Exploiter le docu-BD en classe de français

Les articles de la revue « SOIF ! » au service du développement de compétences en lecture et en éducation aux médias. Proposition d'une exploitation à  partir de la thématique des fakes news.


Lors de notre dernier numéro, je vous présentais la revue SOIF ! qui regroupe différents docu-BD présentant divers sujets de société contemporains et socialement vifs1. Sur la base d'un article spécifique, Fake news : la manipulation par l'image, issu du n°2 (automne 2020), je vous propose un dispositif d'exploitation visant à developper des compétences de lecture et d'éducation aux médias. 


1. Au service de quels objectifs ? 

Le référentiel de français en lien avec le Pacte d'Excellence a maintenant abouti. Les différents réseaux le traduisent sous la forme de programmes pour chacune des années concernées et son implémentation dans les classes de primaire, puis de secondaire, se rapproche. Mais qu'en est-il des recommandations ? Quels sont les attendus de ce référentiel ? Je vous propose un bref tour d'horizon au départ de notre support spécifique qu'est le docu-BD. 


Tout texte est écrit en fonction d'une intention, respecte une certaine structure textuelle et appartient à un genre. Intention et structure textuelle peuvent se combiner de différentes manières2.                                                      


Tout d'abord, le référentiel distingue deux notions au départ desquelles les textes devront être analysés et catégorisés selon leur genre. 

> L'intention d'un texte. Elle peut être, notamment :
- d'informer : apporter des connaissances ;
- de convaincre : communiquer une opinion, donner à réfléchir, amener à une modification d'opinion ou de comportement ;
- de donner du plaisir/procurer de l'agrément : émouvoir, divertir... ;
- d'enjoindre : donner un ordre, un conseil, faire agir.

> La structure dominante d'un texte (qui correspond au type de texte). Elle peut être :
 - argumentative : thèse, arguments, phase conclusive ;
- descriptive : thème, sous-thèmes ;
- dialoguée : ouverture, dialogue, clôture ;
- explicative : comment ? pourquoi ? cause/conséquence ;
- narrative : situation initiale, élément déclencheur, actions, dénouement, situation finale.

Le référentiel insiste sur le fait que ces deux dimensions peuvent s'articuler, se rencontrer selon de multiples combinaisons. Les auteurs recommandent aux enseignants de veiller à exposer leurs élèves à des supports novateurs et polymorphes, afin de les sensibiliser à la variété des possibles. Dans cette perspective, le support du docu-BD constitue une ressource tout fait légitime puisque, d'une part, contemporaine et, d'autre part, hybride. En effet, l'intention dominante est d'informer, mais les structures textuelles relèvent du narratif (la partie BD) et de l'explicatif (la partie documentaire).


Enfin, si nous évaluons cette ressource sous le biais des quatre balises de progression préconisées3, nous observons toute la richesse de ce support. 

BALISE 1 : Pertinence par rapport au vécu des élèves
--> La thématique proposée par l'article est proche des centres d'intérêt des élèves et en lien avec leur vécu. La question des fakes news (nous y reviendrons) pourra faire l'objet d'un enseignement centré sur l'éducation aux médias. En clair, la thématique n'est pas simplement un prétexte. Dans une perspective citoyenne et critique, elle est exploitable en classe et bénéficiera aux élèves. 

BALISE 2 : Variabilité des structures dominantes
--> Comme expliqué ci-dessus, il est recommandé d'amener les élèves à travailler diverses structures dominantes. D'ailleurs, le référentiel prescrit, pour le secondaire, de travailler les cinq structures dominantes chaque année. Il n'est, dès lors, plus de doute quant au fait qu'il s'agira de privilégier ce genre de support, afin de rentabiliser le temps disponible. Les attendus ambitieux et nécessaires engageront l'enseignant sur la voie de la recherche didactique et celle-ci passera nécessairement par la sélection de textes hybrides, permettant de multiplier les apprentissages au départ d'une même ressource. 

BALISE 3 : Alternance oral/écrit - support papier/support numérique
--> À nouveau, il revient à l'enseignant de proposer une variété de supports répondant à ces critères recommandés. Le docu-BD, de par sa mise en page, offre l'avantage d'une présentation, d'une structure numérique, mais sous un format papier. Rappelons que la lecture numérique est spécifiquement un objectif de l'UAA1 du deuxième degré du secondaire4

BALISE 4 : Degré de complexité et progression spiralaire
--> Le référentiel prescrit, selon l'âge des élèves, une complexification des supports : « Au fil du cursus, il convient de veiller à la progression dans leur choix : textes plus longs, plus complexes, hybrides, plus résistants. »3 De fait, le docu-BD répond spécifiquement à cette demande, comme vous pourrez le découvrir à travers l'analyse du support.




