Les figures de style : savoir incontournable, fin en soi ou tremplin ? Comment aborder ces procédés stylistiques pour qu'ils soient au service de véritables compétences de production et de réception ? Réflexions et esquisse de quelques pistes didactiques.
Parmi les savoirs traditionnellement enseignés au cours de français, on trouve inévitablement les figures de style. Comparaison, métaphore (filée ou non), litote, hyperbole, allitération, assonance, oxymore, chiasme, antithèse, allégorie, personnification, euphémisme, contrepèterie, gradation, paréchèse, calembour, paronomase, antonomase, périphrase, prosopopée, concaténation, pléonasme, synecdoque, métonymie, hypallage, homéotéleute, zeugma... Ces procédés stylistiques aux noms souvent savants et parfois obscurs (même pour les plus initiés), incontournables des leçons touchant à la poésie, donnent la plupart du temps lieu à une liste de définitions plus ou moins longue que les élèves sont invités à mémoriser (laborieusement) en vue de les restituer ou d'identifier et de nommer les figures présentes dans un extrait textuel imposé.
À quoi cela leur sert-il ? Telle est la question... En matière de figures de style, la tradition semble souvent primer sur la raison. Or, à l'heure où l'enseignement s'organise autour de compétences et d'unités d'acquis d'apprentissage, il convient de questionner la place et le rôle des savoirs, même les plus ancrés dans la discipline. Cet article a pour objectif d'ouvrir et de susciter la réflexion en vue, peut-être, de modifier certaines pratiques.
Savoir incontournable ?
Pourquoi les figures de style sont-elles considérées par les enseignants comme un incontournable du cours de français ? Le prescrit légal les présente-t-il comme tel ? Quelle place occupent-elles dans les programmes et le nouveau référentiel du tronc commun ?
Les figures de style semblent absentes du programme du 1er degré actuellement en vigueur. Dans les programmes des 2e et 3e degrés de transition et du qualifiant, force est de constater qu'elles sont mentionnées à quelques rares reprises sans jamais être détaillées (les programmes n'imposent donc aucune liste de figures de style à connaitre ou à maitriser), et ce toujours en lien avec les tâches amenant les élèves à manifester leur compréhension/interprétation de l'œuvre culturelle source (UAA 5 et 6).
L'examen du nouveau référentiel du tronc commun1 mène, quant à lui, à deux constats : le nombre de figures de style à aborder avec les élèves est limité (il s'agit de s'intéresser aux figures « majeures » : comparaison, antithèse, anaphore, personnification et ellipse en 2e secondaire ; auxquelles s'ajoute la métaphore en 3e secondaire) ; et l'accent est porté sur les effets :
Ainsi, les pratiques à visée purement théorisante évoquées ci-dessus ne sont pas induites par le prescrit, mais, comme l'a mis en évidence Nicole Biagioli, par la connotation patrimoniale des figures de style2. Parce que celles-ci constituent l'un des objets didactiques les plus anciens de la discipline français, « leur étude au collège est marquée par le clivage entre leur connotation patrimoniale littéraire et leur fonction dans l'outillage de la lecture et de la production écrite ».3
Au-delà des savoirs, on trouve les savoir-faire... C'est bien de cela qu'il est question. Enseigner les figures de style en tant que savoirs, sans outiller les élèves en termes de savoir-faire liés à la réception et la production de textes, c'est un peu comme apprendre à un bricoleur en devenir à nommer et à reconnaitre des outils, une scie circulaire par exemple, sans jamais lui expliquer ou lui montrer à quoi ceux-ci servent ni à les utiliser en contexte... Cela parait absurde, on en conviendra. Dans cet exemple, il n'est pas tout d'identifier et de nommer la comparaison introduite par le terme comme. Il est bien plus intéressant de comprendre que cette comparaison est utilisée pour insister sur le fait que les figures de style sont des outils langagiers, et pas seulement des savoirs.
