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Album 39 : « Forêt-wood » d'Olivier Douzou et José Parrondo
Qui a dit que les imagiers n'étaient destinés qu'aux enfants ? L'album « Forêt-wood » vous propose une galerie d'arbres tous plus étonnants les uns que les autres. Et en sus, une idée d'activité mêlant jeux sur la langue et créativité à mener avec vos élèves du premier degré : fous-rires garantis !
Informations bibliographiques
Co-auteurs et illustrateurs : Olivier Douzou et José Parrondo
Éditeur : Éditions du Rouergue
Format : carré, 144 pages
Année d’édition : 2013
Un mot sur les co-auteurs-illustrateurs
Olivier Douzou1
Après avoir publié plus de 90 ouvrages en 30 ans, et dirigé les Éditions du Rouergue quand elles ont pris leur virage vers le jeune public, Olivier Douzou a fait de son nom une marque dans la littérature jeunesse. Jojo La Mache, Souliax, La Famille Citron, Pipeau, Buffalo Belle, font partie de ses albums iconiques. Il a publié une soixantaine de titres jeunesse dans cette maison d’édition, ainsi qu’aux éditions Memo et au Seuil. Ses albums ont été couronnés de nombreux prix : Totem, Pitchou, Cercle d’Or des libraires, Baobab, Bologna Ragazzi, etc.
Il est à nouveau depuis 2011 directeur artistique et directeur éditorial des albums du Rouergue jeunesse.
En tant qu’illustrateur, son univers graphique est très reconnaissable par sa dimension régulièrement géométrique et très colorée (notamment dans les imagiers).
José Parrondo2
Qui ne connait pas José Parrondo ? Auteur/illustrateur liégeois facétieux et à l’humour si personnel, mêlant l’absurde et le poétique, il est aussi l’auteur-illustrateur de la série des Petit Parrondo, recueils d’histoires, de devinettes et de gags où le bon sens côtoie le non-sens. Sans oublier la série des Eggman… Enfin, quand José ne dessine pas, il fait de la musique.
En deux mots, Parrondo et ses personnages, comme Mirolioubov (si vous ne le connaissez pas, foncez en librairie), nous invitent à voir le monde et la vie autrement :
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Présentation de l’album
Résumé
Forêt-wood propose au lecteur une galerie d’arbres, à défaut d’une revue de stars de cinéma (comme à Holly...wood). Chacun, j’imagine, aura saisi le jeu de mots. Mais il faut s’accrocher : l’album en est truffé. À chaque page, les auteurs représentent par l’image et par le texte une centaine d’arbres tous plus étonnants, facétieux et drôles les uns que les autres.
Chaque spécimen dessiné est accompagné de sa dénomination latine (comme dans un herbier authentique qui se respecte)… mais c’est dans un latin « de cuisine » (une imitation aux assonances latines, et à forte connotation humoristique), flanqué d’une pseudo-traduction comique. Voilà un herbier original et fantasque qu’on se se lasse pas de lire et relire.
Texte
L’album commence inévitablement par une citation de… Raymond Queneau, accompagnée par une illustration de... (non-arbre) :
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Le ton est donné : l’album se place ainsi sous l’égide du grand oulipien français, célèbre pour ses jeux sur la langue, maniant l’absurde et le non-sens avec brio, mais à l’univers volontiers poétique. Les procédés chers au maitre sont en effet mis en œuvre par les auteurs tout au long de l’album. Le cadre qui est posé, telle une contrainte, impose d'affubler d'un nom souvent pseudo-latin chacune de leurs créations sylvestres. Ce nom « savant » s’accompagne d’une périphrase traductive (qui n’en est pas toujours une) apportant à son tour une touche d’humour, l’ensemble servant de didascalie à l’image, comme dans un herbier dont il parodie la traditionnelle présentation.
Le genre choisi implique qu'il est difficile de considérer le texte sans l'image. Les dissocier en diminue l'effet comique. Toutefois, on peut déceler déjà dans le texte seul certains procédés/jeux de langue. Voyez par exemple :
1) Jeux sur le mot arbre : barbre/ barbre bleu, gendarbre, it’s been an arbre day’s night, arbre à papa, (sur lesquels on reviendra plus loin).
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D'un point de vue rhétorique, il s'agit d'une paronomase car le jeu s'opère en associant certains mots sur la base de leurs ressemblances sonores (homophonies) : arbre et barbe, arbre et gendarme, etc. Pour augmenter l'effet comique, le deuxième terme englobe, comme dans un mot-valise, le mot arbre.
