Produire une première de couverture après avoir lu une nouvelle.

Cet article présente un texte de Roald Dahl et les activités précédant et suivant sa lecture


Dans le cadre des AFP (ateliers de formation professionnelle), les étudiants du premier bloc, futurs enseignants, ont notamment l'occasion de participer à différentes activités (souvent regroupées en séquences) semblables à celles destinées à leurs élèves, avant de les analyser pour apprendre à en concevoir et à en animer en stage, puis lors de leurs pratiques professionnelles. Un des dispositifs vécus a porté sur la compétence lire. Il peut être mis en lien avec la fiche 1 du programme du premier degré commun : lire des textes littéraires pour se construire, découvrir le monde et partager sa lecture. Parmi les objets à lire, figurent les « récits fictionnels empruntés à la littérature de jeunesse (album, bande dessinée, nouvelle, conte, mythe, roman) » et les « textes poétiques (chanson, fable, poème, certains textes d'humour) ». 

Le texte et les activités précédant sa lecture

Un des écrits sélectionnés dans le cadre de la séquence portant sur la compétence lire a été une nouvelle de Roald Dahl, La logeuse. Elle a notamment été publiée dans le deuxième tome du recueil intitulé Nouvelles à chute, en 2006, chez Magnard. Cet écrivain qui est notamment connu pour ses livres de littérature d'enfance et de jeunesse est présenté dans les premières pages de cet ouvrage.

https://www.magnard.fr



Afin de vous donner un aperçu de la nouvelle, le début de celle-ci est reproduit ci-dessous.

https://www.magnard.fr/



Dans cette nouvelle, un jeune homme de 17 ans, Billy Weaver, arrive en train à Bath, une ville anglaise, pour un voyage d'affaires. Il cherche à y loger et trouve une chambre à louer chez une dame qui l'accueille aimablement. Elle l'invite à signer le livre d'or et à prendre un thé. Pendant qu'il le boit, ils discutent des pensionnaires précédents dont Billy se rappelle le nom (il est « presque sûr de les avoir vus dans les journaux ») sans parvenir à rassembler des souvenirs précis à leurs propos. 

Après la lecture de ce texte, les étudiants ont compris que la logeuse est une taxidermiste diabolique : elle a empaillé son perroquet et son chien ainsi que les deux pensionnaires précédents qui sont « ensemble au quatrième étage ». En effet, le thé qu'elle offre à ses locataires est parfumé à l'arsenic !

Outre la possibilité pour les enseignants de faire découvrir ou redécouvrir Roald Dahl aux apprenants, la nouvelle La logeuse présente différents atouts. Il s'agit tout d'abord d'un texte dont la fin peut être assez déconcertante. Si les apprenants ont déjà lu un texte présentant une fin surprenante, leur lecture sera peut-être orientée vers la recherche et la mise en lien d'un faisceau d'indices permettant d'émettre des hypothèses sur celle-ci, d'anticiper la suite du texte en le lisant. Cela a été le cas des étudiants du premier bloc : ils avaient eu auparavant l'occasion de lire une nouvelle à chute, d'identifier les processus mis en œuvre pendant cette lecture et de les mettre en pratique lors de l'écoute d'un autre texte littéraire (une chanson). Certains de ces processus sont évoqués à la page 27 du programme du premier degré commun, reproduite ci-dessous.



Les compétences suivantes ont pu être développées lors des activités précédant la lecture de la nouvelle de Roald Dahl : construire le sens global du texte en en résumant le contenu ; identifier, dans certains cas, les stéréotypes exploités par l'auteur (à propos des personnages ou des thèmes par exemple) ; réaliser des inférences (dans le cas de la nouvelle, elles concernent notamment le sort des précédents locataires de la logeuse) ; s'interroger sur le sens de certains mots ; se positionner face au document lu en justifiant son avis et établir des liens avec d'autres productions littéraires, culturelles (un roman, un film ou une série télévisée par exemple) ou avec des expériences vécues.

