Désacraliser l'objet-livre, collaborer pour lire et comprendre un texte, mettre en œuvre des stratégies de lecture... Autant d'objectifs que permet de poursuivre la lecture en arpentage. Élodie Bertholomé, enseignante de français, nous fait part d'une expérience d'arpentage menée dans ses classes de l'enseignement professionnel.
- Bonjour Elodie. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est l'arpentage ?
L'arpentage est une technique de lecture née dans les cercles ouvriers syndicalistes à la fin du XIXe siècle. Les membres de ces cercles, désireux de s'instruire, se groupaient pour acheter un livre, un texte d'idées. Ils démontaient le volume, le déchiraient de manière à en lire chacun un morceau. Ils mettaient ensuite en commun le fruit de leurs lectures individuelles et reconstruisaient ainsi le savoir.
L'objectif de cette pratique était multiple : accéder, sans se ruiner, au savoir ; ne pas laisser celui-ci aux seules mains des classes dominantes ; désacraliser l'objet-livre en se l'appropriant et réunir ses forces pour progresser intellectuellement. Ces cercles ouvriers avaient bien compris la puissance de l'intelligence collective... La technique d'arpentage a ensuite été reprise par des résistants, puis elle a été théorisée par des pédagogues et a ainsi fait son entrée dans les classes.
- D'où vous est venue l'idée d'utiliser cette technique en classe ?
J'ai découvert cette technique lors d'une activité menée dans la classe de l'une de mes collègues par des animatrices des centres culturels de Verviers et Dison. Il s'agissait d'amener les élèves à découvrir le roman ayant servi de point de départ à la pièce de théâtre qu'ils découvriraient quelques jours plus tard en tant que spectateurs.
Pour ma part, j'étais en questionnement. J'avais passé deux bons tiers de l'année à mettre en place des cercles de lecture dans mes classes... sans réel succès car les élèves étaient fréquemment absents, ce qui mettait bien souvent à mal mes dispositifs, conçus sur plusieurs séances. J'étais dès lors en recherche d'un dispositif court et motivant qui donnerait du sens à la lecture et au rôle de l'élève en tant que sujet-lecteur.
J'ai été séduite par l'activité mise en œuvre dans la classe de ma collègue. Je me suis alors documentée sur la technique et ai conçu un dispositif de lecture en arpentage destiné à ma classe de 7e professionnelle. Cette classe m'a semblé « idéale » pour un premier essai. Composée de lecteurs très faibles et d'élèves très forts, elle présente une hétérogénéité intéressante qui n'empêche pas les élèves d'être volontaires et curieux. De plus, étant donné que j'accompagne ces élèves durant plusieurs années, je les connais bien et peux compter sur leur franchise. Celle-ci m'est très précieuse, surtout lorsque je les invite à prendre part à mes expérimentations didactiques et pédagogiques.
- Comment et dans quel cadre l'avez-vous mise en œuvre ?
Au troisième degré, certains programmes prévoient la lecture intégrale d'un essai, genre que les élèves ne connaissent pas et qui les attire généralement très peu. Bien que mon programme ne l'impose pas, il me parait intéressant de faire lire ce type d'ouvrages aux élèves. En pratique, ces tâches de lecture s'avèrent souvent laborieuses et ardues. C'est pourquoi j'ai décidé de tester la lecture en arpentage au départ d'un essai en vue d'aboutir à la création par les élèves d'un outil permettant de résumer l'œuvre lue, outil qui pourrait leur être utile par la suite dans le cadre d'un travail plus formel de l'UAA 3 (réagir par écrit à une opinion).
Concrètement, le dispositif s'est réparti en plusieurs étapes :
1. Découverte et définition du genre
Pour faire découvrir le genre de l'essai aux élèves, j'ai pour habitude de disposer sur les bancs des œuvres de genres variés touchant à une même thématique : albums, romans, recueils de nouvelles, bandes dessinées, autobiographies, essais, etc. Les élèves se regroupent selon les thématiques et opèrent un classement des œuvres qui leur sont proposées. Rapidement, les essais apparaissent comme des ovnis et nous tentons de définir le genre grâce à l'observation des ouvrages mis à la disposition des élèves.
Pour amener les élèves à définir un genre textuel de manière inductive, il est essentiel d'observer et de comparer plusieurs représentants du genre afin d'identifier les invariants génériques. Il peut aussi être intéressant de définir le genre par comparaison avec d'autres genres déjà connus.
