Adieu l’ami, on t’aimait bien… Julos a tiré sa révérence

Julos Beaucarne, le chanteur belge au célèbre pull arc-en-ciel, est décédé le 18 septembre dernier. C’est l’occasion de rendre hommage à cet artiste profondément humaniste, aux pieds ancrés dans la terre et à la tête dans les étoiles. Une belle opportunité aussi de le faire (re)découvrir aux plus jeunes d’entre nous à travers ses différentes facettes : du poète et écrivain wallon au chanteur engagé, notamment, dans une écologie encore balbutiante.


Julos, aux semelles de vent 

Né en 1936 à Écaussinnes, Julos Beaucarne a d’abord été comédien et se plaisait à raconter qu’il avait commencé à chanter dans le Midi de la France, pour payer la réparation de sa voiture, tombée en panne. Il se produisait alors « au chapeau » en précédant sa collecte de ce petit air:

Si ces rengaines vous ont plu, revenez une autre semaine
Mais n’oubliez pas non plus vos escarcelles pleines
Les poètes ne vivent pas seulement des beaux yeux des dames et des sourires des enfants,
Ils ont besoin d’écus sonnants…

Il avait depuis écrit 500 chansons recueillies dans 49 albums et 28 livres. Si l’on retiendra de lui son combat pour le wallon, il était avant tout un poète, un « comédien qui fait du rêve avec du vent », un raconteur d’histoires, au creux de l’oreille avec une petite mélodie en toile de fond.

Comment oublier la lettre qu’il avait (reprise ensuite par Claude Nougaro) écrite à la chandeleur 1975, au lendemain de la mort tragique de sa femme, assassinée par un déséquilibré, où il exhorte les hommes, avec force et amour, à ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience : « C’est la société qui est malade, il faut la remettre d’équerre, d’aplomb. Sans vous commander je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine. […] Je pense de toutes mes forces, qu’il faut aimer à tort à travers. »2

Mais la nature n’était pas pour lui qu’une métaphore. En tant qu’habitant de l’univers, il a par ailleurs été l’un des militants écologistes de la première heure, exhortant « six milliards de femmes et d’hommes à bord d’un vaisseau spatial » à protéger la terre. Un combat qui trouve un écho très vibrant à l’heure actuelle. 

Voici quelques pistes pour explorer les nombreuses facettes de Julos.


Le poète wallon

Ce « latin venu du fond des âges » lui avait été transmis par ses parents et tenait une place essentielle dans sa vie et sa production artistique. S’il n’en est évidemment pas l’auteur, Julos a réinterprété nombre de chansons traditionnelles issues du folklore de notre région (avec en tête, La Ptite Gayole), contribuant ainsi grandement au maintien du wallon dans les mémoires. Originaire d’Écaussinnes, Julos maitrisait le dialecte local, mais ne rechignait pas à accueillir dans son répertoire d’autres parlers wallons, de même que le picard (la première version de La Ptite Gayole a d’ailleurs été enregistrée dans cette langue)3.  

L’enseignant de français pourra saisir cette belle occasion d’inviter le wallon en classe de français. Il est bien sûr exclu de proposer aux élèves d’écouter un texte intégralement en wallon (et quel wallon d’ailleurs ?) car les efforts de compréhension et la frustration engendrés seraient contre-productifs. À cet égard, bon nombre de textes ou de chansons de Julos peuvent être précieux car ils offrent un accès facilité à cette langue : ils sont écrits en français, même si déclamés avec un accent et une cadence particulière et parsemés de termes wallons.

Pour cet usage, on conseillera Le petit Jésus, qui raconte la nativité avec la bonhommie et l’humour qui caractérisent les « analyses exégétiques » Julos, sur un fond sonore de comptines de circonstance4. Les traits d’humour (ainsi que les sous-entendus) et la distance prise quant au récit bien connu ne manqueront pas de faire sourire les élèves. 