Lors des activités portant sur l'identification des processus de lecture mis en œuvre lors de la lecture d'une nouvelle à chute, l'accent a été mis sur leur explicitation et  leur clarification. À ce propos, aux pages 190 à 192 de leur ouvrage intitulé Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite et publié en 2022, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon dressent un état des lieux concernant l'enseignement explicite.

Il y a [...] un nouveau prétendant à l'enseignement explicite, à savoir l'approche "enseigner plus efficacement" prônée par l'Éducation nationale française. Guilmois et ses collègues en font un compte rendu dans une publication récente (2020). Ces auteurs signalent que l'approche socioconstructiviste domine encore aujourd'hui largement les pratiques d'enseignement de l'école française (Guilmois et al. 2020, p.680). Cependant,  « depuis 2013, les textes officiels émanant du ministère français de l'Éducation nationale multiplient les recommandations pédagogiques en faveur d'un enseignement plus explicite » (Guilmois et al, 2020, p.684). Or les expressions utilisées de part et d'autre de l'Atlantique ne recouvrent pas les mêmes réalités, et l'«expression enseigner plus explicitement [nous ajoutons ici, proposée par la France] semble reposer sur des principes d'un enseignement socioconstructiviste tout en garantissant une meilleure explicitation à toutes les étapes de la séance (Guilmois et al., 2020, p.685). [...]

Il y a donc l'enseignement explicite, selon l'acception nord-américaine, et "enseigner plus explicitement" selon l'acception française d'obédience socioconstructiviste (Guilmois et al., 2020, p. 684). Mais là où le bât blesse, signalent les auteurs, c'est que "si l'efficacité de l'enseignement explicite dans son acception nord-américaine a fait l'objet d'études mettant à l'épreuve son efficacité, son acception française n'a pas fait l'objet, à notre connaissance, d'études empiriques systématiques. [...]

Le tableau 7.2, adapté de l'article de Guilmois et de ses collègues (2020), permet de saisir cette  différence dans les principes et la démarche des deux approches.1



Dans le cas de la nouvelle La logeuse, il serait opportun de s'interroger sur la fin du texte : est-ce réellement une chute, une fin inattendue puisque la nouvelle est parsemée d'un certain nombre d'indices qui peuvent mettre la puce à l'oreille du lecteur ? N'est-ce pas plutôt un récit rétroactif (« dont la chute, imprévisible ou subtilement préparée par des indices épars, remet en cause la représentation initiale de l'univers du texte »2) ?

Pour anticiper la fin du texte, les étudiants ont identifié des éléments étranges qu'ils ont relevés parmi les extraits suivants notamment. Ceux-ci les ont amenés à remettre en question la représentation qu'ils ont pu, au départ, construire de la logeuse (elle correspond globalement aux stéréotypes d'une dame d'un certain âge au début du texte, avant que le lecteur ne comprenne qu'il s'agit d'un être diabolique). Cette remise en question pourra faire partie des apprentissages à développer chez certains élèves. 

D'habitude, quand on sonne à une porte, on doit attendre au moins une demi-minute avant que quelqu'un vienne ouvrir. Cette dame, elle, était là , jaillie comme un diable-dans-sa-boîte.
- Cinq shillings et six pence par nuit, petit déjeuner compris.
Il crut avoir mal entendu. C'était donné. Cela représentait moins que la moitié de ce qu'il était disposé à payer.
Et ses yeux bleus parcoururent lentement le corps de Billy, de la tête aux pieds, puis dans le sens inverse.
Elle doit avoir l'esprit un peu dérangé, la pauvre femme.
De temps à autre, il respirait une bouffée d'une odeur bizarre qui semblait directement émaner d'elle. Ce n'était pas absolument désagréable et cela lui rappelait quelque chose, mais quoi ? Des noix sèches ? Du cuir neuf ? Ou bien les couloirs d'un hôpital ?
Ce perroquet, dit-il soudain, je m'y étais trompé quand je l'ai aperçu pour la première fois, par la fenêtre ! J'aurais juré qu'il était vivant. [...]
- [...] J'empaille moi-même tous mes petits chéris quand ils rendent l'âme. Voulez-vous une autre tasse de thé ?
- Non, merci, dit Billy. Le thé avait un petit goût d'amandes amères qui lui déplaisait plutôt. 


