Primaire et secondaire : pour une continuité des programmes

L'un des enjeux de la réforme de la formation initiale des enseignants sera sans doute d'adoucir pour les élèves la transition entre le primaire et le secondaire. Nous avons voulu savoir dans quelle mesure les nouveaux programmes du primaire, particulièrement ceux de français, s'inscrivaient dans cette optique.



Le programme de français du 1er degré commun du secondaire, pour l'enseignement catholique, date de 2005. Au primaire, l'enseignement du français, régi depuis 2001 par le PIASC (programme intégré adapté aux socles de compétences), est actuellement balisé par un nouveau programme, officiellement présenté en 2012 et décliné en trois fascicules (centrés respectivement sur les 2e, 3e et 4e cycles de l'enseignement fondamental). 

À la veille d'une réforme de la formation initiale des enseignements, prévue pour septembre 2020, qui permettra notamment aux futurs professeurs de français formés dans la « section 3 » de travailler à la fois dans les deux dernières années de l'enseignement primaire et les 3 premières du secondaire, nous nous sommes demandé si ces nouveaux programmes, en particulier celui du 4e cycle (couvrant les deux dernières années du primaire), s'inscrivaient dans l'esprit du programme du 1er degré commun du secondaire. Personnellement, je m'attendais à ce que cette récente livraison de programmes établisse une continuité claire entre le primaire et le secondaire aux niveaux des apprentissages prescrits, de la méthodologie et des concepts mobilisés. Est-ce le cas ?

Si l'on s'en tient à ces quelques lignes qui ouvrent le nouveau programme de mathématiques (lequel annonce les intentions et les raisons de la réécriture des programmes au primaire, dont ceux de français parus dans la foulée), cette continuité devrait être assurée :

« L’article 13 du décret Missions stipule que « l’enseignement maternel et les huit premières années de la scolarité obligatoire constituent un continuum pédagogique structuré en trois étapes, visant à assurer, à tous les élèves, les socles de compétences nécessaires à leur insertion sociale et à la poursuite de leurs études ». Le passage de la 6e primaire au premier degré de l’enseignement secondaire est un moment délicat que beaucoup de jeunes négocient difficilement, faute de progression cohérente entre les exigences de ces deux niveaux. La décision a donc été prise d’associer les responsables disciplinaires du premier degré de l’enseignement secondaire à tous les stades de la conception de ce programme, et ce, dès le début. »1

Les apprentissages

Le programme du 1er degré du secondaire2, paru en 2005, propose à l'élève d'apprendre à accomplir des tâches de communication relativement ordinaires comme lire et écrire des textes littéraires, lire et écrire des textes argumentatifs, lire des textes informatifs, oraliser des textes littéraires ou encore échanger oralement dans un cadre social authentique. À cette fin, chacune de ces tâches de communication est décomposée en compétences particulières, dites « spécifiques », dont l'acquisition doit permettre à l'élève d'améliorer ou de parfaire ses capacités à communiquer. Ainsi, afin d'être en mesure d'écrire un texte littéraire, l'adolescent doit mettre au jour les caractéristiques du genre de texte à produire, élaborer des idées, mobiliser un lexique suffisamment varié et précis, adopter un registre de langue adapté, varier la construction des phrases, soigner l'orthographe et la présentation visuelle de son écrit, etc. 

Ces compétences spécifiques sont en fait précisément décrites dans un document émanant de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les Socles de compétences (1999), auquel le programme de l'Enseignement secondaire catholique fait explicitement référence. C'est naturellement à ce même document, qui reprend les apprentissages à réaliser jusqu'en fin de 2e secondaire, que font référence les nouveaux programmes du primaire pour le français3. Dès lors, pour apprendre par exemple à écrire, il s'agira également, mais à des niveaux de maitrise différents selon l'année de primaire concernée, d'assurer l'organisation du texte en référence à un genre, de rechercher des idées, d'utiliser un vocabulaire précis et adapté à la situation de communication, de créer des phrases variées et plus ou moins complexes, de veiller à l'orthographe et à la mise en page de sa production, etc. En outre, ces compétences sont explicitement déclinées en savoirs et savoir-faire précisément décrits, échelonnés parmi les cycles du fondamental (un tableau de « mise en perspective des attendus » planifie clairement les apprentissages sur le cursus scolaire des enfants) et accompagnés d'exemples de tâches au moyen desquelles l'élève pourra les faire siens autant que possible. On perçoit donc dans ces nouveaux programmes du fondamental une volonté réelle d'explicitation et de clarification des attentes, portant essentiellement sur le quand enseigner quoi.

