Un manuel précieux pour converser en français

Parmi les nombreux ouvrages didactiques que proposent les éditeurs spécialisés en français langue étrangère, en voici un, bien utile, qui permet d'appréhender toutes les facettes de la conversation en français.


Édité en 2003 par Les Éditions Didier, réimprimé en 2009, l’ouvrage intitulé Conversations, pratiques de l’oral, de Cidalia Martins et Jean-Jacques Mabilat n’est à l’heure actuelle plus disponible. Ce manuel a cependant été réédité sous une forme quelque peu modifiée et sous un nouveau titre : Guide de communication en français ; vous pouvez le feuilleter virtuellement (et partiellement) à l’adresse suivante : https://www.decitre.fr/livres/....


Des conversations courtes, courantes, « vraies » (pseudo-authentiques), à mémoriser et à jouer

Globalement, ce livre répertorie, pour les situations plus ou moins courantes de la vie, plusieurs énoncés usuels et surtout, il illustre ces situations par des dialogues non didactisés, écrits et enregistrés, dont voici un bel exemple1 :

Paul : Alors, tes vacances ?  
Gérard : Mes vacances ? Pas terribles ! Je me suis ennuyé à mourir : je me suis cassé la jambe le premier jour.
Paul : Oh, mon pauvre ! Pas de bol !
Gérard : J’ai donc dû rester au chalet sans rien faire.
Paul : Aïe ! Aïe ! Aïe ! C’est sûr que ce ne devait pas être génial pour toi.  
Gérard : Des vacances comme ça, j’en veux plus. Et les tiennes, au fait ?
Paul : Pour moi, c’était vraiment chouette ! J’en suis ravi !
Gérard : On dirait !
Paul : Moi qui suis un trouillard de première, j’ai fait du saut à l’élastique et, encore mieux, j’ai rencontré une femme extraordinaire. Tu imagines ?
Gérard : Oui, je vois ! Et quand est-ce que tu me la présentes ?

À la lecture de ce dialogue, on mesure combien notre conversation courante est idiomatique et stéréotypée (parsemée de structures récurrentes) ; et ce n’est pas le moindre mérite des auteurs que d’avoir su restituer cet aspect particulier de la conversation française ordinaire. On pourrait d'ailleurs qualifier ce document de pseudo-authentique : il cherche à reproduire la réalité des échanges oraux mais n'échappe pas, à force de vouloir condenser toutes leurs spécificités en une même production, à une certaine caricature, peu gênante toutefois, et même intéressante, d'un point de vue pédagogique. J'y reviendrai.

Sont ainsi fréquents, dans nos conversations ordinaires et informelles, les phrases averbales (« Alors, tes vacances ? »), les hyperboles (« à mourir », « de première »), les euphémismes (« pas terribles », « pas génial »), les interjections (« Oh », « Aïe ! Aïe ! Aïe ! »), certains organisateurs du discours (« alors », « donc », « au fait »…), divers dispositifs de mise en évidence (« c’est sûr que…», « des vacances comme ça » détaché à gauche),  la structure « est-ce que » qui accompagne le mot interrogatif… Bref, les apprenants découvrent et redécouvrent toute l'étendue du registre familier.

Les simplifications articulatoires propres à l'oral familier ne sont pas en reste.  Le dialogue suivant contient un bel exemple de cette volonté d’illustrer le français tel qu’il se prononce au jour le jour :

Le père : Francis, tu penses que tu auras ton bac ?
Francis : Mais oui, papa, tu vas voir. Ça va marcher.
Le père : Je suis un peu inquiet pour toi ; tu n’as pas vraiment révisé les maths.
Francis : T’en fais pas, j’ai un bon niveau.
Le père : Mouais. J’espère que tu as raison.

«T’en fais pas » résulte d’une tendance marquée à effacer, en situation d’oral familier, le « ne » de la négation et le « u » de « tu » devant voyelle. Ce choix d’illustrer notre tendance en conversation à amuïr les sons que l’on ne juge pas utiles à la compréhension me parait précieux pour les apprenants, dans la mesure où les enseignants et les manuels rechignent parfois (souvent ?) à transgresser les normes de la langue écrite, ce qui a pour conséquence qu’en situation d’échange oral avec des natifs, les allophones peinent souvent, au début du moins, à reconnaitre la langue qu’ils ont pourtant apprise en classe.

De la grammaire implicite

Ce dialogue fournit par ailleurs des informations grammaticales implicites pertinentes : l’une d’elles concerne les emplois respectifs du futur périphrastique et du futur simple2 : le futur périphrastique semble s’imposer lorsqu’il s’agit d’exprimer une conviction qui s’origine dans le moment de la parole (« ça va marcher ») ; le futur simple se maintiendrait notamment lorsque le lien entre le fait et l’instant de la parole est distendu par un verbe modalisateur ou le souhait de poser un repère temporel (exemples : « Tu penses que tu auras ton bac ? » ; « J’espère qu’il réussira ! » ; « Quand nous aurons notre bac, nous ferons la fête ! »). L’autre information qui m’intéresse particulièrement, c’est la présence du « que », nécessaire en français pour introduire les complétives, alors que mes apprenants germanophones, abusés par leur propre langue, tendent à l’omettre (erreur fréquente : « Je pense c’est mieux comme ça ! »).

