Le débat en classe : piste didactique

Cet article se propose de présenter une piste parmi d'autres pour aborder le débat en classe, piste expérimentée auprès d'étudiants de haute école.

Le référentiel « FRALA » mentionne le débat comme genre à aborder dès la 5e primaire, en tant qu'outil à mobiliser pour interpréter des textes ou encore pour aborder des questions relevant du cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté (EPC)1. Dans d’autres disciplines de l’école, le débat s’avère ou pourrait s’avérer également précieux… J’y reviendrai, mais l’objectif de cet article est avant tout de proposer une piste pour travailler ce genre oral en classe.

Disons en préambule que l’enseignant désireux de travailler ce genre en classe dispose à présent d’articles et d’ouvrages, parmi lesquels Pour un enseignement de l’oral : initiation aux genres formels à l’école, de Joaquim Dolz et Bernard Schneuwly2, qui constitue une première approche enrichissante, proposant activités concrètes et apprentissages ciblés. Ainsi, les auteurs recommandent la construction d’ « un rapport conscient et volontaire à son propre comportement langagier » de même que la maitrise des « outils langagiers constitutifs des principaux genres de textes publics » (page 20 de l’ouvrage référencé ci-dessous). Suggestions dont je me suis inspiré, me fondant notamment sur les vertus de la vidéo.




Muni donc d’une caméra et d’un trépied, j’ai proposé à des étudiants en didactique des mathématiques et de l’économie familiale et sociale, dans le cadre d’un cours de maitrise de la langue française, un travail sur les dimensions argumentatives du discours par le biais du débat. Ce travail devait s’étaler sur environ 6 séances de 2 heures et se fonder essentiellement sur l’animation par les étudiants eux-mêmes de débats portant sur des questions plus ou moins polémiques relatives à l’enseignement. Ces débats seraient filmés par mes soins, puis visionnés et commentés.


    


Quatre vidéos ont été réalisées, compilant des moments que je sélectionnais en fonction de leur degré d’intérêt. Je ne m’étendrai pas sur l’aspect « réalisation » de ce projet, pourtant conséquent. Il s’agit pour le réalisateur de se former rapidement au montage, à l’étalonnage (gestion de l’exposition et des couleurs) et au mixage (réglage du son) de films. Cette étape est indispensable si l’on veut gagner du temps et proposer des supports attrayants et exploitables. J’ai pour ma part utilisé un logiciel de montage gratuit, complet, plutôt répandu à en juger par le nombre de tutoriels qui s’y rapportent, tutoriels qui m’ont été précieux. Ce logiciel a pour nom DaVinci Resolve 18 et est édité par Blackagic Design.

         


Adepte pour diverses raisons des méthodologies inductives, j’ai tâché de faire advenir, par le biais du visionnage de ces courts films et de la discussion, les principes qui régissent le débat ainsi que les paramètres qui en déterminent la qualité, en m’abstenant autant que possible d’orienter les premiers commentaires. Je m’efforçais dans un premier temps de me limiter à encadrer la réflexion, c’est-à-dire à faire surgir des questions théoriques sur le genre. Mais avant de décrire davantage le dispositif, un petit plan aidera à le percevoir globalement. (Il s'agit des principales étapes du dispositif ; s'y ajoutait notamment l'écriture de textes argumentatifs portant sur les thèmes débattus.) 


1. Trois débats spontanés de 12 minutes chacun. Réalisation d'un clip.
2. Visionnage du clip : premiers commentaires et premières recommandations.
3. Trois débats spontanés de 12 minutes chacun. Réalisation d'un clip.
4. Visionnage du clip. Analyse des progrès réalisés. Elaboration collective d'une fiche théorique sur le genre. Définition des rôles de chacun (animateurs et débatteurs).
5. Trois débats préparés. Injonctions plus précises de l'enseignant. Clip. 
6. Analyse de l'expression verbale. Théorisation d'outils langagiers, exercices.
7. Trois derniers débats préparés. Analyse des progrès réalisés.

