Lire une nouvelle et manifester sa lecture par l'intermédiaire d'une production
Cet article décrit une activité de lecture et de réalisation d'une production vécue par des étudiants et pouvant être prolongée par d'autres activités.
Les étudiants de première année de la formation qui les prépare à devenir professeurs de français ont l'occasion de vivre des activités qu'ils pourront adapter pour leurs propres élèves. Une des séquences proposées porte sur la lecture de textes littéraires. Ainsi, ils ont été amenés à lire des nouvelles à chute dont celle intitulée Lucien de Claude Bourgeyx (publiée notamment par Magnard dans le recueil Nouvelles à chute). Ils l'ont découverte avec la méthodologie du dévoilement progressif. Ils l'ont donc lue par fragments en identifiant les éléments principaux du contenu et en cherchant à anticiper la suite et la fin du texte où le lecteur découvre l'explication de ce que vit le personnage principal, Lucien. Ils ont rédigé la fin du texte telle qu'ils se l'imaginaient en tenant compte des éléments de celui-ci et certains l'ont lue au groupe. Après avoir parcouru le dernier extrait, ils ont relevé les indices de la chute présents dans la nouvelle, ils ont pu exprimer leur avis sur celle-ci et établir des liens avec d'autres textes à chute, des séries ou des films où la fin remet en question les premières hypothèses sur l'univers du récit.
Après la mise en évidence de processus de lecture des textes littéraires à partir de la première activité (la production d'inférences, la formulation d'hypothèses sur la suite du récit notamment), les étudiants ont eu l'occasion de lire une autre nouvelle à chute de ce recueil afin de mettre en pratique ce qu'ils venaient d'apprendre. La méthodologie a été globalement identique (dévoilement progressif), mais cette fois-ci, ils réalisaient une partie de l'activité de manière plus autonome, par deux.
La séquence se termine par la lecture individuelle, en autonomie, de la nouvelle de Roald Dahl, La logeuse. Elle a été publiée notamment dans le tome deux du recueil Nouvelles à chute chez Magnard et elle peut être l'occasion de faire découvrir cet auteur (qui a écrit de nombreux ouvrages pour les jeunes dont Charlie et la chocolaterie, pour n'en citer qu'un) aux élèves s'ils ne le connaissent pas.
Comme dans le cas des nouvelles précédentes, elle amène également les lecteurs à remettre en question leurs premières hypothèses sur l'univers du récit puisqu'en lisant le texte, ils peuvent comprendre une spécificité étonnante de la logeuse qui pouvait sembler bienveillante dans un premier temps. Il s'agit donc également d'un texte rétroactif que Séverine De Croix et Dominique Ledur définissent à la page 109 de leur ouvrage Enjeux de lecture - Lecture en JEux1.
Le texte rétractif est un écrit "dont la chute imprévisible ou subtilement préparée par des indices qui parsèment le texte remet en cause la représentation initiale de l'univers du texte".
Les étudiants ont été amenés à manifester leur lecture en réalisant les tâches suivantes :
- Résume la nouvelle en trois ou quatre phrases, en un bref résumé pour manifester ta compréhension de son sens global. Ensuite, explique ce que tu as compris en lisant la fin du récit.
- Formule une appréciation sur la nouvelle, ce qui te permettra d’exprimer ta réaction face à celle-ci. Tu la justifieras en faisant référence à des éléments du texte.
- Élabore la première de couverture d'un recueil qui intégrerait cette nouvelle, donc essentiellement une illustration qui manifestera, à nouveau, ta compréhension du texte. Justifie par écrit le choix des éléments présents sur celle-ci. L’illustration doit évoquer des éléments du texte en vue de donner envie au lecteur de le lire, sans tout dévoiler. Elle peut être élaborée en réalisant des dessins et/ou des collages.
Plusieurs membres du groupe ont présenté leur résumé, leur explication de la fin du texte ou leur avis sur celui-ci à leurs condisciples qui ont indiqué s'ils correspondaient à leur compréhension du texte (qui a été vérifiée et parfois affinée pour certains) ainsi que à leur point de vue sur la nouvelle. Chacun a ensuite affiché sa première de couverture dans le local et l'a présentée aux autres étudiants en justifiant le choix des éléments sélectionnés. Cette présentation a permis de dégager différents choix possibles en ce qui concerne l'illustration : annoncer le genre de texte ou non, ne mettre en évidence qu'un des éléments centraux du récit (une tasse de thé par exemple) ou au contraire chercher à en présenter les principaux (les personnages, le lieu dans ce cas-ci). L'activité a également été l'occasion de vérifier si les éléments généralement présents sur une première de couverture avaient été intégrés dans les productions ou non.
Certains ont aussi expliqué comment ils ont élaboré leur illustration : par exemple, en s'aidant d'un outil de design graphique en ligne dont une version est gratuite, Canva (que d'autres étudiants ont ainsi pu découvrir), ou en s'inspirant de couvertures de la nouvelle consultables en ligne. Ils ont fait preuve de créativité en s'aidant d'outils ou ils ont adapté la création d'autres illustrateurs. Voici quelques exemples de productions d'étudiants qui sont restées affichées en classe pour garder une trace du travail produit, de la séquence. Elles sont le reflet de différentes images mentales que chaque lecteur a pu se construire en lisant le texte.
