Album (38) : « Les doigts coupés » de Hannelore Cayre

Un roman accessible aux jeunes, brassant plus d'une thématique et qui enchantera le prof d'histoire.


Informations bibliographiques

Auteurice : Hannelore Cayre
Éditeur : Métailié
Format : 192 pages
Année d'édition : 2024


Un mot sur l'autrice

Hannelore Cayre est avocate pénaliste, elle est née en 1963 et vit à Paris. Elle est l'auteur, entre autres, de Commis d'office, Toiles de maître et Comme au cinéma. Elle a réalisé plusieurs courts métrages, et l'adaptation de Commis d'office est son premier long métrage.

Elle a écrit le best-seller La Daronne (Métailié, 2017) porté à l'ecran en 2020. Elle est lauréate du Grand Prix de Littérature Policière et du prix Le Point du Polar Européen.1





Présentation du roman

RÉSUMÉ

En découvrant le squelette d’une femme dans une grotte, la paléontologue n’a pas seulement mis au jour une sépulture vieille de 35 000 ans, mais également la première scène de crime de l’Histoire.
Quelle révélation est allée colporter Oli, cette femme venue du fond des âges, entraînant à sa suite l’humanité dans un chaos irrémédiable ? Qu’a-t-elle voulu nous dire en plaçant l’empreinte de sa main mutilée au centre de cette fresque de la douleur et de l’impuissance ? “Regardez donc ce qu’ils m’ont fait” ; “Regardez, ce qu’ils nous ont fait subir à nous toutes !”
Oli veut être une chasseuse car la chasse est interdite aux femmes. Comme toutes les héroïnes de l’auteur, elle est portée par le même vent de liberté et elle revendique avec une âpre autorité et un humour caustique son droit au bonheur.
D’une plume hilarante et acérée comme la lance de sa chasseuse, Hannelore Cayre mène le lecteur ravi au cœur de la préhistoire sur les traces de nos origines et joue avec notre avidité à écouter des histoires.

Source : https://editions-metailie.com


TEXTE


Les Doigts coupés d’Hannelore Cayre, paru en 2024, démarre au quart de tour  : en creusant un trou destiné à accueillir une piscine, un ouvrier polonais met à jour une sépulture très ancienne. Mise au courant, l’archéologue Adrienne Célarier est persuadée que cette découverte fera date. Elle a même invité des blogueuses féministes à la conférence qu’elle s’apprête à donner devant un parterre de journalistes avides de révélations. Car ce qu’elle a à dévoiler...

« à tous ces gens venus l’écouter est un corps féminin […] en très bon état. Un corps et un contexte incroyablement riche.»

La suite est passionnante. On lit en parallèle le récit des aventures de la jeune Oli, advenues il y a 35 000 ans, et l’exposé des résultats de la recherche de l'archéologue-paléontologue. On apprend en ouverture que la période remontant à 35 000 ans avant notre ère...

« a été le théâtre d’un bouleversement anthropologique sans précédent, marqué par la confrontation d’une race humaine à une autre : nos ancêtres remontés d’Afrique remplaçant sur leur territoire les homo neandertalis présents en Europe depuis 300 000 ans. »

Et des bouleversements, il y en aura quelques-uns à cette époque. A commencer par les premiers soubresauts d’une conscience féministe, symbolisée par la rébellion d’Oli contre le statut des femmes, propres à

« s’occuper des enfants, allumer et surveiller le feu, vider les animaux et broyer leurs os, glaner des plantes et des racines… Tous les jours recommencer… »

Rébellion qui lui vaudra de perdre quelques phalanges, sectionnées par les ainés de la tribu, gardiens de l’ordre hors duquel il n’est que chaos.

On pourrait d’ailleurs reprocher à Hannelore Cayre une écriture assez démonstrative, qui égrène au fil de la parabole d’Oli toutes les découvertes anthropologiques récentes et plus anciennes. On pourra au contraire lui savoir gré de nous instruire d’une façon aussi captivante, en illustrant le propos scientifique par les aventures d'une jeune fille en quête de liberté. Quoi qu’il en soit, cette combinaison de tons (didactique et épique) rend le roman lisible dès l’âge de 15 ans, me semble-t-il, d’autant qu’Oli, la protagoniste, est à la fois ado, rebelle et dotée d’un superpouvoir (le propulseur de javelines que sa sœur lui a conçu).




Pistes d'exploitation didactiques


Les thématiques abordées dans le roman sont nombreuses : féminisme, rencontre de l’altérité, plaisir des sens, découverte du rôle du sperme dans l’enfantement, sens de la mort, expérience du beau, sens de la peinture pariétale, découvertes technologiques (dont le propulseur ci-dessus illustré), premiers mythes, pour ne citer que les plus évidents. Dans les notes qui suivent le récit, Hannelore Cayre énumère et commente les nombreuses sources scientifiques qui ont contribué (parfois fortement, reconnait-elle) à façonner son livre.