Premiers débats, premiers commentaires

Je ne diffuserai pas les débats filmés dans le cadre de cet article, pour la simple et excellente raison que les étudiants ont accepté que je les filme pour autant que les images animées obtenues ne soient utilisées que dans le cadre du cours de maitrise de la langue (j'ai obtenu leur accord pour publier des images fixes). Les premiers débats, d’une durée de 12 minutes chacun (il faut un gardien du temps, qui prévienne l’animateur 2 minutes avant le terme imparti), sont animés par les étudiants eux-mêmes ; je ne fournis aucun modèle. Je me contente de demander aux animateurs de choisir un sujet polémique actuel et de l'introduire par la lecture d'un texte court.

 


Le visionnage du film consacré à ces débats initiaux a généré les commentaires suivants, formulés spontanément et sans ordre, et présentés ci-après « en vrac » :

attitude peu dynamique des animateurs, assis sur un banc ; animation trop « bavarde » (l’animateur tend à parler trop) ; questions peu polémiques (« Qu’en pensez-vous ? ») ; surabondance de « du coup », articulateur à la mode ; articulation parfois spontanée, négligée ; registre parfois familier (« j’comprends pas ») ; interventions parfois peu développées ; pauses pleines (« euh ») ; baisses de volume ; prise de parole spontanées…


Ces premiers commentaires, notés au tableau, il a fallu les organiser, les classer d’une manière ou d’une autre. Ainsi s’est effectué un premier pas vers l’élaboration d’un modèle théorique du débat : plusieurs dimensions de ce genre oral ont été mises au jour, à la faveur de cet essai de classement des premières observations : 

le non-verbal des animateurs et des participants, la conduite du débat par l’animateur, le contenu des interventions des participants, la correction de la langue aux niveaux lexicosyntaxique et social, les paramètres paraverbaux les plus évidents comme l’intonation, le volume.

Construction d’un modèle théorique

Deux articles3 m’ont permis de compléter les premières ébauches théoriques des étudiants. En effet, quelques questions essentielles n’avaient pas encore été abordées, parmi lesquelles figurent les suivantes. Elles ont débouché sur l'élaboration progressive d'un tableau théorique consacré au genre.

Quel est le but d’un débat, somme toute ? A cette question, pas de réponse unique : un débat peut donner lieu à une prise de décision pratique, à l’élaboration d’une solution collective à un problème d’ordre intellectuel, à l’appréhension complète d’une question d’actualité, à l’élaboration commune et contrastée d’une réponse à une question philosophique ; dans tous les cas, le débat à l'école devrait mener à une amélioration de ses capacités à développer et soutenir un point de vue et de ce fait à la formation de citoyens responsables et en mesure de prendre une place active dans une société démocratique.

Quels sont les rôles respectifs des participants et du régulateur ? Il importe non seulement de les préciser, mais également de rechercher des outils pour faciliter l’exécution de ces rôles. Comment par exemple lancer un débat de façon « percutante » ? Comment relancer ce dernier ? Faut-il demander des éclaircissements, ou reformuler ce qui vient d’être dit, pour faire progresser la discussion ? Comment, du point de vue du débatteur, présenter un point de vue et développer un argument ? Comment marquer son adhésion aux arguments d’autrui, comment les réfuter ?

Quelles ressources de la voix et du corps vais-je mobiliser pour dynamiser mes interventions ? Des accents d’insistance ? Le regard ? Une gestuelle particulière ? Quelle posture est adaptée au débat ?

Question peu traitée en classe (d’après mon expérience bien limitée d’observateur de stagiaires)  : quels leviers verbaux actionner pour clarifier et fluidifier les prises de parole ? Première réponse possible : les connecteurs (ou articulateurs) logiques (ou argumentatifs) pour baliser ses propos, les pronoms relatifs pour étoffer la phrase et lier les informations, les « modalisateurs », par lesquels je dévoile mon degré de conviction ou mes sentiments par rapport à ce que je dis (je suis persuadé que, je doute que, il me semble que, il me parait clair que, il est affligeant de constater que, il est étonnant que…).