Ci-dessous, un exemple de couverture de la nouvelle consultable en ligne et dont certains étudiants ont pu s'inspirer.
Cette activité de lecture d'une nouvelle et cette médiation sous la forme d'une première de couverture pourrait se poursuivre par une séquence sur la première et la quatrième de couverture. Celle-ci pourrait permettre d'éventuellement améliorer les premières de couverture (en les complétant si nécessaire par les éléments habituellement présents sur celles-ci, par exemple, le nom de la maison d'édition) et de les compléter par une quatrième de couverture incluant un résumé-apéritif du texte. Le résumé rédigé par les étudiants devrait donc être transformé pour convenir dans ce cadre.
Jean-François Pondant, professeur dans une école secondaire et au Campus des Coteaux à Liège, nous a communiqué une séquence qu'il a conçue pour des élèves de première année. Je le remercie d'avoir accepté qu'elle soit présentée dans cet article. Elle s'intitule : "Je me familiarise avec l'objet livre" et porte sur les premières et les quatrièmes de couverture. Elle inclut de nombreuses activités qui sont résumées ci-dessous.
1) Observation et analyse des différentes premières de couverture, théorisation de leurs caractéristiques et entrainement à leur propos (par l'intermédiaire d'une activité ludique : un domino de livres qui consiste pour chacun à poser, à côté d'un ouvrage déposé sur l'aire de jeux, un autre qui présente un point commun avec la couverture du livre précédent).
2) Observation et analyse de quatrièmes de couverture, puis théorisation de leurs caractéristiques.
3) Activités :
- sur les titres de livres, les phrases verbales et non verbales (observation, analyse et théorisation) ;
- sur les résumés-apéritifs (en observer et en analyser parmi les quatrièmes de couverture déjà lues, ensuite théoriser leurs caractéristiques avant la production du premier jet d'une première et d'une quatrième de couverture d'une nouvelle à lire incluant un résumé-apéritif, s’exercer en réalisant des analyses de textes de ce genre ou en en améliorant) ;
- sur le système des temps dans une narration au présent (observation, analyse de résumés de textes, théorisation et exercices sur ce sujet grammatical, puis amélioration du premier jet rédigé précédemment) ;
- sur les anaphores (observer, analyser des moyens d'éviter des répétitions dans des textes, théoriser ceux-ci, s'exercer à employer des anaphores avant de retravailler le premier jet en vue d'éviter de répéter des mots dans celui-ci).
4) Finalisation de l'amélioration de la première et de la quatrième de couverture d'une nouvelle rédigées auparavant.
Ci-dessous un exemple d'une production d'un élève qui a participé aux activités de la séquence présentée ci-dessus.
Après avoir vécu cette séquence, les apprenants pourraient réaliser la couverture complète du recueil incluant la nouvelle La logeuse (et un résumé-apéritif de celle-ci) et présenter leur production au groupe qui la commenterait de manière bienveillante.
Cette production serait une médiation de la lecture étant donné la définition de celle-ci formulée par Séverine De Croix et Dominique Ledur à la page 184 de leur ouvrage intitulé Enjeux de lecture - lectures en JEux2.
Les médiations sont "des productions orales ou écrites, individuelles ou collectives, voire d'autres actions, qui permettent au lecteur de manifester sa lecture et de la partager avec autrui".
Aux pages 167 à 172, elles proposent d'autres exemples de médiations dont notamment :
- la reformulation orale ou écrite de tout le récit ou d'une partie de celui-ci,
- la table des matières d'une lecture longue (titrer ou retitrer les chapitres et les commenter en mentionnant les informations importantes de ceux-ci et quelques éléments d'appréciation principalement),
- la discussion autour d'un livre lu, le cercle de lecture (avec des propositions de sujets de discussion (sur un passage par exemple ou à partir d'une question) formulées par les élèves),
- la rédaction d'une interprétation finale (la réponse aux questions suivantes : comment ai-je compris le récit que je viens de lire ? Quelle est l'intention de l'auteur ? ),
- le conseil de lecture à un futur lecteur,
- l'écriture dans les blancs du texte (compléter une ellipse de manière cohérente).
Certaines de ces activités correspondent aux objets à produire après la lecture d'un texte littéraire suggérés dans la fiche 1 du programme de français du premier degré commun de 2005.
Ces médiations, notamment celle expérimentée, donnent l'occasion aux apprenants de faire part de leur lecture autrement qu'en répondant à un questionnaire. Elles peuvent se révéler motivantes et le lieu d'échanges intéressants, ce qui a été le cas de l'activité menée avec les étudiants.
Sylvie Bougelet
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1 De Croix Séverine et Ledur Dominique (2010), Enjeux de lecture - Lectures en JEux, Bruxelles, SEGEC.
2 Même source que la précédente.