2) Jeux sur les noms des essences d'arbres : saule rieur, hêtre ou ne pas hêtres (voir ci-dessus), sapin ponpin pon, ...
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3) Jeux avec le latin (de cuisine) : caput/caput (en tête à tête), viceversarbor, illico altis fulgurantis, silva letargica, anesthesia somnifera valium somnola…
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Il semble que les auteurs ont listé les mots ou expressions latines fréquemment utilisées en français et les ont transformées pour les appliquer aux arbres.
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Pour le gepeus perpalnor arbre qui indique le chemin de la forêt, la pseudo-latinisation de l'expression « ne pas perdre le nord » fait évidemment sourire. Le détournement de l'expression « l'arbre qui cache la forêt », accolée en apposition, en accentue le décalé de la définition.
Comme dit plus haut, si cette exploration du texte se révèle riche déjà, il est indéniable que l'effet comique ne se perçoit complètement qu'en association avec l'image.
Images
On l’aura compris, la plupart des pages suivent le même schéma : une illustration d’arbre accompagnée de sa qualification (texte) en dessous.
Un lien de sens apparait parfois entre les deux planches d'une double page : il peut s'agir d'une sorte de progression entre les éléments, voire d'une opposition (ci-dessous : le sauvage et le domestique).
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En majorité, les dessins s’apparentent à ceux des imagiers pour enfants. Ils sont plutôt naïfs : lignes simples, couleurs réalistes, coups de crayons apparents. On notera toutefois quelques exceptions plus graphiques, comme le calendarium, avec un motif davantage géométrique où les feuilles de l'arbre sont des pages de calendrier (imprimées) qui s’égrènent.
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Rapport texte-image
Dans un herbier classique (qui semble être le genre choisi pour cet album, même si l’intention est davantage humoristique que botanique), le rapport texte-image parait redondant, le texte ayant traditionnellement pour fonction de définir l’image et de permettre la classification de l’arbre dans un répertoire. Cependant, dans Forêt-wood, c’est bien davantage un rapport très net de complémentarité qui se crée entre le texte et l’image3. L’un éclaire l’autre et vice-versa, chacun fournissant des informations différentes. C’est de cette collaboration même que nait l’effet comique.
C’est là incontestablement la richesse de cet album qui, si l’on veut bien s’y pencher, renferme des trésors de rhétorique de l’image et des mots.
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Le rapport texte-image s’actualise au minimum par l’analogie, l’image ayant comme fonction première d'illustrer le texte : dans montgolfus, le dessin représente un arbre-montgolfière. Cependant, la combinaison des deux (l’arbre et la montgolfière) relève sans doute déjà de la métaphore, en tant que figure rassemblant des éléments « ayant des sèmes dénotatifs communs »4. La ressemblance vient de la forme, de la silhouette globale des deux éléments, puisque l’arbre est assimilé à une montgolfière et en revêt les caractéristiques principales (le feuillage étant remplacé par la toile et le tronc par la nacelle). L’effet comique vient bien sûr du décalage créé par le fait que cet arbre n’est pas enraciné dans le sol, et qu’il peut donc, dans cet état, voler.
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Ici, la représentation devient métaphore car elle actualise cette confusion induite dans le nom pseudo-latin de l’arbre représenté. Ce « n’importe quoi », qui est spécifié par une indécision ontologique, se traduit par une combinaison d’une multiplicité d’essences d’arbres, comme si l'arbre représenté ne parvenait pas à choisir entre elles.
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Dans cette planche, le jeu est double : le texte évoque le signifiant linguistique utilisé pour désigner la friandise consommée en fête foraine, tandis que le dessin prend le signifié en charge, en représentant une barbe à papa aux allures d'arbre.
Là où il faut « la ref »...
Dans certaines planches, des références (relevant d'un bagage culturel commun) s'ajoutent aux procédés rhétoriques déjà décrits. Elles sont alors lisibles grâce à la complémentarité de l'image et du texte. C'est particulièrement vrai ci-dessous.
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Combien de temps avez-vous mis à faire le lien entre le texte, l'image et le photographe célèbre de La Terre vue du ciel (et donc des arbres dont … on ne voit pas le tronc car vus du dessus) ?
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Si le lecteur peut légitimement s'interroger sur le sens de la forêt de piquets bleu et jaune qui jonchent la page (de gauche), il éclate de rire en lisant le texte (simpsonia arbre marginal) qui lui révèle la synecdoque (partie pour le tout) visuelle : il s'agit d'une stylisation (ou d'une « arbrisation ») de la tête de Marge Simpson...