La méthodologie

Le programme de français du 1er degré commun du secondaire expose très clairement la méthodologie à suivre : « Les ateliers de structuration débouchent sur une production orale ou écrite qui est le véritable lieu d'intégration des savoirs construits et exercés. (...) La séquence suit donc un mouvement allant de la contextualisation de la tâche (pratiquer) à sa décontextualisation (analyser) pour en revenir à nouveau à une contextualisation (réinvestir). »4 La production finale de la séquence constitue l'objet sur lequel se fonde l'évaluation certificative des apprentissages. Par ailleurs, dans la phase d'analyse, l'élève observe, analyse, s'approprie des ressources, exerce des savoir-faire... Il s'emploie activement à déterminer ses lacunes et à y remédier, avec l'aide de son enseignant, par la construction ou la mobilisation de savoirs et savoir-faire appropriés. La pédagogie se veut donc explicitement active, tant au niveau des objectifs (écrire, lire...) que de la manière d'y parvenir (construire/mobiliser des ressources).

Les nouveaux programmes du primaire sont quant à eux nettement moins prescriptifs sur la méthode à suivre. Les auteurs s'en justifient par ce passage : 

« Le pari relevé par ce changement de perspective est que cet effort de clarification et de planification des attendus permettra, à ceux qui alimentent le dispositif didactique, de se consacrer à l’essentiel : outiller les enseignants sur le « comment ». Les enseignants de la formation initiale, les formateurs de la formation continuée, les conseillers pédagogiques de la Cellule de conseil et de soutien pédagogiques ou encore les chargés de mission du Service de productions pédagogiques de la fédération, tous sont sollicités pour aider les enseignants à développer des stratégies d’apprentissage efficaces et variées, à développer leurs capacités à détecter les faiblesses et les manquements, ainsi qu’à analyser les erreurs. Avec Marc ROMAINVILLE (1996), nous considérons qu’en matière d’accompagnement méthodologique, un des principaux écueils serait de considérer qu’il existe une seule « bonne » stratégie. En effet, une stratégie efficace pour un élève ne l’est pas nécessairement pour un autre. Il existerait autant de profils d’apprenant que d’élèves. »5

Suivent quelques lignes sur la nécessité de différencier les approches pédagogiques  pour répondre efficacement à la diversité des profils d'élèves.

Les nouveaux programmes de primaire se centrent donc sur les contenus et omettent à dessein toute ligne méthodologique normative. On trouve tout au plus quelques indications didactiques plutôt ouvertes comme l'idée qu'il ne faille plus nécessairement construire une séquence au départ d'une situation complexe : 

« L’organisation des séquences d’apprentissage peut se concevoir selon des modalités différentes, partant du complexe vers le simple et vice versa. L’essentiel est que l’élève prouve tant la maitrise des savoirs, des savoir-faire que sa capacité à les mettre en lien. » 6


Tâches élémentaires, globales et de mise en lien

Ces savoirs et savoir-faire seront travaillés, selon les programmes du primaire, au travers de tâches de trois types différents : des « tâches élémentaires » portant sur un savoir/savoir-faire précis, des « tâches globales » portant sur plusieurs savoirs et savoir-faire relevant d'un même domaine (lire, écrire, écouter ou parler) et des « tâches de mise en lien » qui envisagent un même savoir-faire au sein de plusieurs domaines ou disciplines. L'évaluation portera quant à elle, indifféremment, sur ces trois types de tâches.

Selon Anne WILMOT, secrétaire générale de la Fédération de l'enseignement fondamental catholique, les nouveaux programmes se centrent essentiellement sur la question du quoi enseigner, remettant à plus tard la question du comment enseigner, tout aussi capitale assure-t-elle. 


Notre préoccupation prioritaire est de répondre à la question de qui fait quoi, quand (...). Avant de réfléchir au comment on va travailler avec nos élèves, il y a cette priorité de prendre bien connaissance du quoi, de ce que nous devons travailler avec eux. (...) Il est opportun de procéder à une proposition de répartition de ce quoi pour l'ensemble des années du fondamental.