De nombreux dialogues relèvent également d’un registre plus formel, comme le suivant, qui comporte notamment quelques phrases interrogatives avec inversion, structure à laquelle les apprenants préfèrent la question intonative ou introduite par « est-ce que », où le sujet précède classiquement le verbe.

Le nouveau DRH
M. Dumas : Alors, le nouveau DRH, vous l’avez vu ?
M. Hugon : Oui, je sors de son bureau. Elle a l’air sympathique et compétente. Elle a le sens du contact.
M. Dumas : Elle ? C’est une femme ?
M. Hugon : Oui, elle s’appelle Myriam Duchemin.
M. Dumas : D’où vient-elle ?
M. Hugon : De l’agence de Rennes. Je crois qu’elle est bretonne.
M. Dumas : Et quel âge a-t-elle ?
M. Hugon : Elle est plutôt jeune pour le poste. La quarantaine.
M. Dumas : Et comment est-elle physiquement ?
M. Hugon : Oh ! Elle est brune, de taille moyenne, avec des yeux verts. Elle revient de vacances, alors elle est très bronzée. Que dire d’autre ? Elle semble être dynamique et a un très joli sourire.
M. Dumas : Hum, hum ! Merci bien. Je vais aller faire sa connaissance immédiatement.
M. Hugon : Ah, j’oubliais ! Elle est mariée et a deux enfants. Leur photo est sur son bureau.

Un débit et une expressivité naturels

Les dialogues enregistrés sont énoncés à un rythme naturel. Cela permet d’accoutumer l’oreille au débit ordinaire de la conversation en français et d’entrainer les apprentis locuteurs à s’en approcher autant que possible en situation d’énonciation.

L’expressivité quelque peu excessive qui caractérise les enregistrements a surtout le mérite de motiver les apprenants, qui l’imitent sans grande difficulté et avec un vrai plaisir ; ils me font penser à ces musiciens débutants qui à force d’entrainement parviennent à exécuter leurs premiers morceaux avec une aisance naissante, se muant progressivement en enthousiasme : les apprenants semblent portés par la musique de la langue et ont parfois tendance à exagérer leurs inflexions, oubliant (presque) du même coup toutes les difficultés qu’ils éprouvent en matière de grammaire et de phonétique.

Conseils pour la didactisation

Chaque semaine, mes élèves travaillent sur un dialogue pendant une vingtaine de minutes au maximum. On répète les phrases enregistrées (sans le texte idéalement), puis on joue le dialogue avec le texte sous les yeux. Je corrige si nécessaire la prononciation à la suite de chaque exécution, afin notamment de neutraliser l’influence néfaste de l’écrit sur l’oral (qui se matérialise essentiellement par la prononciation de lettres muettes). La semaine suivante, les élèves répètent un nouvelle fois le dialogue de la semaine précédente, que je leur demande de travailler quotidiennement (à raison de une ou deux lectures par jour) avant de passer à un nouveau.

Ces conversations sont choisies et insérées dans mes séquences en fonction des liens grammaticaux et thématiques qu’elles présentent avec le reste de la leçon. Elles ne sont pas exploitées comme elles pourraient l’être : la grammaire ou la phonétique ne sont jamais explicitées et donc ne font l’objet d’aucune réflexion. J'essaie à cette occasion de favoriser les apprentissages inconscients, non intellectualisés. Ainsi, seul le plaisir du jeu compte… avec des résultats que je constate sur deux plans essentiellement : celui de la réactivité des apprenants à mes sollicitations et celui de la spontanéité en conversation libre.



Pierre-Yves Duchâteau



1. Les textes reproduits dans cet articles proviennent de la première édition du manuel : MARTIN C. et  MABILAT J.-J. (2003), Conversations, pratiques de l'oral, Paris, Les Éditions Didier.

2. Une belle épine dans le pied du professeur de français langue étrangère, lequel constate que l'usager emploie sans aucun problème de conscience, et sans doute pour une question de facilité, le futur périphrastique dans des situations qui requerraient le futur simple : « Moi, plus tard, je vais avoir une grande maison avec une belle piscine ! » Inversement, et sans doute aussi par facilité (ou plus précisément, pour éviter une accumulation compliquée de petits mots grammaticaux), le futur simple se rencontre couramment dans l'expression de faits dont on perçoit pourtant les signes avant-coureurs dans le présent : (« Ce ne sera pas facile ! » ou « Il n’y aura personne ! » sont plus économiques d’un point de vue articulatoire que « Ça ne va pas être facile ! » ou « Il ne va y avoir personne ! »). L’excellent site de l’Office québécois de la langue française expose en d’autres termes, en les amplifiant et en les exemplifiant davantage, les observations décrites dans cet article (http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl... ). 

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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