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Dans l’illustration en regard (obladi obladum beatlum), c’est du même procédé qu’il s’agit. Le texte révèle bien vite au lecteur qu'il est face à quatre garçons dans le vent (mais de dos et à la chevelure verte). Le jeu sur la sonorité dans le titre modifié (ou « arbrifié ») de la chanson est hilarant. Si l'on s'en tient à une définition technique, on peut qualifier de métonymie cette figure permettant d'identifier les Beatles grâce au titre de leur chanson, puisqu'elle actualise une association par proximité.
Les références littéraires ne sont pas non plus en reste :
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Exploitation didactique
Déroulement de l’activité « Dessine-moi un arbre »
1° Lecture collective de l’album
2° Comment ça marche ? Tentative de classement des différents arbres : les élèves comparent les planches et proposent d'en rassembler certaines selon les critères de leur choix.
3° Mise en commun pour faire émerger les catégories suivantes (analysées plus haut dans l'article), qui sont sans doute les plus facilement abordables dès la découverte de l’album :
> Jeux sur le mot a&arbre
En plus des cas figurant dans l’album, on peut suggérer d’illustrer : un candélarbre, de la rhubrabre ou encore un arbor tranquillus qui reste de marbre…
> Jeux sur les noms des arbres
Idée supplémentaire : arbor laboris le bouleau (boulot)…
> Jeux sur la forme des arbres : tout objet allongé peut, de près ou de loin, ressembler à un arbre.
Idée supplémentaire : lampadarius l’arbre qui croit qu’il est une lumière
> Arbres qui n’en sont pas (ou pas vraiment) : il est demandé aux élèves de lister les arbres qu’ils connaissent également au sens métaphorique et qui pourront faire l'objet d'illustrations de leur cru.
En voici quelques idées :
- Arbre de Noël : felix navidadus, arbre content
- Arbre à paroles : blablabla sempiterna, palarbres
- Arbre à chats : felis griffus, félin intrépide
- Arbre généalogique : pater familias (dont les branches porteraient des photos)
Les élèves sont répartis en petits groupes et se voient attribuer une catégorie.
4° Analyse : ils observent et mettent en lumière des procédés rhétoriques et graphiques utilisés (une théorisation stricto sensu n’est pas nécessaire, il s’agit plutôt de décrire comment l’auteur s’y est pris). Ensuite, les élèves sont invités à brainstormer pour mettre en commun leurs idées et connaissances préalables. Par exemple, ils listent tous les mots qu’ils connaissent se rapprochant, par la sonorité, du mot arbre et imaginent comment les représenter.
5° En binôme ou en solo (au choix), ils créent une nouvelle planche dans le même esprit.
Consigne : dessine une planche supplémentaire de ton choix, qui pourrait figurer dans la suite de l’album
Cette activité permet aux élèves de laisser parler leur créativité (graphique et visuelle par le biais du dessin), mais aussi de manipuler la langue, à l’instar des auteurs de l’album. Les résultats obtenus avec ces élèves du premier degré sont pour le moins convaincants. Jugez plutôt…
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De commun accord, les collègues du collège Saint-Guibert n’ont pas trouvé opportun d’intégrer cette activité dans une séquence préexistante. Elles ont préféré la considérer pour elle-même, comme une activité annexe, plus (ré)créative.
Conclusion
Voilà un album bien riche, exploitable avec de jeunes élèves, qui leur permettra de jouer sur la langue et de découvrir quelques procédés rhétoriques d'une manière ludique. En effet, sous ses airs enfantins, l'ouvrage exploite de nombreux procédés intéressants à aborder et surtout à faire expérimenter à des élèves entre 12 et 15 ans. Il invite également à une réflexion sur la manière dont il fait naitre le rire, notamment par la sollicitation de références communes et par le rapport texte-images. Enfin, la dimension créative y est très importante et invite les élèves à réfléchir sur la manière d'agencer les informations, celles qui seront portées par l'image et par le texte.
Bon arbrusement !
Amélie Hanus
1. https://www.olivierdouzou.com
2. https://objectifplumes.be
Consultez également l'article suivant : https://dupala.be/article
3. Van der Linden S. (2013). album[s], Paris, Actes Sud Junior.
4. Groupe μ. (1970). Rhétorique générale, Paris, Larousse.