Cependant, les exemples de tâches élémentaires, globales et de mise en lien qu'Anne WILMOT montre dans sa présentation vidéo des programmes suggèrent que les savoir-faire doivent toujours être envisagés dans des contextes plus larges qui leur donnent du sens (les pronoms sujets sont envisagés par exemple, au maternel, au sein d'une leçon sur le lapin). 

Présentation du programme de langue française 


Du reste, si l'on consulte les quelques activités publiée sur la Salle des profs, le nouveau site des outils pédagogiques de l’enseignement fondamental catholique, on relève un souci affirmé d'articuler savoir-faire particuliers et tâches de communication signifiantes. (Pour autant, certaines activités invitent l'élève à systématiser les savoirs de langue et donc à s'abstraire quelque peu de la situation de communication pour se centrer sur le fonctionnement interne de la langue.)


Voici un exemple de tâche globale relevant du domaine « parler » et destinée à des élèves de 6e primaire (page 147 du programme consacré au cycle 4): 


Cette tâche dite globale s'apparente à une tâche fonctionnelle (qui répond à un besoin de la vie courante). Dans la mesure où l'enseignement vise notamment la capacité à agir adéquatement en société, l'objectif ici visé est valide. Cependant, les balises que constituent les sous-consignes (dont la numérotation renvoie aux savoir-faire qu'elles entendent entrainer), certainement utiles dans une perspective d'étayage (voire d'un enseignement explicite), gagneraient sans doute à disparaitre progressivement. En effet, si l'on souhaite former des citoyens autonomes, on doit également développer chez eux cette capacité à mobiliser seuls démarches et procédures qui permettront d'accomplir une tâche.


Prenons un autre exemple de tâche globale, prélevée cette fois dans le « domaine » lire (page 51 du même programme) :


À mon sens, il ne faut pas confondre une « tâche globale » avec une tâche authentique de communication. En effet, ce n'est pas parce que l'élève est capable de répondre à des questions précises portant sur des démarches spécifiques de lecture (anticiper le contenu à l'aide d'indices, préciser l'intention dominante de l'auteur à partir d'indices, restituer le récit dans un ordre chronologique, sélectionner le sens adéquat d'un terme, interpréter les éléments non verbaux...) que j'ai la garantie qu'une fois seul devant un texte de difficulté semblable, il sera capable d'en reformuler le sens global. Il s'agit donc bien d'une activité d'entrainement qui ne présage pas vraiment la maitrise en situation non scolaire ou non assistée de la compétence lire.

Il me semble donc que les programmes du primaire devraient également prévoir des tâches authentiques de communication, à l'occasion desquelles l'élève apporterait non seulement la preuve de sa maitrise des savoir-faire et savoirs nécessaires à leur réalisation, mais aussi de sa capacité à sélectionner et à mettre en œuvre les savoirs et savoir-faire requis par la tâche.

Le comment enseigner peut-il précéder le quoi enseigner ?

Question insolite, tant il est peu concevable de réfléchir à la manière dont nous allons enseigner des contenus que nous n'avons pas encore déterminés. Pourtant, en ce qui concerne la compétence lire, cela reviendrait simplement à placer l'élève devant un texte adapté à son âge et à lui demander d'en raconter l'histoire. S'il en est parfaitement capable, pour chacun des textes qu'on lui propose, il n'a sans doute plus rien d'essentiel à apprendre dans le « domaine » de la lecture qui concerne sa tranche d'âge. Dans le cas contraire, il est nécessaire de l'aider à poser un regard réflexif sur sa lecture, à déterminer ce qui lui a posé problème : le sens de certains mots, des constructions syntaxiques complexes, une difficulté à relier des pronoms à leurs antécédents, une difficulté à établir des liens logiques entre les informations, une difficulté à interpréter les figures de style et, plus couramment sans doute, à rétablir le sens implicite, à combler les ellipses narratives, etc. ?