Pistes pour des débats plus riches

1. Le recours à la vidéo


Assez efficaces mais chronophages, les petits films ont permis de faire évoluer la qualité des débats. Si ces derniers, indéniablement, ont gagné en dynamisme et en fluidité et les arguments en précision et en clarté, c’est en partie grâce au recours à la vidéo. Cette technique a en effet contribué à faire apparaitre la complexité de l’exercice et a abouti à la construction du tableau théorique évoqué plus haut ; elle nous a en outre aidés à prendre conscience de faiblesses sur lesquelles nous pouvions par la suite axer notre travail.

On peut toutefois s'interroger sur l'efficience du recours à la vidéo par rapport à un dispositif où les débatteurs seraient observés par des étudiants externes au débat. Le montage des films prend du temps (pour analyser trois débats, il faut réduire à un clip d'une dizaine de minutes quelque 30 minutes de tournage en sélectionnant des moments clés, susceptibles d'être analysés et de donner lieu à des apprentissages) pour des résultats que l'observation directe par des pairs permettrait sans doute d'atteindre également. Mais la vidéo permet à tous les étudiants de s'impliquer simultanément dans les débats et d'ensuite endosser le rôle - toujours simultanément - d'observateurs, organisation qui convient particulièrement bien aux groupes restreints.

Cela étant, l’auto-observation et la métaréflexion rendues possibles par la vidéo ne suffisent pas ; vient un temps où l’enseignant doit se montrer plus injonctif.


2. La préparation des questions « polémiques » et des arguments

Quelques injonctions simples s’imposent si l’on souhaite que les débats menés en classe évoluent. On ne peut uniquement compter sur la spontanéité des étudiants :

« Prenez quelques minutes pour déterminer votre position sur le sujet évoqué par votre condisciple et pour préparer deux arguments à l’appui de cette position ; quant à toi, qui t’apprêtes à réguler le débat, prends également quelques minutes pour préparer des questions suffisamment ouvertes et « interpellantes », en sollicitant notamment l’expérience personnelle des débatteurs ; n’oublie pas en outre de rédiger quelques questions de relance, en décomposant la thématique principale en sous-questions. »

Ou encore :

« Faites l’effort de situer vos interventions par rapport à celles qui précèdent ; ne partez pas sur un autre sujet ; développez vos arguments à l’aide de connecteurs ; veillez à être confortablement audibles ; soyez dynamiques et assertifs… »

3. Des exercices ciblés et un passage par l’écrit

Idéalement, les élèves seront invités à manipuler les outils langagiers décrits plus haut (pronoms relatifs, connecteurs – au sens large, incluant plusieurs natures de mots, pas uniquement des adverbes ou locutions adverbiales) dans des exercices spécifiques puisés dans des manuels. J’ai pour ma part procédé à des exercices sur les pronoms relatifs et les relations logiques à la suite d'une phase de structuration. Il m'a semblé que l'on pouvait remédier à la stéréotypie dans l'emploi des connecteurs (« du coup ») et à la pauvreté de certains développements par des structures permettant d'articuler et d'agréger les informations.

Enfin, des productions écrites ont ponctué chaque série de trois ou quatre débats afin de permettre aux débatteurs de mobiliser à tête reposée les ressources langagières pointées lors des débriefings ou travaillées au moyen d’exercices. Ils assimilaient ainsi les spécificités syntaxiques et sémantiques et pouvaient plus facilement, lors de nouvelles prises de parole, les exploiter en contexte.

Il me faut cependant reconnaitre que l'expression verbale des étudiants n'a pas progressé de manière flagrante. Sans doute faudrait-il exploiter davantage les vidéos pour amener chaque étudiant à déceler les faiblesses langagières de son discours, et cela à plusieurs reprises : chacun élaborerait ainsi une check-list personnelle de points d'attention verbaux.

Le débat dans les disciplines scolaires

On identifie aisément les disciplines scolaires les plus propices au débat : l'éducation à la philosophie et à la citoyenneté ou la religion, où le questionnement éthique et philosophique occupe une place prépondérante, ou encore le français, discipline qui se doit d’améliorer les habiletés orales et argumentatives des élèves.

