Des cartes d'identité pour les verbes

Faire élaborer des cartes d'identité pour les verbes rencontrés au fil des textes lus, voilà une belle façon d'acquérir intelligemment et durablement la conjugaison.



Autre très bonne idée issue du manuel Mieux enseigner la grammaire1 (excellent investissement, décidément !), à la suite de celle, exposée dans ce même numéro, suggérant l'étude de la virgule dans un texte : élaborer des cartes d’identité pour les verbes. Les élèves de la fin du primaire et du début du secondaire sont invités (ils ont de 10 à 13 ans, selon les auteurs), pour certains verbes rencontrés à diverses occasions, à créer des fiches de synthèse intitulées « cartes d’identité des verbes ».

Dans des parcours d’apprentissages où la conjugaison est à mon gout trop peu souvent envisagée comme un système (les temps et modes sont étudiés séparément, à l’occasion de leur rencontre dans un genre de texte, démarche que je ne peux qu’encourager, mais qui gagnerait à être complétée par une révision panoptique de la morphologie et de l’emploi des modes et temps), réaliser un fichier de verbes constitue un premier pas décisif vers une appréhension plus globale de la conjugaison en français.


Une démarche en trois étapes


ÉTAPE 1 : 

Pour un verbe donné, Patrice Gourdet, Danièle Cogis et Marie-Noëlle Roubaud1 préconisent de faire relever par les élèves les variations morphologiques du radical aux principaux temps simples (indicatif présent, imparfait, futur simple, auxquels je me permets d'ajouter le subjonctif présent, l’impératif, le conditionnel présent et le participe présent2). Ils joignent à ce relevé les marques du passé simple et la forme du participe passé. Cette recherche s’effectuera à l’aide d’outils papier ou numériques.

Ainsi pour peindre, nous aurions les radicaux suivants : pein- (présent, impératif), peign- (présent, impératif, imparfait, subjonctif présent) et peindr- (indicatif futur et conditionnel présent) ; je peignis et j’ai peint en constituent le passé simple et le participe passé.

Ensuite, les élèves établissent les caractéristiques sémantiques et syntaxiques des verbes étudiés et les assortissent d'exemples. Ils peuvent partir de phrases qu’ils rédigent eux-mêmes ou, mieux, d’énoncés authentiques repérés sur internet (avec un ordinateur paramétré correctement, bien sûr). Ils épinglent les différentes définitions d’un verbe et pour chaque acception, identifient une construction syntaxique.

Peindre, par exemple, revêt deux acceptions principales : recouvrir un objet ou une surface d’un couleur ou représenter quelque chose à l’aide de peinture. Pour la première signification, on observe la construction suivante : verbe + groupe nominal (+ groupe nominal facultatif précédé de la préposition en : Il a peint ce mur en vert !). Pour la deuxième signification du verbe, la construction est identique : Elle adore peindre des fleurs. La mention de la couleur est également possible, avec en : Elle peint systématiquement les fleurs en bleu.


ÉTAPES 2 ET 3 : 

Une fois ces informations rassemblées, il reste à les résumer dans un tableau clair (une fiche). Ces fiches sont dans un premier temps établies collectivement, puis par paires ou individuellement. Les fiches élaborées seuls ou en sous-groupes sont présentées à la classe, validées puis insérées dans un recueil (numérique) accessible à tous (troisième étape).

Pour élaborer la fiche suivante, consacrée à peindre, je me suis largement inspiré du manuel ci-renseigné. Mais je m’en suis écarté quelque peu, ajoutant une rubrique « difficultés particulières » et la mention d’autres temps (la « carte d'identité » suggérée par le manuel ne considère que l’indicatif présent, imparfait et futur simple en plus du passé simple et du participe passé).




Quelques remarques :