2. Présentation du dispositif


ÉTAPE 1 : Lecture de la BD

L'élève lit la BD (5 pages) en autonomie. 


BD-Fake news.pdf


Il répond ensuite au questionnaire fourni qui vise à vérifier sa compréhension. Les questions posées portent sur différentes dimensions de la lecture : la compréhension globale, la compréhension fine, l'interprétation, les liens entre le texte et les images. Le questionnaire, un procédé certes classique, offre l'avantage d'attirer l'attention de l'élève sur chacune de ces dimensions et permet de vérifier ses différentes habilités en lien avec les démarches de lecture à mettre en œuvre. De ce fait, le questionnaire constitue un outil diagnostique à privilégier lors de cette première étape. 

Ci-dessous, je vous propose un exemple de questionnaire exploratoire en lien avec l'article sélectionné. En couleurs : les catégories de questions et les réponses attendues. 


Fake news questionnaire BD.pdf



ÉTAPE 2 : Expliciter les démarches de lecture

Lors de cette étape, il s'agit de revenir avec les élèves sur les différentes démarches mises en œuvre afin d'accéder à une compréhension fine du support. En fonction du groupe classe, il conviendra de cibler en particulier certaines démarches (ou processus) à entrainer par la suite.

Citons tout de même les plus emblématiques5, qui ont été exercées lors de la lecture de la BD analysée :
         - Repérer des informations implicites
         - Inférer : déduire l'implicite ou le non-dit de ce qui est explicitement dit
         - Mettre en relation les éléments verbaux et non verbaux
         - Construire du sens global
         - Apprécier la lecture = réagir affectivement et intellectuellement au texte


Le nouveau référentielreprend ces mêmes processus, tout en les détaillant davantage : 



ÉTAPE 3 : Lecture des textes documentaires

L'élève lit les encadrés documentaires (2 pages) proposés à la suite de la BD. 

Documentaires fake news.pdf


Il s'agit pour lui de compléter sa lecture littéraire et d'affiner sa compréhension en bénéficiant d'informations qu'il ne possédait pas (c'est-à -dire en dehors de ses connaissances sur le monde). L'objectif est double : d'une part, sensibiliser l'élève aux stratégies de lecture mises en œuvre dans le cadre d'une lecture plus fonctionnelle et, d'autre part, lui permettre d'affiner sa compréhension du sujet, en bénéficiant d'informations complémentaires.

La mise en page des encarts documentaires se veut résolument moderne. Les multiples entrées textuelles permettent au lecteur de se nourrir d'informations de manière aléatoire et autonome. De manière statique, la mise en page rappelle celle d'une page web et permet à l'élève de développer des stratégies de lecture propres à ce média.

À la suite de la prise de connaissance des encarts, il est utile de mesurer la plus-value apportée par ces nouvelles informations. Que ce soit par le biais d'un échange oral, d'une médiation ou encore d'un questionnaire, l'essentiel est de vérifier que l'élève établit des liens entre la narration fictionnelle qu'est la BD et les informations factuelles/objectives fournies par les apports documentaires. 

Dans le cadre de notre article, l'encart intitulé « Emotion et post-vérité » permet de comprendre que l'image manipulée dont il est question dans la BD a réellement existé. Toutefois, la situation n'a pas dégénéré comme dans le récit fictionnel. Il convient dès lors de sensibiliser l'élève à ce choix et de le questionner quant à la volonté de l'auteur (Cf. question 10 du questionnaire initial de lecture qui sensibilisera l'élève à la distinction entre le réel (factuel) et l'imaginaire (fictionnel)7 ). Force est de constater que ce dernier a voulu marquer les esprits. À la manière d'une dystopie, il nous présente « une société imparfaite, dysfonctionnelle et indésirable »8. L'exagération par rapport à la situation réellement vécue se veut avant tout une mise en garde et un avertissement. Cet écart entre la fiction et la réalité est à mettre en évidence auprès des élèves. L'étape finale du dispositif permettra, on l'espère, que la réalité ne rattrape pas la fiction...



ÉTAPE 4 : Expliciter les stratégies de lecture

Lors de ce moment, il convient de mettre en avant les différentes stratégies mobilisées par le lecteur afin d'accéder aux informations. À nouveau, en fonction du groupe classe, certaines stratégies devront faire l'objet d'un entrainement spécifique par la suite.