En réalité, « comme le dit le rappeur Lucio Bukowski, les figures de style sont des " effets spéciaux ". Ce sont des procédés linguistiques qui ajoutent une dimension par rapport à l'expression la plus plate qui soit. Ce sont des techniques verbales qui permettent de dépasser le " niveau zéro " de la parole, et de produire des " sensations fortes " [...] ».4 Les figures de style sont donc des outils qui ont une fonction esthétique. Et c'est de cette manière qu'il faudrait les présenter au cours de français afin de pouvoir comprendre, interpréter et apprécier les textes lus ou écoutés et produire des effets dans ses propres productions écrites ou orales.
Les pièges à éviter
Se tromper d'objectif
Pour de nombreux élèves et anciens élèves, les figures de style évoquent des souvenirs peu agréables. Certains enseignants, conscients de cela, imaginent des activités plus ou moins ludiques qui se limitent cependant bien souvent à la mémorisation d'éléments théoriques décontextualisés.
Il ne s'agit pas seulement de rendre l'apprentissage théorique plus digeste, il convient de lui donner du sens. Or, relier des noms de figures de style à leur définition, associer des cartes « noms de figures » à des cartes « définitions » (à la manière d'un jeu des familles ou d'un domino) peut certes être ludique, mais ne permet pas de dépasser la mémorisation de savoirs.
Travailler au départ d'extraits décontextualisés
D'autres enseignants vont plus loin en demandant aux élèves de repérer et d'identifier les figures de style présentes dans des extraits choisis. Ces activités constituent la plupart du temps des activités de simple étiquetage puisque, d'une part, les élèves ne sont pas invités à s'intéresser aux effets produits, et, d'autre part, la brièveté des extraits et leur décontextualisation privent le lecteur de la saveur du texte et ne lui permettent pas toujours de profiter de l'effet produit par la figure de style employée. Par ailleurs, ce type d'exercices mêle bien souvent des extraits de poèmes, qui ont rarement de liens (thématiques, temporels, etc.) les uns avec les autres, choisis au hasard ou simplement parce qu'ils contiennent telle ou telle figure de style.
Ne pas s'intéresser aux effets
Même lorsque les activités portent sur un texte complet, il n'est pas rare de constater que les effets sont passés sous silence, comme si cet aspect était accessoire. Les activités proposées dépassent certes parfois l'étiquetage (l'élève devant repérer et identifier dans le texte les figures de style présentes), mais s'en éloignent souvent très peu. De nombreux manuels proposent des activités de ce type. Celles-ci ne sont pas totalement inintéressantes, mais sont tout du moins incomplètes.
L'activité reproduite ci-dessus est issue du Parcours 5 du manuel Instants Français 4e TQ/P, Paroles fortes, consacré au rap et aboutissant, d'une part, à un récit oral d'expérience de rencontre avec une chanson ou un clip de rap couplé à un avis argumenté (UAA 6 et UAA 4), et, d'autre part, à l'amplification d'une punchline (UAA 5). Après avoir écouté le rap àŠtre ou avoir de KKC Orchestra via son clip, les élèves sont lancés individuellement dans une activité de repérage de différentes figures de style. Le texte choisi est intéressant, mais, si l'on s'en tient aux consignes répertoriées dans le cahier des élèves, sa compréhension globale n'est pas abordée. Par ailleurs, les élèves ne sont pas invités à exprimer leur appréciation sur l'œuvre. Le texte est donc simple prétexte au repérage de figures de style : les élèves soulignent différents types de figures de style au sein du texte et justifient leurs réponses (autrement dit décrivent le procédé à l'œuvre dans le texte pour illustrer le fonctionnement de la figure) avant de les faire valider par l'enseignant. À aucun moment, les procédés ne sont mis en lien avec les effets recherchés et/ou produits...
Mettre toutes les figures de style dans le même panier, sans distinction
Bien souvent, les répertoires ou fiches-outils fournis aux élèves ou construits avec eux ne distinguent pas clairement les différentes catégories de figures de style. Celles-ci y sont classées selon l'ordre alphabétique ou l'ordre dans lequel elles sont travaillées en classe, sans que de réelles distinctions soient faites entre les figures de style qui portent sur le choix des mots et le sens, celles qui portent sur la construction des phrases et celles qui touchent au travail des sonorités.