L'arsenic a un gout d'amandes amères, est-il noté en bas de page, dans le recueil.

Ensuite, la nouvelle semble adaptée à des lecteurs adolescents. En effet, le personnage principal est un jeune homme de 17 ans à qui certains élèves pourraient s'identifier. En effet, il est un jeune adulte récemment entré dans la vie active, ce qui représente l'avenir assez proche de certains des lecteurs qui suivent des cours dans une école secondaire. Par ailleurs, différents traits de personnalité des personnages ou certains thèmes pourront être au cœur de discussions avec les adolescents afin d'affiner leur compréhension du texte ou d'élargir leur bagage culturel : par exemple, la naïveté du jeune adulte qui contraste avec la malveillance et même le caractère diabolique d'une personne plus âgée. Ils pourront s'interroger, voire mener des recherches sur la taxidermie, les techniques de conservation des corps morts depuis les Égyptiens jusqu'à nos jours, visant à donner à voir des animaux de différents contrées dans les musées contemporains notamment. Ils pourront chercher à connaitre les raisons de l'emploi de celles-ci et exprimer leur point de vue sur la taxidermie : par exemple, une étudiante du bloc 1 a spontanément exprimé son dégout quand elle a découvert que la logeuse était une taxidermiste. 


Les activités menées après la lecture de la nouvelle

Les consignes suivantes ont été fournies aux étudiants avant la lecture du texte.

1) Lis la nouvelle La logeuse de Roald Dahl. 
2) Résume-la en quelques phrases pour manifester ta compréhension de son sens global. Ensuite, explique ce que tu as compris en lisant la fin du récit.
3) Formule une appréciation sur la nouvelle, ce qui te permettra d'exprimer ta réaction face à celle-ci. Tu la justifieras en faisant référence au texte.
4) Élabore la première de couverture d'un recueil qui intégrerait cette nouvelle, donc essentiellement une illustration qui manifestera, à nouveau, ta compréhension du texte. Justifie par écrit le choix des éléments présents sur celle-ci.
L'illustration évoquera différents éléments du texte en vue de susciter l'envie de le lire, sans tout dévoiler. Elle peut être élaborée en réalisant des dessins ou des collages. Ta production sera présentée oralement au groupe et affichée en classe afin de mettre en valeur les premières de couverture et de garder une trace de la séquence.


Après la comparaison de différents résumés du texte lus par plusieurs apprenants et les explications de ce que plusieurs d'entre eux ont compris en lisant la fin de la nouvelle suivies des réactions des autres lecteurs, il est intéressant également de leur donner l'occasion d'exprimer leur avis, d'indiquer s'ils l'ont appréciée ou non en justifiant leur jugement par des éléments du texte. L'écriture d'un résumé et la comparaison de ce que chaque lecteur a compris en lisant la nouvelle permettent à chacun de s'assurer de sa compréhension avant de partager son avis sur le texte.  Les lecteurs peuvent aussi être amenés à mettre en lien La logeuse et d'autres récits, des films ou des séries qui présentent des points communs avec la nouvelle de Roald Dalh ou encore avec des expériences vécues (la recherche d'un logement lors d'un séjour à l'étranger, par exemple).    

Par ailleurs, des liens pourront être établis avec des genres que les apprenants connaissent en identifiant les points communs et les différences avec La logeuse : le récit initiatique, policier ou fantastique. En effet, le personnage masculin est naïf, la femme est une tueuse en série et, au début de cette nouvelle, le héros se situe dans un cadre réaliste (il arrive en train dans une ville anglaise), puis il est confronté à un évènement étrange qui ne peut pas être expliqué par les lois naturelles.