  • Les fiches doivent rester concises, cibler des verbes courants mais présentant des particularités orthographiques ou plusieurs bases et constructions syntaxiques, et être classées dans un recueil par ordre alphabétique. L’outil doit être réellement utile et pratique.
  • La mention des terminaisons n’est selon moi pas un luxe inutile ; leur répétition favorisera sans doute leur ancrage en mémoire.
  • Le radical du futur simple et celui du conditionnel présent sont une seule et même forme, sans exception : je les présente donc, à des fins didactiques, dans une même cellule. Ce n’est pas le cas des radicaux respectifs de l’imparfait et du participe présent qui diffèrent pour trois verbes : savoir, avoir et être. Si je présente néanmoins ces paradigmes dans une même cellule, c’est par souci de privilégier les régularités du français (et cela ne nous empêche nullement de mentionner les irrégularités le cas échéant). En procédant ainsi, je fais apparaitre cette forme de système dont j’ai parlé plus haut : des liens morphologiques évidents et réguliers assemblent les temps et modes du français en un système cohérent. Et une telle étude systémique confèrera à l’élève une assurance réfléchie au moment de conjuguer les verbes de ses écrits.
  • Comment formuler la construction d’un verbe ? A l’aide d’un métalangage notifiant les classes de mots (verbe, groupe nominal, préposition…), les fonctions syntaxiques (complément essentiel, non essentiel, complément direct/indirect de verbe…) ou les valeurs sémantiques (complément de temps, de manière, etc.) ? Lorsqu’il s’agit de spécifier la construction d’un verbe, il me parait nécessaire de puiser des notions dans chacune de ces catégories conceptuelles. La notion de complément essentiel, par exemple, fera prendre conscience qu’un verbe doit être, ou non, nécessairement accompagné d’un complément pour une acception donnée. Le terme « préposition » sera nécessairement employé lorsque c’est le verbe qui, pour l’un de ses emplois, détermine ou régit l’usage de telle ou telle préposition (changer de, rêver de, penser à…). Enfin, les verbes employés sans complément d’objet (pour ne citer qu’eux !) sont souvent accompagnés d’un complément circonstanciel de manière, de fréquence, etc. : il chante parfaitement, elle peint magnifiquement, je dors mal ces temps-ci… En somme, il me semble que le choix du métalangage grammatical à adopter est fonction de l’objet à décrire.


Dans la fiche suivante, élaborée par deux étudiantes et consacrée au verbe envoyer, d’autres choix de présentation sont visibles. Précisons qu’il s’agit d’un premier jet, qui a appelé quelques commentaires en classe :



Quelques commentaires :

  • Dans ce document, c’est le nombre de radicaux qui détermine les regroupements de temps et modes. Dans la fiche que j’ai élaborée, les temps et les modes sont répartis à priori dans des cellules. La fiche des étudiantes a le mérite de mettre en évidence le nombre total de bases à retenir pour un verbe.
  • Pas de terminaisons dans la fiche qui précède. Elle gagne ainsi en lisibilité. On peut convenir que le fichier de la classe débute par un rappel général des terminaisons (toujours identiques, quels que soient les verbes, concernant les temps et modes traités dans cet article, sauf pour le présent de l’indicatif, l’impératif, le passé simple et les verbes être et avoir au subjonctif).
  • Dans la rubrique « construction », les étudiantes se sont contentées d’exemples. Pourquoi pas ? Les élèves peuvent en inférer une structure générale pour telle ou telle acception, même inconsciemment.
  • Enfin, dans la rubrique « signification », il eût été plus heureux de ne pas définir envoyer par lui-même…
  • Recherchons la formulation la plus simple et la plus générale pour les règles. Par exemple, pour aider au choix entre y et i dans la conjugaison d’envoyer, il aurait suffi d’indiquer « i » + « e » muet, comme dans il envoie, tu envoies



Apprentissages

Bien sûr, il est question que le fichier soit utile à l’élève en situation de production écrite ; à cette fin, il est nécessaire que ce répertoire regroupe des verbes à la fois courants et variables en forme, et que les fiches soient correctement classées.

Les apprentissages essentiels seront accomplis au moment d’élaborer les fiches. Les élèves seront sensibilisés à la variabilité des radicaux et des constructions syntaxiques des verbes. Ils acquerront des automatismes à force de constater des récurrences morphologiques et de les associer à des temps et modes déterminés (comme par exemple le fait de prendre conscience que très souvent, le futur simple et le conditionnel se construisent tous deux à partir de l’infinitif, ou encore que l’indicatif imparfait et que la 1re personne du pluriel du présent de l’indicatif partagent le même radical, à une exception près).



Pierre-Yves Duchâteau


1. GOURDET Patrice, COGIS Danièle et ROUBAUD Marie-Noëlle, « L'enseignement d'une notion-clé au primaire : le verbe », in CHARTRAND, Suzanne-G. (dir.) (2016). Mieux enseigner la grammaire : pistes didactiques et activités pour la classe, Montréal, Editions du Renouveau pédagogique inc.

2. Les temps et modes ajoutés par moi me paraissent nécessaires pour qu'une ébauche de système morphologique voie le jour dans l'esprit de l'élève au fil de l'élaboration du fichier de conjugaison... système sur lequel l'enseignant insistera au moment d'esquisser avec la classe le modèle de fiche idéal : « Et si nous regroupions le conditionnel et le futur simple, puisqu'ils ont toujours le même radical ? On pourrait également regrouper l'indicatif imparfait et le participe présent, malgré être, avoir et savoir qui ont des radicaux différents à ces deux temps. Vous êtes d'accord ? »

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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