Cette démarche suppose que l'on identifie au préalable le pour quoi enseigner, mais également que l'on traite les difficultés communes et particulières de tous les élèves, ce qui n'est peut-être pas possible dans des classes de 20 apprenants pilotées par un seul enseignant. Le programme du fondamental recommande à cet égard que l'on différencie la méthodologie, si le besoin s'en fait sentir, mais reconnait qu'il y a des limites à la gestion de l'hétérogénéité des classes. Pourtant, la clé du succès scolaire réside peut-être dans cette approche authentique, pragmatique et plus ou moins individualisée des compétences de communication.

Les concepts

D'un programme à l'autre, on le constate, le concept de « séquence » n'a pas la même rigidité : alors qu'en secondaire, une séquence s'ouvre et se clôture toujours par des tâches de communication authentique, en primaire, la suite d'activités que désigne ce terme parait plus aléatoire, moins figée, peut-être plus adaptée au profil de l'élève et à la réalité du fondamental, moins corseté, comme peut l'être l'enseignement secondaire, dans un carcan horaire et disciplinaire.

Par ailleurs, d'autres évolutions conceptuelles présentes dans le programme de français de primaire s'accordent peu avec la conception de la séquence telle qu'on l'entend au secondaire. Les quatre compétences générales que sont en secondaire parler, écouter, écrire et lire sont désignées dans les programmes du primaire par le terme de « domaines ». Les compétences spécifiques du secondaire, qui résultent de la décomposition en savoir-faire particuliers des compétences générales, deviennent dans ces mêmes programmes de simples « compétences ».

Pourquoi « domaine » ? Selon le dictionnaire, un domaine est une étendue délimitée de terrain (une propriété) ou de pensée, d'activités (le domaine des sentiments, le domaine des arts, le domaine du football)... Il me semble que cette appellation ôte aux grandes compétences de communication que sont parler, lire, écrire et écouter leur statut d'objectif final de tout apprentissage. Or, on n'apprend pas l'accord du participe passé pour faire autre chose qu'écrire, on n'apprend pas à faire le lien entre un pronom et son antécédent pour mieux connaitre le fonctionnement des pronoms mais avant tout pour mieux lire, mieux écouter ou mieux écrire. Cette articulation claire entre moyens et objectifs, on la retrouvait dans les concepts de « compétences spécifiques » et de «compétences générales ». Elle n'a plus la même évidence dès que l'on parle de « compétences » et de « domaines ».

Conclusion

Le nouveau programme du primaire a subi plusieurs examens dans différentes commissions de validation et a obtenu en bout de parcours la signature de la ministre compétente. L'une de ces commissions était habilitée à statuer tant sur les programmes du primaire que ceux du secondaire. D'ailleurs, selon Anne WILMOT, l'un des paramètres qui ont guidé la conception des nouveaux référentiels du primaire consistait dans un affermissement de la continuité entre le fondamental et le 1er degré du secondaire. 

À cet égard, il serait certainement souhaitable que l'on s'entende sur trois points intimement liés et que l'on affirme clairement les positions prises : 

1. Qu'évalue-t-on de manière certificative chez l'élève ? Sa capacité seule à accomplir des tâches complexes de communication (les « activités fonctionnelles de réinvestissement » du secondaire) ou, indifféremment, son habileté à accomplir des tâches élémentaires, globales et de mise en lien (comme dans le fondamental) ?

2. Une séquence peut-elle se terminer par autre chose qu'une tâche complexe que l'élève doit accomplir en autonomie, c'est-à-dire sans balises externes ? Autrement dit, peut-on se contenter du travail explicite sur une ou plusieurs compétences spécifiques sans les réinvestir dans une tâche authentique de communication par la suite ?

3. Conserve-t-on une hiérarchie entre deux types de compétences, les compétences générales et les compétences spécifiques, étant entendu que les compétences spécifiques sont au service des compétences générales ?


Une clarification de ces trois enjeux permettrait une transition plus efficace entre le fondamental et le secondaire, au service des préoccupations des différents acteurs du monde de l'école. 


Pierre-Yves DUCHÂTEAU



1  Programme formation mathématique cycle 2, Enseignement catholique fondamental, page 11.

2 Programme français 1er degré commun, Enseignement catholique secondaire, 2005.

3 Programme langue française, Enseignement catholique fondamental. (Date de parution non spécifiée dans le document.)

4 Programme français 1er degré commun, Enseignement catholique secondaire, 2005, page 14.

5 et  Programme langue française, Enseignement catholique fondamental, pages 8 et 9.

Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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