reste (les soucis personnels, l’école, etc.) de côté. C’est la raison même de la mise en mouvement de chacun, au-delà de la mobilisation des corps, qui est elle aussi indispensable.
En outre, ils permettent de retrouver (ou d’installer) une cohésion de groupe, dont les membres se (re)connectent par des regards complices, s’unissent face aux défis à relever, tendant vers un objectif commun : le jeu de leur saynète.
4) Préparation en petits groupes de l’interprétation de la saynète
Consignes :
- Répartissez-vous les personnages (vous pouvez en incarner plusieurs) : quelles sont leurs intentions ? Comment s’expriment-ils ? Quelle est leur attitude corporelle ?
- Vous ne devez pas connaitre le texte par cœur, mais faites en sorte de pouvoir vous en détacher pour incarner les personnages.
- Envisagez la mise en scène (des accessoires ?) : quel rôle joue-t-elle dans l’histoire ?
Au besoin, certains camarades peuvent venir prêter main forte dans d’autres groupes s’il manque des acteurs pour incarner tous les personnages. Le professeur peut également jouer ce rôle, montrant par là qu’il est aussi prêt à s’exposer au même titre que ses élèves en se soumettant à l’exercice.
Point didactique
Le travail sur les états d’âme, les émotions et les motivations des personnages est évidemment essentiel pour déterminer l’intonation, le rythme à donner aux répliques ainsi que les attitudes physiques. Cependant, dans le cadre de cette activité fonctionnelle, les élèves préparent leur interprétation seuls, sans l’aide de l’enseignant (même si ce dernier passe dans les différents groupes et prodigue des conseils en attirant l’attention sur tel ou tel point : sur le ton de certaines répliques-clés par exemple).
En effet, cette étape de caractérisation des personnages et de leurs aspirations, primordiale dans l’oralisation d’un texte de théâtre, sera travaillée par la suite. Elle fera en effet précisément l’objet de la séquence déployée à la suite de cette activité fonctionnelle. Il en ira d’ailleurs de même pour la prise en compte des paramètres paraverbaux et non verbaux, qui seront approfondis lors de la séquence.
Le choix de ne pas faire mémoriser le texte peut étonner. Somme toute, il ne s’agit que de quelques répliques par élève. Cela dépend bien entendu du temps à disposition pour l’exercice (si l’activité devait se dérouler sur plusieurs jours, cela deviendrait possible). Toutefois, cela permet de ne pas considérer la mémorisation comme une fin en soi et de ne pas conditionner les apprentissages à la maitrise du texte. Le travail d’appropriation du texte à fournir est en effet le même qu’il y ait mémorisation ou pas.
5) Interprétation devant la classe
Le moment tant attendu arrive enfin ! Les derniers ajustements s’opèrent au niveau de la mise en scène et des accessoires, l’excitation est perceptible et le stress palpable. En préambules aux prestations, le professeur rappelle les règles de courtoisie nécessaires dans ce contexte : faire preuve d’une grande concentration pendant le jeu, fournir une écoute attentive en tant que spectateur et être respectueux de chacun et chacune durant toute la durée de l’activité.
Une consigne d’écoute est donnée aux spectateurs : à l’issue de chaque saynète, vous listerez les qualités de la prestation et préciserez un point qui pourrait être amélioré.
Un dernier petit conseil : en cas de « blanc », il est permis de s’écarter du texte et d’improviser, l’essentiel est de rester dans le personnage le temps de retomber sur ses pattes !
Avant chaque scène, on frappe les trois coups pour en marquer le début et on applaudit à la fin.
Point didactique
À l’image de toute activité basée sur l’oral, il est essentiel que règne un climat de classe basé sur le respect et la bienveillance. Comme dit plus haut, les différents exercices d’échauffement et d’appropriation du texte menés en groupe pourront y contribuer. Si certains élèves devaient manifester des craintes particulières quant à ce type de prestation, le soutien des autres leur serait essentiel pour vaincre leur peur.
Les « trois coups » et les applaudissements permettent de délimiter clairement le début et la fin de la prestation scénique, ce qui constitue des repères quant au moment où il faut « entrer » puis « sortir » du personnage.
6) Structuration des apprentissages nécessaires mis en évidence par l’activité
Les qualités et points d’amélioration possibles auront été soulignés à l’issue de chaque prestation. Le professeur en aura pris note de manière à pouvoir les structurer à la leçon suivante. Les paramètres paraverbaux ou « vocaux » (volume, rythme, intonation, accentuation, articulation) et non verbaux (regards, expressions du visage, posture, positionnement dans l’espace, déplacements) sont ainsi reconnus comme étant des éléments qui, maitrisés, contribuent à donner à la saynète les apparences de la vie réelle. Il s’agit alors de faire réaliser aux élèves les compétences qui leur manquent et qu’ils doivent acquérir, ainsi que les apprentissages à mettre en œuvre pour être capables d’interpréter de manière satisfaisante une saynète de théâtre.
Pour conclure...
Cette activité sans prétentions propose aux élèves une première approche du théâtre qui soit active et pratique. L'objectif est avant tout de leur faire prendre conscience des apprentissages qu'ils doivent encore effectuer pour la mener à bien. Oraliser un texte de théâtre, même moderne, relève en effet de la gageüre tant les compétences sont nombreuses à mobiliser en temps réel, comme pour toute activité orale. Les efforts à fournir sont nombreux, mais ils sont le prix à payer pour que le texte vive.
Bon amusement !
Amélie Hanus
1. Duchateau Pierre-Yves (2023). « Lire du théâtre pour ados », DUPALA. En ligne : https://dupala.be/article.php?a=646
2. Le nombre d’acteurs peut varier car certains rôles ne sont pas précisément attribués (un peu à l’image du chœur dans le théâtre antique). Leurs répliques peuvent ainsi être réparties entre plusieurs élèves-comédiens, en fonction de leur nombre. C’est une flexibilité très appréciable (et voulue comme telle) dans un contexte scolaire.
3. Chacune bénéficie d’une page de présentation sur le site : https://ithac.be/pieces-a-jouer/
4. Bellier Michel (2011). « Hyperland », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 9-36. Présentation : https://ithac.be/ressources/hyperland/
5. de Maerteleire Valériane (2013). « La vie d’Icare après sa chute », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 32-55. Présentation : https://ithac.be/ressources/la-vie-dicare-apres-sa-chute/
6. Legrand Martin (2013). « La piste cachée », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 78-100. Voir aussi Duchateau (2023). Présentation : https://ithac.be/ressources/la-piste-cachee/
7. Salmon François (2013). « La vie sous l’esau », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 134-155. Présentation : https://ithac.be/ressources/la-vie-sous-leau/
8. Rafal Nathalie (2011). « Comment Marie Forte-Cuisse réussit à alléger le poids de l’histoire », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 100-137. Présentation : https://ithac.be/ressources/comment-marie-forte-cuisse-reussit-a-alleger-le-poids-de-lhistoire/
9. Komada Sylvain (2011). « Urgence choisie », La scène aux ados, Lansman Éditeur, pp. 79-98. Présentation : https://ithac.be/ressources/urgence-choisie/
10. Grosjean Bernard (2009). Dramaturgies de l’atelier-théâtre, Lansman Éditeur. / Grosjean Bernard et Dulibine Chantal (2018). Dramaturgies de l’atelier théâtre 2. Au bonheur des petites formes, Lansman Éditeur/IThAC. Ces deux ouvrages sont analysés dans e-classe : https://www.e-classe.be/ee4aa983-4741-4cb3-9469-038691b4ac3f