Chanson (1) : Clafoutis et inférences

L'originale chanson de DORIAND, « La recette du clafoutis parfait », se prête particulièrement bien à l'entrainement de la compétence « écouter » en raison, notamment, du travail interprétatif qu'elle requiert.


Nous avons sélectionné pour vous, parmi une multitude de chansons françaises plus ou moins récentes, quelques perles combinant à parts parfois inégales poésie, réflexion et engagement. De telles chansons sont bien sûr exploitables en classe, le plus souvent dans le cadre d'un travail sur la compétence « écouter ».


La première d'entre ces perles a été écrite et composée par un certain DORIAND, chanteur né à Libourne, en Gironde, en 1972. Elle figure sur son 4e album, publié en 2011, et s'intitule « La recette du clafoutis parfait ».

Ecoutez-la : 


Découvrez les paroles de la chanson : Paroles de la chanson "La recette du clafoutis parfait"


L'originalité de cette chanson réside sans doute dans le fait qu'une recette de cuisine fait rarement l'objet d'une mise en musique. On comprend bien vite, d'ailleurs, que cette recherche obstinée (« Mes clafoutis, c'est moi »1), menée par le narrateur, du clafoutis idéal vise avant tout à combler son amoureux ou amoureuse, lequel ou laquelle ne semble jamais satisfait(e) (« Ça manque toujours un peu d'un truc, hein ? »), à tel point que même la réussite d'un clafoutis parfait ne susciterait aucun appétit de sa part (« Ben, t'aurais plus faim ») et était en réalité vouée à l'insuccès (« Tu veux des crêpes ? »). 

Cette histoire de clafoutis qui ne sont jamais assez parfaits, c'est en fait, de l'aveu même de l'auteur, une allégorie de tout ce que les conjoints peuvent tenter pour contrer le délitement inéluctable du couple et de l'amour qui les lie. Cela pourrait-il intéresser des élèves de 14-15 ans ?


Un parti-pris didactique : pas de long questionnaire

Ou plutôt, pas de questions trop précises. Trop souvent, lorsqu'on propose un texte écrit ou oral aux élèves, on leur soumet dès après des questionnaires plus ou moins longs, qui visent avant tout à vérifier la bonne compréhension du document. Le problème de cette démarche classique est à mon sens double : d'une part, on livre immanquablement dans la formulation des questions des informations qui balisent et orientent la compréhension du texte, si bien que l'élève est guidé, assisté dans sa tentative d'écoute ou de lecture alors que l'objectif de l'école est au contraire de le rendre autonome face aux productions culturelles et informatives ; en outre, cette séquence écoute-questions oblitère le travail sur les démarches de construction du sens, dont la maitrise est sans aucun doute plus profitable à long terme pour l'élève que la capacité à répondre aux questions de vérification de la compréhension.

Nous tâcherons au contraire de susciter chez l'élève l'auto-questionnement, de développer sa capacité à se poser des questions pour faire advenir le sens premier du texte (le sens global du texte considéré comme un tout cohérent, résultant de la compréhension du document) et à débusquer ce qui doit faire l'objet d'une interprétation pour aller au-delà du texte et saisir les intentions fines de l'auteur et de sa production (le sens second, résultant de l'interprétation du texte).


Partir d'une écoute-plaisir : apprécier

Une production culturelle doit en principe divertir, faire passer un moment agréable, procurer du plaisir et pas d'emblée donner lieu à une analyse fastidieuse ou, plus insolite encore et pourtant fréquent à l'école, déboucher immédiatement sur une évaluation certificative. Donc, cette chanson, écoutons-la simplement, dans un premier temps, pour l'apprécier. Toutefois, il n'est pas inutile, de la part de l'enseignant, de motiver son intention de faire écouter telle ou telle chanson. En ce qui me concerne, à défaut d'un projet authentique qui consisterait par exemple à sélectionner des chansons françaises en vue de constituer la playlist de la fête de l'école, il me semble que je pourrais annoncer ceci : « J'ai entendu cette chanson récemment à la radio. Je ne la connaissais pas et elle m'a intéressé. La voici. (...) Qu'en pensez-vous ? Elle vous plait ? Pour quelles raisons ? »

Les réactions seront certainement de plusieurs ordres, oscillant de la franche répulsion à l'assentiment poli, je ne me fais pas d'illusions. Mais qu'il l'apprécie ou non, l'élève devra justifier son point de vue, de préférence par écrit. Peut-être relèvera-t-il la chaleur de la voix, la douceur de la guitare, le rythme chaloupé de la mélodie ? Peut-être même mettra-t-il en exergue l'originalité des paroles, où il est question d'un type qui raconte ses tentatives pâtissières d'émouvoir son ou sa partenaire ? 