Alors, il se passa une chose étrange. Car son regard ne put se détacher du petit écriteau qui répétait obstinément : CHAMBRES AVEC PETIT DÉJEUNER, CHAMBRES AVEC PETIT DÉJEUNER, CHAMBRES AVEC PETIT DÉJEUNER. Chacun de ces mots se transformait en un grand œil noir qui le fixait d'une singulière façon, l'empêchant impérieusement de quitter le petit rectangle de trottoir où il était arrêté. Comme hypnotisé, il fit quelques pas, puis grimpa les quatre marches qui menaient à la porte d'entrée.

Les étudiants ont également eu l'occasion de présenter au groupe la première de couverture qu'ils avaient élaborée personnellement. Chacun des membres du groupe dont l'écoute devait être active pendant la présentation a ensuite pu commenter la production de chacun en relevant principalement ses points forts ou en posant des questions au concepteur en cas d'incompréhension du choix d'un élément. Ils se sont réellement impliqués dans l'élaboration de cette première de couverture qui semble les avoir motivés et plusieurs de leurs productions sont présentées ci-dessous. Elles manifestent le souci de sélectionner quelques-uns des éléments principaux du texte sans dévoiler toute la nouvelle (la maison de la logeuse, le thé qu'elle offre à chaque locataire, ses animaux notamment), le choix des couleurs a été étudié pour rendre compte du moment de la journée durant lequel se déroulent les évènements (« il était près de neuf heures du soir et la lune se levait ») et de l'atmosphère sombre du texte qui met en scène une tueuse en série. Certains ont même intégré des détails non visibles au premier regard : par exemple, une image du visage d'un homme qui est visible à la surface du thé si on y prête bien attention dans la première production ci-après.




Productions de Jaya, de Clémentine, de Léa, de Mariam, de Steven et de Victoria




Cette activité permet donc à chacun de manifester sa compréhension du texte en s'exprimant par l'écrit (la première de couverture élaborée par chacun) et par l'oral. Elle est également l'occasion d'exploiter la dimension non verbale : choix d'un support (une feuille de papier ou un document informatique), du type d'illustration (un dessin, un collage ou une image retravaillée avec un logiciel), des couleurs,... À ce propos, certains étudiants ont présenté à leurs condisciples une ressource qu'ils ont exploitée pour élaborer leur production : le logiciel CANVA. Celui-ci leur a permis de créer des premières de couverture de qualité en assemblant différentes images.


Ces activités d'échanges entre lecteurs (notamment à propos du résumé du texte et d'avis exprimés sur celui-ci), d'élaboration et de présentation d'une première de couverture d'un recueil font partie des médiations suggérées par le programme du premier degré commun, à la page 26.



Enfin, il existe un film d'animation (de six minutes) qui est une adaptation de La logeuse réalisée par des jeunes de 9 à 12 ans de l'atelier de cinéma de l'Antipode MJC à Rennes et encadrée par Frédérique Odye. Elle pourrait être exploitée notamment afin d'amener les apprenants à  identifier ce qui a été conservé de la nouvelle et ce qui a été ajouté ou modifié. Ils pourraient également exprimer leur avis sur cette production d'adolescents.  


Après la lecture de la nouvelle de Roald Dahlune autre activité possible serait la réécriture du texte en imaginant les pensées de la logeuse pendant ses conversations avec Billy. Les possibilités d'exploitation de ce texte en classe semblent donc nombreuses. 





Sylvie Bougelet

 


1. Gauthier Clermont, Bissonnette Steve et Bocquillon Marie (2022), Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite, Québec, Presses de l'Université du Québec.

2. Séverine de Croix, Lire des textes « résistants » avec des élèves en difficulté de lecture au début du secondaire : la lecture rétroactive, un exemple de dispositif, 2010. Cet article est issu d'une recherche doctorale qui a porté sur la compréhension et l'accompagnement d'élèves en difficulté de lecture au début du secondaire (De Croix, 2010): https://orbi.uliege.be/bitstre...

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