Les étudiantes d’EFS (éducation familiale et sociale, formation sacrifiée malheureusement sur l’autel du Tronc commun) ont proposé parmi d'autres des sujets comme le body-positivisme (l’acceptation de son corps) ou encore l’alimentation végétarienne.

En mathématiques, discipline à laquelle se forment certains de mes étudiants, les sujets et opportunités de débats sont à première vue peu nombreux. Pourtant, en creusant un peu, le débat peut s’avérer précieux dans certains contextes :

Pour pratiquer le socio-constructivisme lors de la résolution de problèmes4 comme :

Construisez un carré dont l’aire vaut 2 et déterminez la mesure de la longueur du côté de ce carré.

Ou encore5:


De tels sujets surgissent des débats qui s’apparentent davantage à des exercices de logique collectifs ou individuels, et l’on ne voit pas très bien en quoi le format « débat » serait alors plus indiqué qu’un travail en sous-groupe, propice lui aussi au socioconstructivisme. Le débat suppose en effet une question de départ ouverte (question qui peut accepter plusieurs réponses) afin d’autoriser d’emblée une certaine spontanéité ainsi qu’un espace de créativité, les idées s’affinant au fil de la discussion par la justification et la confrontation des points de vue. Ce qui risque d’arriver avec des sujets comme ceux cités ci-dessus, c’est qu’une réflexion silencieuse et intense prenne le pas sur les échanges oraux, chacun étant obsédé par la recherche de la bonne solution qu’il devine unique.


Plus intéressantes, si l'on souhaite rester dans le domaine des chiffres, sont les questions qui interrogent la pertinence des outils mathématiques dans notre quotidien, dans la mesure où plusieurs solutions argumentées sont possibles. Considérons par exemple le problème suivant6 :

Discutez de ce graphique. Que représente-t-il, selon vous ? Est-il lisible ? Est-il trompeur ou non ?  Quelle représentation du phénomène aurait mieux convenu ? 


Ce sujet présente selon moi trois avantages :

  • Il est citoyen : le graphique présente la responsabilité des Etats dans la dégradation du climat terrestre.
  • Il est doublement citoyen : il attire l’attention sur le fait qu’une représentation en graphique peut être trompeuse et infléchie par une idéologie. (Ce graphique ne tient pas compte d'une donnée essentielle : les émissions de CO2 ont été multipliées par 150.000 depuis 1751.)
  • Il permet, par l’évidence de l’image, des réactions immédiates, qui seront amenées à s’affiner par la suite, à mesure que l’animateur posera ses sous-questions.

 Conclusion

Mener des débats dans une classe de 20 élèves peut vite s’avérer un exercice chronophage et dont les bénéfices en termes d’apprentissages sont décevants ou peu visibles. C’est pourquoi l’exercice devrait idéalement s’étaler sur l’année entière à raison de deux fois deux heures par trimestre. Cela donnerait environ 12 heures consacrées à ce genre oral, ce qui est loin d’être négligeable, d’autant qu’un débat peut être lancé et clôturé en une vingtaine de minutes. Et s’ils sont filmés, les apprentissages réalisés par les élèves pourront ainsi être objectivés et mesurés.




Pierre-Yves Duchâteau


1. Référentiel de français et langues anciennes. Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022.

2. DOLZ Joachim et SCHNEUWLY Bernard (2009). Pour un enseignement de l'oral : initiation aux genres formels à l'école,  4e édition, Issy-les-Moulineaux, ESF éditeur.

3. DOLZ Joaquim, MORO Christiane et POLLO Antonella (2000). « Le débat régulé : de quelques outils et de leurs usages dans l'apprentissage.», Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, n°22, pp. 39-59. DOI : https://doi.org/10.3406/reper.2000.2342

3. GAGNON Roxane (2015). « Qu'est-ce qu'être compétent en argumentation à l'oral au secondaire professionnel ? », Le français aujourd’hui, n°191, pp. 45-56. https://doi.org/10.3917/lfa.191.0045

4. D’après « Les maths en débat », un article de Sophie BLITMAN paru dans Le Monde de l’éducation en juin 2008.

5. https://www.sbpm.be

6. https://wp.gem-math.be

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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