Le chanteur engagé 

Beaucarne fut des premiers combats écologistes. On se souvient notamment de son album paru en 1974, intitulé Front de libération des arbres fruitiers (accessible gratuitement), qui alterne les chansons avec de courts textes dénonçant la mainmise de l’homme sur la nature et les animaux. C’est par exemple le cas dans Petites fermes campagnardes, qui dépeint les élevages intensifs de poulets : « On a mis les poules et les poulettes au travail à la chaine, elles pondent comme des mitrailleuses. Rien de ce qui fait l’aliénation humaine ne sera épargné aux animaux de basse-cour ».

Pochette (Front de libération des arbres fruitiers)Ecoutez cet album : https://www.allformusic.fr/jul...

Il est également le premier à clamer haut et fort que « la révolution passera par le vélo », notamment à travers plusieurs chansons, dont Bécanes, bicyclettes et vélos, dans un style très proche de Brassens : 

Il avait même été jusqu’à mettre ses principes en pratique à Liège, lors d’un de ses concerts, le 6 mars 1986. Toute l’électricité nécessaire à sa réalisation (son, lumières) était fournie par l’énergie produite par 105 cyclistes-spectateurs qui pédalaient ! Là encore, Julos était un précurseur, la vélorution étant actuellement bien en marche !

Nul doute que les questions qui lui tenaient à cœur trouveront écho dans les préoccupations des jeunes adolescents, ce qui leur offrira une bonne porte d’entrée vers son œuvre.  


Le poète inspirant

Julos était avant tout un poète, un raconteur d’histoires qui jonglait avec les mots et les figures de style, qui ravissait l’oreille avec sa voix si douce, accompagnée de mélodies simples à la guitare ou au piano. Comme Léo Ferré, c’est bien à travers le verbe que Julos s’exprimait le mieux, souvent même sans musique. Je vous invite à (re)découvrir un texte inspirant : Femmes et hommes (issu de l'album Le Jaseur boréal, 2006).


Pour les élèves déjà bien entrés dans l’adolescence, qui cherchent leur voie (et leur voix) dans un monde qu’ils rejettent et qu’ils comprennent mal (mais peut-être est-ce l’inverse), ce texte sans musique fera certainement écho.

Si le début semble presque une invitation au rejet de la société (« ne vous laissez pas attacher »), de toute forme de carcan, on comprend par la suite qu’il s’agit plutôt d’encourager chacun à trouver sa voie, la raison pour laquelle il est sur cette terre. Le poète met en garde son lecteur : il ne sera pas facile de sortir des schémas que les autres ont imaginés pour toi, au contraire, le long fleuve tranquille serait plutôt de les suivre. Choisir une autre voie implique de créer des tensions, des crispations voire pire (« des mots-couteaux »), ce choix implique de sortir des ornières et des chemins tracés. Mais qu’est-ce que l’amour ? Est-ce lier quelqu’un par les entraves qu’on a imaginées pour lui ? 

On relèvera avec les élèves l’isotopie du lien (« tisser, tissus, texture, attacher ») : le tissage, le fait de relier les gens par la parole et les mots. Ce champ lexical est très présent dans le début et emprisonne littéralement le lecteur. Pour Julos, il faut s’en libérer, pour trouver et suivre son propre voyage. En effet, plutôt qu’aller chercher en vain l’assentiment des autres, c’est en nous que nous trouverons notre chemin personnel, celui de la vie. Il faut cesser d’attendre des injonctions venant d’ailleurs, de supplier (« mendiants ») et sans doute de se plaindre de ce qui ne nous arrive pas. Il ne nous est loisible de rêver que sur nous-mêmes, ainsi nous ne serons jamais déçus.

Une belle leçon de vie !


Après la découverte, une production possible ?

On l’aura compris, l’œuvre de Julos, à la fois engagée et poétique, peut très bien servir de support aux thématiques citoyennes, qu’elles soient écologistes, humanistes, ou d’ordre plus politique. Bon nombre de ses textes pourront trouver leur place dans des séquences abordant les questions, très actuelles et touchant particulièrement les jeunes, de la révolte, de la désobéissance civile ou de l’engagement pour le climat. 

