Récit d'expérience de Sarah Viatour, professeure de français et de religion au Collège Saint-Louis à Liège.
Sarah Viatour, étudiante diplômée de HELMo Sainte-Croix l'année dernière (juin 2021), a entamé sa carrière professionnelle au Collège Saint-Louis à Liège. Lors de cette première année en tant qu'enseignante, elle a pratiqué le coenseignement dans le cadre du cours de religion. Elle nous livre dans cette interview le récit de son expérience.
- Peux-tu nous expliquer ton contexte d'enseignement et ton contexte professionnel ?
Je suis enseignante depuis le mois de septembre au Collège Saint-Louis à Liège. C'est ma première année. J'ai 18h de religion et 5h de français. J'enseigne en coenseignement dans la classe de 2L, qui est donc la classe où l'on rassemble les élèves qui ont échoué au CE1D l'année passée. Le dispositif du coenseignement est un projet qui a été établi cette année car d'habitude, ce sont deux classes de doublants de plus ou moins une quinzaine d'élèves. Cette année, l'équipe pédagogique a décidé de rassembler les deux classes pour tenter la pratique de coenseignement avec ce public.
- Cette pratique, d'où vient-elle et comment en êtes-vous arrivés à opter pour cette solution ?
Ce choix a été posé en juin 2021, lorsque je ne faisais pas encore partie de l'équipe. Au terme de cette décision, mes collègues ont suivi une formation de 2 journées au mois d'aout. Il y a eu une deuxième journée durant l'année scolaire. Le but de ces journées de formation était de leur présenter différentes pratiques de coenseignement. Pour ma part, j'ai suivi la même formation1, en condensé, par wébinaire avec Sophie Vanden Plas du SEGEC2.
- Combien d'élèves avez-vous par classes et combien d'enseignants interviennent dans ce dispositif ?
Dans cette classe de 2L, on fonctionne en coenseignement pour toutes les matières. Donc deux professeurs pour chacune des disciplines (sciences, éducation physique, math, français, religion, EDM, etc.). Nous avons 26 élèves dans cette classe, ce qui est plutôt confortable puisque nous avons d'autres classes composées du même nombre d'élèves mais où l'enseignant est seul.
- Personnellement, que retiens-tu de cette pratique de coenseignement, en tant que jeune enseignante ?
La collaboration. Même si, traditionnellement, on est amené à collaborer avec les collègues, dans le cadre du coenseignement, la collaboration est obligatoire et perpétuelle. On ne peut pas décider de faire quelque chose sans son collègue et, en même temps, on apprend de l'autre. Si on a une idée, on la partage et grâce aux apports du collègue, notre proposition va être enrichie. Comme on dit : « Il y a plus d'idées dans deux têtes que dans une. » En ce qui me concerne, j'ai la chance de travailler avec une collègue qui a déjà 30 ans de carrière, Mme Fabienne Petit. On coenseigne dans le cadre du cours de religion. Grâce à son expérience, j'apprends beaucoup d'elle et, de mon côté, j'arrive avec ma non-expérience et mes idées parfois novatrices. Parce qu'elle est ouverte à tout ce que je suggère, nos propositions fonctionnent bien et on aboutit souvent à un bon résultat. On fonctionne vraiment sous la forme d'une coopération, ce qui est très chouette.
- Quel type de modèle de coenseignement mettez-vous en place, le plus régulièrement ?
Habituellement, on opte pour le rôle d'assistant. En fait, cela se répartit comme suit : il y en a une qui donne cours et l'autre qui gère la dimension organisationnelle/disciplinaire. L'assistante vérifie si les élèves prennent bien note, s'ils sont attentifs, etc. En fin d'année, suite à la pratique, on arrive maintenant à mettre en place le coenseignement partagé, c'est-à -dire qu'on se succède dans la prise de parole. L'une parle pendant 5 minutes, puis l'autre complète, et ainsi de suite. Dans ce modèle, on arrive à prendre part au cours toutes les deux, de façon équitable pendant les 50 minutes, sans avoir établi qui parle quand au préalable. En début d'année, on avait préféré éviter ce modèle car on ne se connaissait pas bien. À ce moment, on avait précisément établi nos rôles : qui prend en charge quelle partie. Maintenant, on est arrivées à une pratique plus fluide. On se complète mutuellement.