Le début du roman pourra se lire en classe. La mise en place du dispositif narratif est brève et efficace. Une fois que les termes du contrat de lecture sont clairement établis, une fois, pour le dire autrement, que les élèves ont accepté d’entrer dans le jeu fictionnel mis en place par l’auteure et ont une idée assez claire de ce qui les attend et de ce qu'ils y cherchent, la lecture se fera individuellement.

Je suggère d’inviter les élèves à annoter le texte au crayon : ils noteront en marge les thématiques reconnues, lesquelles seront listée lors d’une socialisation. Puis, en sous-groupes, les élèves creuseront ces thématiques, en les reliant explicitement aux mots du roman et en se documentant aux sources citées par l’auteure. Pour clore ce travail, chaque sous-groupe exposera ce qu’il aura relevé de pertinent concernant le sujet qui lui aura été attribué.

On se sera ainsi documenté sur une période riche et cruciale de notre histoire, on aura « pressuré » en grande partie le roman (on en aura tiré un sens riche) et on aura expérimenté deux stratégies de lecture : mettre en regard ses attentes et l'intention d'un auteur (établir les termes d'un contrat de lecture) et envisager le sens d’un texte par les thématiques qu’il brasse.



Avertissement

« Les hommes ; quelle plaie.
Pourquoi occupaient-ils tout le temps l’esprit des filles alors qu’avec leur odeur, leur sexe pendouillant et leur regard concupiscent de bête en rut, ils étaient dégoûtants ? Elle observait les mains du Crétin malaxer les seins de sa sœur, sa langue pénétrer dans sa bouche et ce mélange des corps qu’elle trouvait pourtant infect lui faisait inexplicablement de l’effet. »

J’ai précisé plus haut que ce roman pouvait s’adresser à des jeunes de 15 ans et plus. Chacun jugera2… Quoi qu’on en pense, l’auteure envisage la femme et l’homme de l’Aurignacien3 comme des êtres en contact étroit avec la nature et que ne perturbent pas encore des considérations morales ou le sens de la pudeur. La pensée semble alors, chez ces êtres, essentiellement intuitive et empirique, même si elle s'appuie sur des savoirs acquis. Le plaisir des sens, qu’ils ne lient d’ailleurs pas encore très clairement à la procréation, est sans doute l’un des seuls qui leur soient possibles.

Pourtant, tout occupés qu’ils sont à survivre et à suivre naturellement leurs désirs, les chasseurs-cueilleurs imaginés par l’auteure parlent dans un langage articulé, élaboré et même pourvu d’une certaine gouaille, sont capables d’évoquer le passé, d’enseigner leur savoir et élaborent même un embryon de pensée philosophique, comme en témoignent les pochoirs de mains mutilées sur la paroi d’une grotte. Oli, enfin, notre héroïne, développe une réflexion et une attitude autonomes par rapport aux relations sexuelles :

« Faire ça avec ses vieux oncles ou le Crétin, il n'en était pas question. Ne serait-ce que parce qu'elle revendiquait un minimum de curiosité et de mystère pour en avoir envie et là c'était juste inconcevable... » 

Toutes ces capacités prêtées à l’Homo sapiens ne sont pas fantaisistes. Les spécialistes s’accordent en effet sur le fait que les capacités cognitives de l’homme d’il y a 50 000 ans sont les mêmes que les nôtres. Seules des avancées culturelles expliquent en ce qui nous concerne une plus grande diversité des potentialités intellectuelles.

Une autre voie d’entrée dans le roman serait de comparer ce monde reculé avec le nôtre, et d’estimer combien nous nous sommes éloignés de la nature, pour le meilleur et pour le pire (pensons aux innovations un peu folles de l’ingénierie moderne en matière d’intelligence artificielle et d’armement, ou à la manière dont nous avons bouleversé le climat). Les élèves seraient ainsi amenés à questionner le rapport de l’homme moderne avec son environnement, question actuellement cruciale.

En somme, pour tout cela, nous pouvons remercier Hannelore Cayre d’avoir osé commettre ce texte surprenant et gigogne !



Pierre-Yves Duchâteau


1. https://editions-metailie.com

2. On peut bien sûr faire lire des extraits pour contourner les scènes érotiques et éviter remarques diverses et discussions scabreuses. Même si ce texte peut susciter des discussions sur le mystère, la curiosité, le respect, le consentement.

3. « L' Aurignacien est associé [sur] le plan matériel à la production d’outillage élaboré à partir de lames et de lamelles, à une industrie osseuse très spécifique [combinée] au développement d’une large gamme d’expression symbolique : parure, art mobilier et pariétal. La chronologie de cette vaste phase culturelle perceptible à l’échelle européenne s’étend depuis 43 000 jusqu’à 35 000 ans» (https://archeologie.culture.go)

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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