2. Sélection d'un essai à lire
Après ce premier travail de définition du genre, j'annonce aux élèves qu'ils vont lire un essai. Chaque groupe est invité à sélectionner un des essais présents sur la table. Pour ce faire, les élèves peuvent manipuler les livres, en lire des passages, faire une recherche sur l'auteur, etc. En groupe, ils discutent et négocient de manière à aboutir à un choix commun. Cette année, la classe était divisée en deux groupes. Le premier groupe, travaillant sur les questions de genres, a opté pour Moi les hommes, je les déteste de Pauline Harmange ; tandis que le second, chargé d'explorer la thématique « l'être humain sur la planète », a choisi l'ouvrage de Jean-Marc Jancovici intitulé Le changement climatique expliqué à ma fille.
3. Phase de lecture (individuelle et collective)
Vient ensuite l'étape de lecture. Habituellement, je demande aux élèves de lire l'œuvre qu'ils ont sélectionnée et puis je leur propose d'échanger leurs impressions de lecture et leur compréhension du texte au sein d'un cercle de lecture1. Cette année, cette étape a pris la forme d'une lecture en arpentage.
- Introduction et préparation à la lecture en arpentage
J'ai d'abord présenté un rapide historique de l'arpentage aux élèves afin de leur expliquer ce qu'on allait faire. J'ai apporté en classe un exemplaire de chacun des deux essais, achetés en librairie pour l'occasion, ainsi qu'un cutter. J'ai divisé le nombre de pages de chaque ouvrage en fonction du nombre d'élèves présents dans chaque groupe, sans tenir compte du chapitrage, puis j'ai découpé les livres devant les élèves.
La technique de l'arpentage prévoit une répartition équitable du nombre de pages entre les différents lecteurs, sans aucune volonté de respecter le chapitrage : chacun reçoit la même portion de texte. Il est dès lors probable que certains extraits débutent au milieu d'une phrase et/ou ne soient pas directement compréhensibles, mais ils le seront par la suite lorsqu'ils seront mis en relation avec les autres extraits lus. Cela donne de l'importance à chacun des extraits : chaque élève dispose d'une pièce du puzzle à reconstruire de manière collective.
Les élèves se sont montrés choqués : « Mais, Madame, vous détruisez le livre... » Alors qu'ils sont loin d'être amoureux de ces objets, me voir « maltraiter » les deux ouvrages les dérangeait. J'ai eu beau leur expliquer qu'il fallait passer par là pour se partager la lecture et s'approprier le livre, ils n'en démordaient pas. Une élève a alors émis l'idée de reconstruire les livres une fois que nous les aurions lus. Nous avons convenu que nous les recoudrions. Certains avanceront qu'il aurait été plus simple de distribuer des photocopies des extraits aux élèves. Plus simple, certainement, mais symboliquement parlant moins intéressant... De plus, j'évite autant que possible le « photocopillage ».
Paradoxalement, le livre découpé, ainsi désacralisé, prend de la valeur aux yeux des élèves : pour que le « sacrifice » du livre ait du sens, chacun doit s'investir dans la lecture. Le livre passe du statut d'objet précieux, minutieusement rangé dans la bibliothèque, à celui de document de travail manipulable par tous.
- Lecture individuelle et annotation
Une fois en possession de sa portion de pages, chaque élève a reçu trois grands post-its de couleurs différentes : sur le premier, il s'agissait de répertorier les idées maitresses de l'extrait ; sur le deuxième, les connaissances préalables utiles pour comprendre l'extrait ou en lien avec celui-ci (« Ce que je savais déjà avant la lecture ») ; et sur le troisième, les questions survenues durant la lecture (« Les questions que je me pose en lisant »). En plus de noter tout ce qui pouvait répondre à ces trois questions, les élèves étaient invités à annoter les feuillets : souligner, surligner, écrire, etc. Ils étaient également autorisés à faire des recherches sur Internet (pour vérifier la signification d'un mot, s'informer sur un concept, etc.).
Le temps de lecture individuelle et silencieuse n'était pas délimité, chacun évoluant à son rythme (rappelons ici que la classe est fort hétérogène et précisons que les élèves des deux groupes n'avaient pas le même nombre de pages à lire). Afin de favoriser la concentration, j'ai mis à la disposition de ceux qui le souhaitaient un toobaloo2 ou un casque anti-bruit.
- Discussion de groupe
Après que tous les membres du groupe ont eu terminé leur lecture, ils étaient chargés d'organiser une discussion en vue de mettre en commun ce qu'ils avaient lu et mis en évidence dans leurs extraits, de comprendre collectivement le texte et, dans un second temps, de construire un outil de résumé de la forme de leur choix (panneau, carte mentale, liste à puces, etc.) utilisable par tous les membres du groupe en tant que ressource pour un débat, comme support pour une argumentation, etc.