De l'écoute-plaisir au sens global : comprendre

«  Avant de porter un jugement sur cette chanson, assurez-vous de bien la comprendre. Nous allons la réécouter et je vous demanderai ensuite de me dire ce que vous en avez compris. Qu'allez-vous faire pour bien comprendre la chanson ?  »


Cela vaut la peine de noter au tableau les démarches que l'élève a l'intention de mettre en œuvre pour construire le sens d'une chanson et, si nécessaire, de le pousser à formuler des opérations aussi concrètes et réalistes que possible. « Etre attentif au sens » ou « essayer de comprendre ce que le chanteur veut dire » ne suffisent pas et reviennent à affirmer que pour comprendre une chanson, il est nécessaire d'essayer de la comprendre... 

Quelles sont les démarches précises susceptibles d'aider l'élève à établir le sens d'une chanson ? Je suggère de suivre cette procédure, parmi d'autres possibles : on tâchera d'abord de faire extraire du texte des informations explicites par cette simple question : « Quels sont les mots ou suites de mots qui vous paraissent importants dans la chanson ou qui reviennent à plusieurs reprises ? » L'élève essaiera ensuite de mettre en relation ces éléments explicites pour établir une première reformulation du sens avant de combler les non-dits ou les incertitudes par des hypothèses plausibles : « Pourquoi et pour qui le narrateur confectionne-t-il des clafoutis ? Pourquoi cherche-t-il sans cesse à améliorer sa recette ? Qui n'aurait plus faim et pour quelles raisons ? Qui souhaite des crêpes et pourquoi, à votre avis ?... »

« Qui, pour qui, pourquoi, pour quelles raisons...? » sont des mots interrogatifs qui permettent de se poser de bonnes questions sur ce texte. Ils ne conviennent bien sûr pas à toutes les chansons. Afin d'aider l'élève à se poser, sans assistance extérieure, des questions pertinentes sur un texte, il n'est certainement pas inutile d'enrichir explicitement son arsenal de mots interrogatifs. Il serait en outre judicieux de l'inviter à rédiger, avec l'aide d'un camarade puis seul, 3 ou 4 questions qui lui permettront de mieux comprendre tel ou tel texte. Une opération à reproduire régulièrement, à chaque occasion qui se présente, dans le but de consolider progressivement son autonomie en lecture ou en écoute.

De même, on sensibilisera l'élève à évaluer la contribution de la mélodie au sens global de la chanson. On pourrait lui demander de caractériser par quelques adjectifs la musique puis d'exprimer si elle fait écho au sens des paroles ou ce qu'elle y ajoute. En ce qui me concerne, je perçois dans la chaleur de la voix et la douceur de la musique une grande sollicitude...

Du sens global au sens second : interpréter

«  Pourquoi composer une chanson sur la séduction par la pâtisserie ? Que faut-il voir derrière ces clafoutis et ces crêpes ? Qu'est-ce que ça pourrait symboliser, une recette de pâtisserie qu'on cherche sans cesse à améliorer pour plaire à quelqu'un ?  »


Il me semble de nouveau que l'essentiel, c'est que l'élève se pose les bonnes questions à partir de cette interrogation fondamentale : « Mais pourquoi ou dans quel but l'auteur a-t-il écrit cette chanson ? Quel message a-t-il voulu transmettre ? » Pour le reste, l'interprétation suppose une certaine liberté, liberté toutefois contrainte par l'impératif d'une cohérence avec le sens global. On veillera donc à ce que l'élève justifie ses interprétations par des références au texte. 

Cela étant dit, on peut se demander si l'interprétation fine d'une telle chanson est accessible à de jeunes adolescents qui bien souvent n'ont encore aucune expérience de la vie amoureuse. Difficile à dire : ils sont inexpérimentés, mais pour certains d'entre eux ont assisté à l'amour décroissant de leurs parents ; quelques témoignages pourraient éventuellement nourrir une discussion plus générale sur les aléas de la vie de couple. L'amour est un vaste sujet ; en appréhender plusieurs facettes par le biais de textes littéraires est une forme d'éducation affective sans aucun doute profitable dès cet âge.


Pierre-Yves DUCHÂTEAU




1. FLAUBERT aurait déclaré : « Madame Bovary, c'est moi », pour marquer le puissant lien d'attachement et d'identification qui l'aurait lié à son personnage. D'autres déclarations de l'auteur, bien attestées celles-là, démentent ce lien.


Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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