Source : Sophie Vanden Plas
Pour consulter les différents modèles du coensignement : Modèles coenseignement
Par moments, on a aussi opté pour le rôle d'observateur, puisque nécessairement quand on ne donne pas le cours, on a davantage l'occasion d'observer les élèves. En équipe pédagogique, on a créé, en début d'année, une grille d'observation qui est valable pour les différents cours et les différents professeurs. Elle reprend des compétences transversales de savoir-être telles que le travail à domicile, le respect des consignes, l'attention en classe, etc. Évidemment, on n'observe pas les 26 élèves en même temps. On décide en début d'heure quel élève on va observer, pour compléter ces grilles individuelles. En ce qui nous concerne, on a décidé d'utiliser ces grilles afin d'adapter nos pratiques, au fur et à mesure de l'année. C'est donc prioritairement à destination des enseignants.
Pour consulter la grille d'observation complète : Grille-d-observation-2L
Du côté des élèves, nous avons décidé d'utiliser l'outil « tétraèdre ou tétra'aide »3 grâce auquel l'élève peut indiquer dans quelle posture, dans quel état d'esprit il se trouve (« ça va / ça va pas »). Au cours, l'élève peut positionner son tétraèdre selon son humeur du jour. En classe, cela permet à l'enseignant de voir qui est disponible pour travailler, qui en a envie. C'est une classe avec des élèves dont la motivation est faible, voire en situation de décrochage scolaire. Ils sont démotivés car ils ne se sentent pas tirés vers le haut dans cette ambiance de classe. C'est souvent compliqué à gérer…
Source : https://cpe.ac-dijon.fr/spip.p...
- Comment gérez-vous les élèves qui n'ont pas envie de travailler et qui l'ont signifié ?
On a opté pour une solution pratique. En fait, initialement, il y avait deux classes distinctes. Le mur mitoyen a été supprimé et remplacé par un volet que l'on peut donc ouvrir ou fermer selon nos besoins. Cette solution nous permet aussi parfois de mettre en place un coenseignement en parallèle où chaque enseignant travaille avec une partie du groupe, dans un espace propre, puisqu'on peut alors séparer la classe. Dans ce cas-là , soit on fait des groupes de niveau, soit des sous-groupes restreints pour des raisons pratiques, par facilité. Ce volet permet de fermer la classe à certains moments. Dès lors, on peut dissocier les élèves qui ne veulent pas travailler et les mettre dans ce deuxième côté de la classe. On leur propose alors d'autres types de tâches, le plus souvent des exercices d'entrainement, de drill. Ceux qui veulent approfondir peuvent rester dans la première partie de la classe. D'autres élèves qui auraient décidé de ne pas travailler peuvent alors se réunir dans la deuxième partie de la classe et ainsi éviter de distraire les autres.
- Il y a t-il des objectifs qui sont fixés pour les élèves ? Comment gèrent-ils leurs apprentissages ?
Au début de l'année, les titulaires ont construit une charte avec les élèves afin de fixer collectivement les objectifs. Les attendus n'ont pas été imposés par les enseignants, mais coconstruits avec les élèves. Malheureusement, cela ne porte pas toujours ses fruits, car si un élève refuse d'y adhérer, il n'a pas de sanction. C'est vraiment basé sur son autonomie et son envie d'apprendre. C'est un choix volontaire de ne pas sanctionner les élèves : on ne veut pas tomber dans un dispositif coercitif.
Charte construire avec la classe des 2L
Face au manque d'implication de certains élèves, nous avons alors opté pour la création d'un coin « Bob l'éponge ». Si un élève n'a pas son matériel, n'est pas en ordre ou a exprimé son refus de travailler, alors il est dirigé vers ce coin « calme » où diverses activités sont mises à sa disposition (ex : coloriage de mandalas, …). Quand un élève est trop distrait ou lorsqu'il déconcentre trop les autres élèves de la classe, on l'envoie 10 minutes là -bas. Quand il revient, il est davantage disponible pour travailler. C'est une espèce de « sas calmant » et cela fonctionne bien pour certains élèves.