Quelques pistes didactiques à explorer
Les pistes didactiques proposées ci-dessous visent à éviter, du moins partiellement, les pièges et difficultés qui viennent d'être mis en évidence.
Élargir et actualiser les horizons
On a tendance à enfermer les figures de style dans le travail portant sur des poèmes classiques. Ainsi, le premier contact des élèves avec ces procédés stylistiques a lieu au travers de textes qui leur parlent généralement très peu (parce qu'ils sont peu familiarisés au genre du poème ou qu'ils considèrent ces textes au langage peu accessible comme étant poussiéreux, volontairement peu compréhensibles, ou demandant des analyses savantes qui les dépassent). Par ailleurs, le travail des figures de style est souvent couplé à un travail d'analyse mécanique de la métrique (dont il y aurait aussi beaucoup de choses à (re)dire)... La motivation est rarement au rendez-vous.
Or, il existe, d'une part, des poètes contemporains, qui traitent de sujets proches des élèves et proposent dès lors des textes accessibles. C'est notamment le cas du poète liégeois Karel Logist.
D'autre part, d'autres genres poétiques, familiers des élèves, peuvent être exploités en classe tels que la chanson5 ou le rap. En effet, ces deux genres utilisent des codes proches de ceux du poème et font la part belle aux figures de style comme en témoignent, par exemple, l'article de Topito consacré aux figures de style dans le rap6 ainsi que l'ouvrage de Valentin Martinie7.
Outre les genres poétiques, d'autres genres recourent aux figures de style qui, au-delà de leur fonction esthétique, peuvent remplir d'autres fonctions. Ainsi, dans une argumentation, il peut s'avérer efficace d'utiliser des comparaisons et des métaphores pour donner corps à son propos. Plus largement, nous employons quotidiennement des figures de style sans nous en rendre compte ou en vue de produire tel ou tel effet sur notre interlocuteur... (« J'ai une faim de loup », « Je crève de froid », « Allons boire un verre », etc.). Amener les élèves à cette observation permettrait sans doute de désacraliser et de dépoussiérer ces procédés langagiers tout en leur faisant percevoir l'intérêt de les utiliser.
Enfin, pourquoi ne pas entrer par la porte des images, souvent plus accessibles ? La publicité8 et les campagnes de sensibilisation utilisent fréquemment les figures de style et offrent ainsi des exemples parlants aux élèves. Ces objets leur étant familiers, on questionnera et commentera aisément les choix des publicitaires et l'impact produit sur le public, les procédés et les effets en somme.
Donner du sens aux figures de style
- Travailler en contexte, partir du texte
Puisque les figures de style ne sont pas une fin en soi, mais des outils langagiers qui permettent, en situation de réception, d'interpréter et d'apprécier les textes et, en situation de production, de manier la langue pour produire des effets, il parait utile de les travailler dans le contexte d'un texte, progressivement, selon les besoins du texte et non en vue de construire un répertoire qui se veut/prétend exhaustif. Ainsi, on travaillera au départ d'une sélection de figures composée des figures rencontrées dans le texte travaillé, analysées au service de sa compréhension et de son interprétation, et caractéristiques du genre. Dans le cadre d'une séquence consacrée au rap, on pourrait imaginer bien sûr un travail sur les procédés de sonorité, mais également sur les comparaisons et métaphores, fort utilisées par les rappeurs.
- Partir des effets
Et si l'on renversait la tendance actuelle pour rendre aux effets la place qu'ils méritent ? Les procédés stylistiques n'ont de sens que par les effets qu'ils produisent. Reprenons notre comparaison : savoir nommer et manipuler une scie circulaire n'a d'intérêt que si l'on sait à quoi elle sert et ce qu'elle peut produire. Pour que les apprentissages touchant aux figures de style soient porteurs de sens, il convient, en situation de réception, de dépasser l'étiquetage et le repérage au profit d'un travail d'analyse et d'appréciation. Analyser une figure de style consiste à identifier le procédé stylistique employé par l'auteur ainsi que l'effet recherché et/ou l'effet effectivement produit sur le récepteur. Ce dernier peut sensiblement varier d'un récepteur à l'autre.
