Un peu de « feel good » avec les débutants en FLE, ça ne peut pas faire de mal !

La mission du professeur de FLE est avant tout de donner à ses apprenants les outils pour communiquer, le plus souvent (et le plus tôt possible) oralement. Mais avec des débutants qui connaissent à peine quelques mots, n’est-ce pas mission impossible ? Pas si l'on instaure un climat de classe serein et bienveillant. Voici une séquence « feel good », consacrée aux petits bonheurs du quotidien, qui va vous y aider, tout en remontant le moral de vos apprenants (et peut-être aussi le vôtre...).


On le sait, les défis sont nombreux lorsqu’on s’adresse à un public d’apprenants débutants. Disposant de peu de moyens linguistiques, ils ont peur de parler, ce qui donne lieu à des réponses en monosyllabes, voire carrément à un refus de s'exprimer, causé par un fort sentiment de frustration.

Du côté de l'enseignant, comment ne pas se sentir désemparé face à une classe extrêmement hétérogène, composée d’apprenants de provenances, de cultures et de langues maternelles différentes, bien souvent sans langue véhiculaire commune. Certains principes fondamentaux de l’enseignement de FLE, qui ont pourtant prouvé leur efficacité, sont alors mis à mal. Comment privilégier l'oral ? Comment utiliser des documents authentiques (pour l’écoute en particulier) avec des niveaux A1, le débit étant bien souvent trop élevé, le langage trop oral, sans parler des parasites (sonores et linguistiques) qui gênent la compréhension ?

Ne nous décourageons pas ! Comme dans un article précédent1 , voici une séquence qui vous aidera à tenter l'expérience.


LE CHOIX DE LA THÉMATIQUE

D’après le CECR, le niveau A1 implique, en réception et en production, de pouvoir s’exprimer de manière limitée et simple sur des sujets rigoureusement personnels, qui gravitent autour de soi (l’environnement proche, la famille, la vie quotidienne, les gouts, etc.).2 En outre, le choix d’une thématique, s’il n’est jamais anodin pour la conception d’une leçon, est encore plus décisif avec des apprenants de langues (et surtout de cultures) étrangères. Certaines sont à éviter, dont les plus évidentes sont la politique ou la religion, pour ne pas heurter les sensibilités. On privilégiera un sujet qui peut parler à chacun, tout en le touchant suffisamment pour lui permettre de s’exprimer sans entrer dans une sphère trop intime (l’apprenant choisit alors de se dévoiler ou non). Optons dès lors pour le bonheur, non pas avec un grand B, mais bien au quotidien, les petites choses de la vie qui, si on sait les reconnaitre, peuvent égayer la journée.

Le facteur motivationnel d’une thématique de ce genre est important car chacun peut l’adapter à sa réalité, tout en gardant une forme de contrôle sur ses émotions. De même, les échanges naissant autour des différents petits bonheurs peuvent donner lieu à de belles discussions, voire faire naitre des sourires. Et en plus, l’effet est garanti : tout le monde en ressort de bonne humeur !



La séquence « Parler des petits bonheurs »

 Compréhension orale : Il en faut peu, pour être heureux3

Ce premier document authentique sert d’entrée en matière et ne sera pas exploité finement. Il a essentiellement pour but d’installer un climat serein et détendu en classe. Mettez-le en fond sonore dès l’entrée en classe des apprenants, c’est magique, ce petit rythme jazzy... Vous sentez ce petit mouvement de vos épaules, cette envie de fredonner ?



En guise de pré-écoute, on introduira le récit du Livre de la jungle qui, en fonction du public, pourrait ne pas faire partie de la culture commune.

Le but n'est cependant pas ici de réaliser un exercice de compréhension orale sur l’intégralité de la chanson, qui serait trop ambitieux pour le niveau concerné. Au contraire, voici une belle opportunité de se limiter à une compréhension globale du message. Ce type de démarche consistant à saisir l’essentiel d’un message sans forcément tout comprendre est très important à développer, notamment chez les apprenants débutants, qui sont sans arrêt (au cours, mais surtout dans la vie quotidienne) confrontés à des échanges qu’ils ne comprennent pas. Il nous revient donc de les aider à développer des stratégies de compréhension « de survie » face à ces situations. 