Mes élèves ont l'habitude de travailler en groupe. Pour ce faire, afin de les rendre autonomes, je les initie dès le début de la 5e année à différents rôles (secrétaire, rapporteur, maitre du temps, animateur, etc.). Dans le cadre de la discussion sur la lecture de l'essai, ils ont spontanément repris ce fonctionnement en se répartissant les rôles.
Dans les deux groupes, les élèves ont d'abord passé en revue les questions qu'ils se posaient de manière à s'éclairer les uns les autres. Ils ont ensuite discuté de leurs connaissances préalables et ont ainsi partagé et ravivé des connaissances qu'ils avaient acquises individuellement durant l'année au fil de leurs recherches en lien avec leur parcours thématique (via des podcasts, des lectures, des films, etc.).
Faire part d'emblée de ses questions au groupe peut s'avérer compliqué pour certains élèves, qui conçoivent cela comme un aveu de faiblesse. Deux facteurs ont ici un impact positif : 1) le groupe se connait depuis un certain temps et une relation de confiance s'est tissée entre les élèves ; 2) le travail préalable mené individuellement sur la thématique traitée par l'essai rend les élèves experts de certaines questions, variables selon les œuvres découvertes durant le parcours thématique et les informations collectées.
Afin de développer une compréhension globale du texte, les élèves ont spontanément organisé la suite de la discussion dans l'ordre de lecture. Les échanges ont été très riches dans le groupe travaillant sur les questions de genres : les discussions contenues, cadrées par les consignes de travail, ont ensuite fait place à un débat informel. Dans le second groupe, la discussion s'est avérée moins structurée et moins intéressante car les élèves se posaient moins de questions. Les notions développées dans l'essai étant relativement basiques et les élèves étant déjà bien documentés sur le sujet, ils se sont rapidement focalisés sur la création de leur résumé.
Les deux discussions de groupe n'ont pas eu lieu simultanément car le nombre de pages à lire était différent d'un groupe à l'autre. Cela m'a permis d'accompagner chacun des deux groupes. Mon rôle était avant tout celui d'une observatrice (puisque les élèves géraient eux-mêmes les échanges), mais également celui d'une personne-ressource, disponible pour éclairer les élèves sur des concepts complexes ou les aider à faire des liens entre les informations.
- Construction collective d'un résumé de l'essai lu
Au terme des échanges, les élèves se sont attelés à la création de leur résumé. Celui-ci pouvait prendre la forme de leur choix et avait pour visée de rendre compte de la lecture intégrale de l'essai. L'objectif était double : garder trace de la lecture et construire un outil qui pourrait être utilisé par chacun des membres du groupe dans le cadre d'une tâche de production touchant à la même thématique.
L'un des deux groupes a opté pour un résumé assez classique : réponses à des questions et liste à puces d'éléments-clés. Le second, plus créatif, a produit une sorte de carte heuristique aux couleurs de la couverture de l'essai lu. Chaque groupe a ensuite présenté son travail à l'autre groupe.
- Reconstitution des livres
La création du résumé, regroupant les apports des différents lecteurs, clôturait le travail de lecture et rendait aux deux livres décomposés leur unité. Il ne nous restait alors plus qu'à leur rendre également leur unité physique. À la demande des élèves, nous avons recousu les deux ouvrages. J'ai apporté de grosses aiguilles et du fil à broder. Chacun a recousu son feuillet. Puis, j'ai rassemblé les feuillets et les ai cousus avec la couverture de manière à reconstituer le livre. J'ai ensuite suspendu les deux livres dans le coin lecture de la classe comme des trophées porteurs de la trace du travail effectué. Cette petite célébration des livres recousus peut sembler anodine, mais elle est pédagogiquement encourageante et valorisante pour mes élèves qui ne sont pas de grands lecteurs.
- Retour sur l'expérience vécue
Au terme des activités décrites, j'ai demandé aux élèves leurs impressions sur l'exercice de lecture en lui-même. C'était une première pour eux, mais également pour moi. Les retours se sont avérés plutôt positifs : les élèves ont trouvé le travail de lecture ni trop long ni trop laborieux. Certains l'ont même trouvé plutôt amusant. Ils ont souligné l'intérêt de la collaboration, chacun ayant une pierre à amener à l'édifice, et ont exprimé leur enthousiasme et leur fierté par rapport au travail réalisé et exposé en classe.