La chanson Les loups ont des têtes de moutons est l’un de ceux-ci5. D’orientation plus politique, elle dénonce les dérives d’un monde qui tend à l’autoritarisme et engendre des débordements mettant l’humain en péril. Elle évoque des faits réels, pour certains un peu datés et qu’il faudrait contextualiser (l’affaire Lumumba, les expulsions, mais aussi les féminicides, les excisions ou la vente d’armes), de nature à susciter la révolte. Avec des élèves du deuxième degré, le texte pourrait être exploité et actualisé, en listant avec eux des faits ou évènements récents de l’actualité qui les touchent, les font réagir. Une analyse de sa forme révèlera encore une fois la virtuosité de Julos dans le maniement de la langue : « au nom du pèse, du fisc et du sacrosaint bénéfice, mineurs et majeures détournés par des bonimenteurs roués qui veulent que nous marchions au pas, mais dans les souliers de leur choix ».

Ce texte chanté présente un rythme très régulier qui peut aisément se passer de mélodie pour être simplement parlé. Il pourrait être dit comme un slam, un genre qui, en général, passe mieux chez les élèves. La production proposée serait donc une amplification du texte de base, dont ils respecteraient la structure (en en gardant les refrains et les anaphores initiales) et qu’ils complèteraient avec des strophes de leur composition.

Structure :
Depuis que + fait d’actualité ….            => à insérer par les élèves en respectant la structure métrique
Depuis que + fait d’actualité ….           
Depuis que + fait d’actualité ….           
Les loups ont des têtes de moutons, derrière les roses y a des chardons

Refrain :
C’est celui qui est tout en haut qui tient le manche de la faux
Si ce que tu dis cause souci, tu seras vite raccourci
Celui qui regarde jouer aux cartes, s’il pète un mot de trop on l’écarte,
Les ptits regardants n’ont rien à dire, sur le jeu des grands, ça c’est bien pire

La progression du refrain, qui offre des perspectives vers l’engagement collectif devra être conservée également, puisqu’elle aboutit à :

C’est celui qui est tout en bas, qui est bien plus fort qu’il ne croit
Si nous le voulons toi et moi, le cauchemar s’arrêtera
Six milliards de petits regardants peuvent devenir acteurs puissants
Six milliards de gens conscients, ensemble changent le cours du temps

 

Espérons que ces quelques indications vous permettront de (re)découvrir le plus wallon des troubadours !


Pour en savoir plus...

Plusieurs articles rétrospectifs ont été publiés au moment de son décès, retenons celui de Thierry Coljon dans Le Soir du 19 septembre 2021, Le chanteur belge Julos Beaucarne a rejoint la galaxiehttps://www.lesoir.be/395682/a...

Pour en écouter encore plus (nombre de ses albums sont en écoute libre sur le net), quelques coups de cœur : 
> J’aimerais tant te parler tendre (album 20 ans depuis 40 ans, 1997) : https://www.youtube.com/watch?...
> Le lac (Front de libération des arbres fruitiers, 1974), analyse facétieuse (avec les "r" roulés) du poème de Lamartine : https://www.allformusic.fr/jul... 


Amélie Hanus




Tous les sites Internet ont été consultés entre le 10 et le 12/10/21.

1. Pour l'entendre fredonné : https://www.youtube.com/watch?v=1em_bUAIWD0 (émission Al Dente, RTBF, 2006).

2. Lettre ouverte (1975) : https://www.youtube.com/watch?...

3. Dans la version publiée en 1974 : https://www.youtube.com/watch?...

4. Dans le même album, plage précédente : https://www.youtube.com/watch?.

5. Issu du Jaseur boréal (2006) : https://www.youtube.com/watch
Auteur

Amélie Hanus

Maitre-assistante en français, didactique du français et du FLES, professeure d'italien. Intérêt particulier pour la littérature, la lecture, la musique (classique et jazz), l'organisation d'événements culturels, l'Italie, l'italien.

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