Des stratégies à développer pour saisir le sens global d’un échange oral4
- Se servir du contexte : il faut apprendre à faire feu de tout bois et à utiliser tous les éléments révélateurs (décor, fond sonore, atmosphère, circonstances, apparences des interlocuteurs) intervenant dans la situation, qui peuvent aider à la comprendre.
Ex. dans la chanson qui nous occupe : la mélodie et son rythme jazzy indiquent que l’atmosphère invite à l’humour et à la détente.
- Utiliser au maximum les supports mis à disposition : les images accompagnant le document fourni délivrent de nombreuses informations, tout en étant plus faciles à décoder grâce à leur dimension visuelle.
Ex. pour la chanson : diffuser le clip vidéo qui l’accompagne, en s’arrêtant sur quelques images montrant Mowgli et Baloo contents de leur sort  (dansant, mangeant des bananes, etc.).
- Accepter l’incertitude : se concentrer sur ce que l’on comprend et pas l’inverse, car si les apprenants restent « bloqués » sur un passage qu’ils n’ont pas saisi, ils « se privent alors de toutes les informations suivantes »selon Defays (2003), « cette attitude doit autant faire l’objet d’explication que d’exercices ».


Pour ce faire, commençons par recueillir les ressentis des apprenants suite à l’écoute.

1) Que ressens-tu en écoutant cette chanson ? 


2) Et les personnages ?
--> Les personnages eux aussi sont joyeux. Ils mangent, dansent, boivent.


3) Concentre-toi sur le refrain. Qu’entends-tu exactement ? Complète les blancs.
--> Il en faut peu pour être ... vraiment très peu pour être .... Il faut se satisfaire du ....


Travail de l’écoute, un petit conseil

Les exercices d’écoute sont particulièrement difficiles et parfois mal vécus, surtout avec les petits niveaux. Il convient de soutenir les apprenants en les aidant à se concentrer sur un petit nombre de segments précis (les plus audibles) qui sont :
- situés en début ou en fin d’énoncé
- répétés
- à la rime


4) Baloo dit : « Pour être heureux il faut un peu de miel et de soleil…  ». 
Et toi, qu’en penses-tu ? Réponds selon le modèle.

--> Pour moi, pour être heureux, il faut...


Cette petite exploitation globale de la chanson est conclue en sollicitant le sens personnel des apprenants. Ils sont invités à convoquer leur propre opinion et donc à produire un énoncé personnel en français. Ils sont épaulés dans cette tâche par la structure imposée (Pour moi, pour être heureux, il faut) à compléter.


Lecture d'extraits de l’album, Petits bonheurs de Soledad Bravi et Hervé Éparvier3



D’un format carré assez réduit (une quinzaine de centimètres), il fonctionne par double page, l’une consacrée au texte (centré), l’autre à un dessin (qui contient parfois du texte). Celui-ci est réalisé grâce au coup de crayon très souple de Soledad Bravi, une artiste pleine d’humour dont je vous ai déjà parlé et qui n’a pas son pareil pour traduire, avec le sourire et en quelques traits, nos petits travers du quotidien. Le tout est en noir et blanc agrémenté d’une seule couleur, le rouge, qui met en relief un détail pertinent (un verre de vin, une écharpe, une valise) de chaque page.


1. Exploitation de l'album

Cinq planches sont proposées à la lecture des apprenants. Après s’être assuré de leur bonne compréhension, le but est de leur faire reformuler ce qu’ils voient, en leur proposant des énoncés-types : il/elle est content(e) quand… ; la personne aime… ; pour lui/elle, le bonheur, c’est


> Quel est le point commun de ces différentes images ? Que représentent-elles ?
--> Les moments agréables, les petits bonheurs de tous les jours (au quotidien).

Cette question convoque chez l'apprenant une compréhension qui peut être qualifiée de fine car elle exige de lui plusieurs opérations mentales : comparer et associer les images pour en dégager les points commun (la mise en scène d’une forme de joie, de plaisir ressentis dans différentes situations) et les mettre en lien avec son propre vécu, ce qui permet de les classer dans les situations de la vie quotidienne, assez banales, que chacun pourrait vivre.


L'exploitation se poursuit : chaque apprenant choisit une image issue de l'album et se l'approprie. Il produit un énoncé personnel qui lui correspond, sans pour autant tenir compte de la phrase qui l'accompagne.


Exemple :  Pour moi, le bonheur c'est quand il fait chaud et qu'on voit le soleil, c'est pas souvent en Belgique ! 


Apprentissages linguistiques travaillés durant la séquence
- Quand je… + indicatif présent (verbes réguliers) : envisageable même si seul le 1er groupe a été vu, la thématique permet d'élargir le vocabulaire en amenant de nouveaux verbes à conjuguer.
- Il faut + INF : structure d’obligation à intégrer dans l’énoncé « pour être heureux, il faut… »

Niveau lexical :
- le vocabulaire des activités quotidiennes, les habitudes
- les adjectifs en lien avec les émotions positives 


2. Exercices

a) Écris toi-même le texte que tu imagines pour correspondre à ces images

Ton texte

Ton texte


b) Quelles sont les activités que tu réalises au quotidien ? Fais une liste.
Au besoin, va voir les mots sur ton téléphone ou demande à ton prof.