4. Exploitation de la lecture
Les élèves ont ensuite pu exploiter le travail de lecture et de résumé lors d'une tâche de production individuelle plus formelle. Afin d'amorcer le travail de l'UAA 3 (en préparation au CESS), je leur ai demandé de réagir par écrit à une opinion exprimée dans la presse par l'auteur(e) de l'essai qu'ils ont lu. Il s'agissait de produire un premier jet qui permettrait ensuite de travailler la réaction à l'opinion d'autrui (courrier des lecteurs, réaction sur un forum, etc.) et qui serait amélioré au fil de la séquence.
L'activité fonctionnelle proposée permet d'articuler les deux séquences : elle clôture le travail de lecture de l'essai et constitue, par l'intermédiaire du résumé collectif, une médiation de lecture ; en outre, elle ouvre le travail sur un nouveau genre argumentatif.
- Quels sont, selon vous, les avantages de la lecture en arpentage ?
Il me semble que les avantages sont nombreux. Les impressions positives des élèves ont en tout cas renforcé les constats que j'ai pu faire durant le déroulement des activités : les élèves se sont majoritairement investis dans le travail de lecture et ont activement œuvré à la mise en commun des informations.
- La lecture en arpentage leur permet d'appréhender la totalité d'un livre qu'ils n'auraient pas abordé tout seuls. En effet, si on demande à un groupe de faibles lecteurs de lire un livre complet, ils passent à côté de la lecture ou ne l'effectuent pas. La tâche est ici simplifiée, mais n'est pas appauvrie. Cet argument me parait suffisant pour tenter l'expérience... Je tiens à préciser par ailleurs que l'activité a donné envie à une élève de lire l'essai en entier. Plus globalement, j'ai pu constater un impact positif sur les élèves qui éprouvent des difficultés en lecture : ils sont entrainés par l'enthousiasme des autres, l'exercice de groupe est vu comme encourageant et donne assez vite le sentiment d'être compétent.
- Le dispositif permet de travailler le sens des responsabilités et la collaboration au sein d'un exercice d'intelligence collective. Je suis personnellement très sensible à cela. Je trouve d'ailleurs que l'intelligence collective est généralement peu favorisée en classe, même lorsqu'on organise des travaux de groupes. Bref, la lecture en arpentage peut susciter l'émulation si les élèves sont partie prenante.
Proche du principe de la classe puzzle, le dispositif proposé a permis d'actionner plusieurs leviers motivationnels3 : d'une part, la tâche de lecture, répartie entre eux, n'a pas semblé insurmontable aux élèves (sentiment de maitrise ou de compétence) ; d'autre part, le fait qu'elle soit cadrée par des consignes, découpée en étapes et qu'elle aboutisse à une production clairement annoncée dès le départ a renforcé leur sentiment de contrôlabilité. Enfin, le caractère collaboratif de la tâche est lui-même motivant : les élèves étaient conscients qu'ils avaient chacun une responsabilité vis-à -vis du groupe.
- La lecture en arpentage offre également la possibilité de gagner du temps, ce qui dans le calendrier scolaire est parfois intéressant.
- Elle constitue une solution économique qui respecte les droits d'auteur : le livre est acheté et non photocopié, il est acheté en un seul exemplaire pour l'ensemble de la classe.
- Cela est sans doute moins objectivable, mais j'ai constaté la création d'un lien entre les élèves et le livre. Désacraliser les livres crée un effet très intéressant sur les élèves pourtant peu attachés à ces objets, comme s'ils leur étaient enfin accessibles.
- Enfin, la lecture en arpentage permet de poursuivre des objectifs multiples : s'informer, s'initier à l'œuvre originale avant d'aller voir une pièce ou un film, développer des stratégies de lecture, etc.
- Quels en sont les inconvénients et les points de vigilance ?
- Certaines finesses au niveau du contenu sont perdues à cause du découpage et de la lecture partielle. Mettre en commun les lectures des différents extraits du texte n'équivaut pas totalement à une lecture intégrale. Cet inconvénient me parait tout de même assez bien contrebalancé par le travail de reconstruction. La présence de l'enseignant (qui a lu le texte dans son intégralité) est essentielle : il veille à la complétude des informations et à la fidélité au texte.
- Bien que le dispositif se veuille motivant, l'enseignant doit s'assurer de la participation de chaque élève.
- Certains élèves n'osent pas prendre la parole face au groupe. Le climat de classe est déterminant : il est nécessaire de s'assurer que les élèves sont à l'aise avec leurs difficultés et leurs incompréhensions. Dans le cas de textes plus sensibles, il est aussi utile de s'assurer que les élèves sont à l'aise avec ce qu'ils ont lu. L'enseignant, qui connait le texte, peut le répartir selon les compétences et la sensibilité des lecteurs.