Dans cette activité, extraite d'une séquence d'Instants Français 6e-7e TQ/P consacrée à l'art engagé et aboutissant à une tâche liée à l'UAA 5, il n'est pas demandé aux élèves de repérer et de nommer la métaphore (le terme est donné aux élèves dans la dernière consigne), mais de se questionner sur les effets produits et recherchés par la chanteuse.
Ainsi, dans une visée inductive, on pourrait tout à fait débuter l'analyse par l'identification de l'effet avant de décortiquer le texte pour identifier le procédé stylistique utilisé par l'auteur pour produire cet effet. Autrement dit, partir du ressenti des élèves, identifier avec eux ce que l'auteur cherche à dire et les inviter à comparer la formulation utilisée dans le texte à la reformulation/traduction plus plate, moins poétique qu'ils viennent de proposer. De cette manière, l'enseignant les amènerait à apprécier en contexte l'une ou l'autre figures de style. Les étiquettes théoriques seraient quant à elles accessoires, ou du moins reléguées en fin d'activité.
- Utiliser des supports adaptés
Bien que les figures de style soient souvent classées sans distinction, par ordre alphabétique, il en existe, nous l'avons dit, plusieurs catégories : les figures qui jouent sur le sens des mots (elles-mêmes classables en différents groupes : analogie, amplification, etc.), les figures de construction (ex. le chiasme) et les figures de sonorité (ex. l'assonance). Quelle absurdité de faire observer la présence d'une assonance ou d'une allitération dans un texte écrit ! L'intérêt de ces figures de style et les effets qu'elles produisent sont sonores. Il convient donc de les faire percevoir aux élèves au départ d'une version audio du texte. Celle-ci peut prendre la forme d'une mise en voix prise en charge par l'enseignant ou par un comédien (on trouve de nombreuses ressources sur Internet) lorsque le texte original n'est pas oral (comme l'est la chanson ou le rap). Par ailleurs, il existe de très intéressantes mises en voix actuelles de textes du passé, qui donnent une résonance particulière aux mots. L'artiste Felhur, par exemple, s'empare de poèmes classiques, monuments de la littérature française, pour en proposer une version personnelle, rappée... Pour n'en citer qu'une, sa version du Dormeur du val de Rimbaud vaut assurément le détour et risque bien de procurer quelques effets (frissons ?) aux élèves.
En guise de conclusion
Les figures de style, objet incontournable du cours de français, sont des procédés langagiers. À l'heure de l'approche par compétences, il convient de les aborder non pas uniquement en tant que savoirs, mais comme outils pour comprendre, interpréter et apprécier un texte, ainsi que comme outils pour produire des effets sur son public dans une optique le plus souvent esthétisante. C'est donc aux effets (recherchés et produits) et aux mécanismes de ces procédés qu'il convient de s'intéresser et de sensibiliser les élèves, bien plus qu'aux noms théoriques (finalement peu nécessaires) et aux activités d'étiquetage, qui ne permettent absolument pas d'apprécier la beauté ou la force d'un texte ni de faire vibrer son public.
Anne-Catherine Werner
1. Fédération Wallonie-Bruxelles (2022). Référentiel de français et langues anciennes - tronc commun. Namur : Ministère Administration générale de l'Enseignement.
2. BIAGIOLI Nicole (2015). « Les figures au collège : un objet didactique complexe » dans Pratiques, pp. 165-166.
3. Ibidem
4. MARTINIE Valentin (2018). Figures de style : De La Fontaine à Booba, p. 11.
5. Voir notamment nos propositions en lien avec Lampedusa de Julien Doré, qui regorge de métaphores et de personnifications (https://dupala.be/article.php?...), ou Kid d'Eddy de Pretto (https://dupala.be/article.php?...).
6. https://www.topito.com/top-fig...
7. MARTINIE Valentin (2018). Figures de style : De La Fontaine à Booba.
8. Voir à ce sujet http://jetudielacom.com/catego...