Par exemple5 :
      - Lecture tabulaire (dans de multiples directions)
      - Lecture survol
      - Lecture sélective
      - Relecture


Le nouveau référentielreprend ces mêmes stratégies, tout en les détaillant davantage : 



ÉTAPE 5 : S'inscrire dans la thématique, l'évaluer

Enfin, la dernière étape du dispositif permet à l'élève de s'approprier la thématique, de s'y inscrire. Comme nous l'avons précisé précédemment (cf. BALISE 1), le sujet de l'article doit susciter l'intérêt des élèves et doit permettre les échanges, la discussion en classe. Il va sans dire que le travail de sensibilisation autour de l'utilisation des fakes news est essentiel. Comme le précise l'article, « 45% des 18-24 ans utilisent Internet et les réseaux sociaux comme source n°1 pour s'informer sur l'actualité ». L'enjeu, dès lors, est de les sensibiliser au faible taux de fiabilité de ces informations. En ce sens, la fiction suggérée par la BD permet de questionner les jeunes quant à ce fameux « effet papillon » abordé dans le questionnaire. Les risques encourus sont finement suggérés et, loin d'une tonalité moralisatrice, l'auteur ouvre la possibilité au fait que chacun d'entre nous pourrait faire, innocemment, les frais d'une infox. 

L'ensemble du dossier spécial consacré aux fake news pourrait faire l'objet d'une séquence davantage axée sur l'éducation aux médias qui viserait à promouvoir l'esprit critique et ainsi participer au développement de la pensée critique, tel que préconisé par le Pacte dans le cadre des visées transversales9. Il y est clairement question d'évaluer les sources d'informations fiables, y compris dans le domaine numérique. 




3. Méthodologie à privilégier

Comme expliqué précédemment, il est tout à fait envisageable de proposer une exploitation similaire au départ d'autres articles de la revue (puisqu'ils respectent tous le même schéma organisationnel). Une possibilité serait de privilégier le travail en sous-groupes, en analysant plusieurs articles, selon le dispositif de la classe puzzle. Chaque sous-groupe serait alors invité par la suite à venir présenter, communiquer ses observations au départ de son article. Puis, une mise en commun serait réalisée sous la forme d'une synthèse afin de faire émerger les principales démarches et stratégies de lecture à mettre en œuvre afin d'accéder à une lecture fine des deux supports (bandes dessinées et textes documentaires). On permettrait alors aux élèves de produire un exposé informatif10, tel que préconisé dans le référentiel.


Les bons réflexes à privilégier lors de l'analyse de chacun des articles sont les suivants : 

1. Guider une lecture littéraire de la BD
        > Vérifier la compréhension globale et fine (les inférences, les éléments suggérés)
        > Expliciter les démarches et stratégies de lecture
2. Sensibiliser aux liens texte-images
        > Questionner les choix esthétiques de l'auteur/illustrateur
        > S'interroger quant aux effets produits (ex : le degré de réalisme du dessin)
3. Guider une lecture fonctionnelle des apports informatifs
        > Questionner la plus-value des textes documentaires
        > Expliciter les démarches et stratégies de lecture
4. Evaluer sa lecture
        > Produire du sens nouveau, affiner sa compréhension grâce aux deux modes de lecture
        > Se positionner quant au sujet, s'impliquer dans une réflexion personnelle



EN CONCLUSION...

Suite à l'évolution des contenus et de la société, la discipline « français » se retrouve d'autant plus à la croisée des chemins. Dès demain, l'enseignant de français devra davantage effectuer des liens avec les autres disciplines, proches de ses contenus, afin d'en permettre une analyse plus fine et plus aboutie. Il parait évident que des collaborations, ainsi que le travail systématique des compétences transversales devront être envisagés et mis en œuvre afin de pouvoir faire face à ces défis contemporains. 

À son échelle, j'espère que cette proposition de support et d'exploitation pourra vous donner l'envie de vous lancer sur le chemin de la recherche didactique. N'hésitez pas à nous faire part de vos découvertes. Bonnes recherches et bonne route !



Aurélie Cintori



1. Voir article Découvrez « SOIF ! », la revue curieuse : https://dupala.be/article

2. Référentiel de français. Tronc commun, p. 29

3. Ibid., p. 30

4. Programme FESEC, Humanités générales et technologiques D/2018/7363/09 in https://b773db45-cb8b-486f-b5f... 

5. Cf. Fiches 1,2,3 LIRE du FESEC, 2005 (pp. 9 et 10)

6. Référentiel de français. Tronc commun, pp. 164 et 166

7. Référentiel de français. Tronc commun, attendu dès la S1 (p. 164)

8. https://www.storyboardthat.com... 

9. Référentiel de français. Tronc commun, p. 203

10. Référentiel de français. Tronc commun, production attendue dès la S1 (p. 167) : produire un texte/discours à structure explicative. Présenter oralement, seul ou en groupe, un exposé informatif accompagné d'un support (numérique ou non).

Auteur

Aurélie Cintori

Maitre-assistante en français, didactique du français et philosophie. Intérêt particulier pour la lecture, la littérature jeunesse, les voyages, les activités culturelles et les balades.

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