- Le dispositif permet de gagner du temps, mais se déroule tout de même sur plusieurs heures : l'idéal est de rassembler le temps de lecture et la discussion durant deux heures consécutives. D'un point de vue organisationnel, cela peut être contraignant.
- La lecture en arpentage peut-elle convenir à différents types et genres de textes ?
Oui, j'en suis persuadée. L'activité à laquelle j'ai assisté dans la classe de ma collègue portait sur un roman. Bien entendu, selon le genre du texte et les objectifs poursuivis, on ne travaillera pas de la même manière. Dans le cas de la lecture d'un texte littéraire, on peut par exemple construire les fiches d'identité des personnages de manière collective au départ des informations que chaque élève repère dans son extrait. On peut aussi définir les liens qui existent entre ces personnages, amener les élèves à constater leur récurrence ou non (selon le nombre d'extraits dans lesquels ils apparaissent), reconstruire le cadre spatiotemporel en produisant des inférences au départ d'indices textuels présents dans certains extraits, reconstituer l'ordre de l'histoire présentée dans un récit rempli de flashbacks, etc. Et on peut bien sûr aussi travailler au départ des impressions de lecture des élèves, de leurs questions et incompréhensions4.
Les livres d'images tels que les albums (avec ou sans texte) ou les bandes dessinées peuvent sans doute aussi convenir à l'exercice de lecture en arpentage si les élèves sont un peu formés à la lecture d'images, mais ça me fendrait le cœur de découper ce type de livres... Par contre, en termes d'objectifs et d'enjeux de lecture, l'exercice me parait moins intéressant au départ d'un texte court. Je déconseille en tout cas de généraliser la pratique, car le caractère un peu exceptionnel de l'activité participe à la motivation et à l'engagement des élèves.
- Cette technique vous semble-t-elle adaptée à un public plus jeune ?
Oui. Le dispositif est modulable et adaptable : il est bien sûr indispensable d'adapter le choix du texte au niveau des lecteurs, au sujet que l'on souhaite traiter (en lien avec un projet par exemple), etc. et de moduler ou de cadrer l'accompagnement selon le public : faire relever systématiquement les indices textuels de ce qu'on avance, définir des balises, cibler des questions de lecture, etc.
La lecture en arpentage a tout à fait sa place dans les classes du début du secondaire et même du primaire. J'envisage d'ailleurs de collaborer avec une enseignante de 5e-6e primaire. En réalité, quel que soit le niveau en lecture, il est possible de participer à une lecture en arpentage... Pour mettre en œuvre et animer ce type d'activité, l'enseignant doit, quant à lui, développer une compréhension fine du texte, anticiper les difficultés des élèves, cibler les passages plus obscurs, prévoir des relances, etc. L'idéal est d'observer ou de vivre une activité de lecture en arpentage avant d'en mettre en place. Travailler à plusieurs, comme l'ont fait les animatrices des centres culturels de Verviers et Dison, est également très riche. Animer une lecture en arpentage en coenseignement5, ce serait l'idéal !
Anne-Catherine Werner
1. Sur le dispositif du cercle de lecture, voir notamment LAFONTAINE Annette, TERWAGNE Serge et VANHULLE Sabine (2001), Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteur, Bruxelles, De Boeck.
2. Le toobaloo est un tube qui permet de relier la bouche à l'oreille. Cet instrument, habituellement utilisé dans les classes de l'enseignement primaire, permet à l'apprenti-lecteur qui éprouve des difficultés avec la lecture silencieuse de lire à voix haute, pour lui seul, sans perturber les autres lecteurs.
3. Marianne Poumay a déterminé plusieurs leviers favorisant la motivation et l'apprentissage des étudiants de l'enseignement supérieur. Certains de ces leviers sont applicables à un autre public. Voir POUMAY Marianne (2014), « Six leviers pour améliorer l'apprentissage des étudiants du supérieur », Revue internationale de pédagogie de l'enseignement supérieur vol. 30 (n°1 Varia), pp. 1-18. En ligne: http://ripes.revues.org/778 (consulté le 30 mai 2022).
4. D'autres récits d'expériences de lecture en arpentage sont accessibles en ligne: notamment http://www.cafepedagogique.net... (consulté le 30 mai 2022), https://www.questionsdeclasses... (consulté le 27 mai 2022) et http://www.lettresvives.org/20... (consulté le 27 mai 2022).
5. Les deux articles suivants relatent des expériences de coenseignement menées au début du secondaire : https://dupala.be/apercu.php?a... et https://dupala.be/article.php?...