Pour fixer les structures et notions vues précédemment, les exercices peuvent être multipliés afin de préparer à la tâche finale.




 3. Production finale

Consigne :
À la fin de l'album, les auteurs te demandent quels sont tes petits bonheurs. Réponds-leur en réalisant une double page (ou plusieurs !) similaire(s) à celles de l'album, avec un dessin et une phrase. À toi de jouer !


Nous choisissons donc d'intégrer l'acte de dessiner à la production, car il va précisément soutenir l'apprentissage linguistique. En effet, l'utilisation du corps pour apprendre a souvent été mise en évidence comme un agent facilitateur. Plusieurs études ont montré que « les systèmes cognitif et sensorimoteur sont intimement liés et que l'interaction entre le corps et l'environnement favorise les apprentissages  dans des domaines tels que la lecture, l'arithmétique, le langage, la résolution de problèmes ... (Chandler et Tricot, 2015 ; Kiefer et Trumpp, 2012 ; Pecher et Zwaan, 2005 ; Pouw, van Gog, et Paas, 2014 ; Pulvermüller, 2005) ».6  Pour le langage, en particulier, Tricot ajoute que « l’apprentissage de mots de vocabulaire nouveaux est facilité par l’association de la trace verbale à un geste représentant le mot, que ce soit dans la langue maternelle, une langue étrangère ou une langue artificielle (Kelly, McDevitt, et Esch, 2009 ; Macedonia et Knosche, 2011 ; Macedonia, Muller et Friederici, 2011) ». Sans extrapoler davantage, on peut imaginer qu'associer un dessin à un mot, voire à une structure linguistique, peut aider à la mémorisation.

En outre, la dimension ludique de l'exercice, ainsi que la mobilisation de la créativité des apprenants contribuent également à rendre l'exercice agréable, tout en instaurant une atmosphère détendue dans la classe.

CONCLUSION

Cette petite séquence pourrait évidemment être déclinée plus longuement, soutenue par d'autres documents authentiques et l'introduction de structures plus complexes. Si vous trouverez d'autres séquences traitant de cette thématique (souvent mobilisée) sur Internet, il me semble que celle-ci se veut vraiment adaptée à un niveau de vrais débutants (tant pour l'écoute, réalisée globalement, que pour la lecture, qui se résume à quelques phrases) et devrait les motiver. Elle fait, en outre, intervenir plusieurs principes de base prônés dans l'enseignement du FLE : la sollicitation constante et active de la parole, le recours aux documents authentiques, l'instauration d'un climat bienveillant et de nature à faciliter les échanges, la motivation liée à la créativité.

Bon amusement ! Et, rappelez-vous, il en faut peu...

Amélie Hanus



1. Hanus A. (2022),  « Trouver le partenaire idéal... Une séquence de FLE à mener avec des débutants », DUPALA. En ligne : https://dupala.be/article.php?... consulté le 9/02/2023.

2. Conseil de l'Europe. Grille pour l'autoévaluation. Niveau A1 (2012). En ligne : https://rm.coe.int/CoERMPublic... consulté le 9/02/2023.

3. La version française est de Jean Stout et Pascal Bressy https://www.youtube.com/watch?... (consulté le 10/02/23). La version originale, en anglais, s'intitule The Bare Necessities de Terry Gilkyson, créée pour le film d'animation de Disney sorti en 1967.

4. Inspiré de Defays J.M. (2003), Le français langue étrangère et seconde. Enseignement et apprentissage, Sprimont, Mardaga.

5. Bravi S. et Éparvier H. (2021), Petits bonheurs, Paris, J.-Cl. Lattès.

6. Bara Fr. et Tricot A. (2017), « Le rôle du corps dans les apprentissages symboliques : apports des théories de la cognition incarnée et de la charge cognitive », Recherches sur la philosophie et le langage, pp. 219-249. En ligne : https://hal.science/hal-018891... consulté le 12/02/2023.

Auteur

Amélie Hanus

Maitre-assistante en français, didactique du français et du FLES, professeure d'italien. Intérêt particulier pour la littérature, la lecture, la musique (classique et jazz), l'organisation d'événements culturels, l'Italie, l'italien.

Réagissez à cet article

Derniers articles

Exploitation de l'album « L’Argent » avec des élèves de 3e commune

Visite à la Foire du Livre

Lire, le propre de l’homme ?

Le débat en classe : piste didactique

Un escape game pour mobiliser les lectures de l'année