- Y a-t-il un plan de travail personnalisé pour chaque élève ?
Non, pas vraiment. On va plutôt tenter de responsabiliser l'élève, car finalement cette deuxième chance en deuxième année, elle est salutaire pour eux : « Vous avez déjà eu une deuxième année, vous savez ce qu'on attend de vous. C'est à vous de travailler et nous nous sommes là , en tant qu'enseignants, pour vous aider, mais vous devez faire preuve de volonté. » Voilà le message qu'on leur fait passer. Par ailleurs , avant d'intégrer cette classe des 2L, nous effectuons une analyse des besoins de l'élève et nous nous assurons de sa motivation à recommencer sa deuxième année.
- Quelles conclusions, quelles analyses tires-tu de cette expérience ?
Pour certains élèves, le coenseignement est un plus, car les explications sont variables d'un enseignant à l'autre et peut-être qu'une manière de présenter les choses convient mieux. Toutefois, je trouve que dans cette classe de 2L, cela n'a pas si bien fonctionné. Je ne suis pas la seule à penser ça, d'autres collègues partagent mon analyse. La discipline dans cette classe est tellement compliquée à gérer qu'on en vient à les séparer constamment et à prendre chacune une moitié de classe. Au final, on revient à un mode de fonctionnement traditionnel, tel qu'il était d'application auparavant. Donc on s'est posé la question : allons-nous garder ou non ce dispositif du coenseignement l'année prochaine avec ce type de public ?
D'autres collègue pratiquent le coenseignement dans des classes du premier degré de transition et leur expérience est beaucoup plus positive, du fait que ce n'est pas une modalité continue. En effet, seuls quelques moments clés ou quelques heures de la semaine sont consacrés au coenseignement. Dans la classe de 2L, le fait que ce soit permanent, qu'il y ait constamment deux enseignants en classe devient l'habitude. À terme, finalement, cela ne change plus rien pour les élèves. Ils se comportent comme s'il n'y avait qu'un seul professeur. Ou alors peut-être est-ce nous qui nous y prenons mal et qui devrions revoir nos pratiques. Cela ne vient pas forcément uniquement d'eux…
Comme c'est une classe nombreuse avec beaucoup d'élèves en décrochage scolaire, finalement, la difficulté à gérer la classe n'est pas diminuée, au contraire. D'ailleurs, j'ai plusieurs collègues qui ont expliqué qu'il était plus facile pour eux de fonctionner seul avec un groupe réduit, plutôt qu'à deux avec un groupe plus important. Actuellement, nous nous posons beaucoup de questions et nous allons bientôt avoir une réunion afin de dresser collectivement le bilan de cette expérience, avec la direction.
À mon niveau, personnellement, ça a été une expérience assez riche car j'ai pu apprendre de mes autres collègues, puis c'était un dispositif inédit et original pour moi dans le cadre de ma première année professionnelle.
- Comment allez-vous dresser le bilan de cette expérience ?
Au cours de l'année, on a organisé beaucoup de réunions entre les enseignants qui participent à ce dispositif, c'est-à -dire l'équipe professorale de cette classe, afin de s'accorder sur les règles, le mode de fonctionnement et afin d'échanger autour de nos pratiques. L'équipe du SEGEC qui nous a accompagnés au début a prévu de revenir vers nous et de participer à l'évaluation de nos pratiques sur cette première année.
Merci à Sarah pour le temps consacré à cette interview.
Bonne continuation à elle, ainsi qu'à l'équipe pédagogique, dans la suite du dispositif !
Aurélie Cintori
1. Pour plus d'informations concernant cette formation : http://lenseignement.catholiqu...
2. Sophie Vanden Plas est professeure de français, spécialiste en méthode de travail, formatrice pour le CECAFOC et organisatrice du Festival Out of the Books : www.festivalootb.com
3. Pour plus d'informations concernant cet outil : https://cpe.ac-dijon.fr/spip.p...