La Méthode Verbotonale de correction phonétique : et concrètement, en classe ?

Cet article propose quelques pistes concrètes pour pratiquer la MVT en classe de FLE. En effet, si l'efficacité des techniques de correction phonétique de la Méthode Verbotonale est assez reconnue, on lui reproche souvent une certaine forme d'austérité dans son application et en particulier dans le matériel (enregistrement, documents) existant pour la mettre en oeuvre. Par ailleurs, à quel(s) moment(s) des séquences et à quelle fréquence la pratiquer ? Tentons de fournir quelques éléments de réponse.

Avec quoi ? Un matériel : DIY ! 

Lorsque la MVT a commencé à se diffuser et à faire des émules, le besoin d'un matériel (manuels, documents, enregistrements et images) s'est rapidement fait sentir. Quelques manuels théoriques et pratiques de prononciation du français selon la MVT ont vu le jour1.  En parallèle à cela, des méthodes à proprement parler (avec dialogues enregistrés et utilisés lors des cours) ont été développées dans différentes langues, sous l'égide des plus grands praticiens de la méthode qui s'adjoignaient l'aide d'un dessinateur.Il s'agissait de projeter des images assorties d'énoncés enregistrés à faire répéter aux apprenants tout en les corrigeant. 

Pour rappel, le choix de se baser uniquement sur des images fixes (et non pas des vidéos) est d'ordre résolument méthodologique, car les verbotonalistes considèrent, encore à l'heure actuelle, que le cerveau doit se focaliser littéralement sur l'information sonore reçue (avec le soutien visuel de l'image, qui aide à construire le sens) et ne pas être distrait par des mouvements et d'autres sons générés par des images animées. A l'heure des « Stop Motion », des « tutos » et des vidéos Youtube dont la conception est, pour ainsi dire, à la portée de tous, un tel matériel (des images, bien que de grande qualité, de bande dessinée) passe mal aux yeux des apprenants, quel que soit leur âge. Enfin, et c'est sans doute ce qui est le plus dommageable, certains des énoncés enregistrés appartiennent à une langue ressentie comme un peu surannée par les locuteurs actuels. Qui dit encore aujourd'hui « Gaston prend l'autobus » ou « Quel numéro demandez-vous, Monsieur ?  »  En s'entêtant à proposer ce genre d'énoncés, le professeur de MVT passerait à côté de son objectif de communication et de celui des concepteurs de la méthode qui se faisaient fort, enquêtes linguistiques à l'appui, d'enseigner la langue dans son usage quotidien.

Comme tout  matériel ayant pour ambition d'être en prise directe avec l'oralité, celui « d'époque » est inutilisable dans les classes actuelles et nécessite donc une actualisation indispensable. Qu'à cela ne tienne, concevons-le ! Le « Do It Yourself » étant très à la mode, pourquoi ne pas l'introduire dans la classe de FLE ?

Ajoutons que, surtout face à une classe de grands débutants (et même de faux débutants), trouver des documents oraux adaptés aux besoins et au niveau des apprenants peut s'avérer difficile pour le prof de FLE. Si l'on connait et apprécie les vertus des documents authentiques, qui doivent la plupart du temps être privilégiés, il faut reconnaitre que leur utilisation n'est pas toujours aisée et crée parfois, chez les apprenants, des blocages dus à un stress lié à l'incompréhension. L'effet escompté (un contact direct avec la langue quotidienne) est ainsi totalement perdu. On proposera donc, pour le travail phonétique proprement dit, d'avoir recours à un document non authentique, mais totalement calibré pour la classe visée. C'est là qu'intervient le principe du « Do It Yourself », le professeur n'étant, c'est bien connu, jamais aussi bien servi que par lui-même...

Réjouissons-nous, à l'heure actuelle, la technologie facilite grandement les choses et toute personne possédant un smartphone et un ordinateur peut produire un matériel d'une qualité correcte, sans réelles difficultés pratiques. Le smartphone permettra de prendre les photos nécessaires et d'enregistrer le son, qui seront intégrés dans une présentation créée sur l'ordinateur.

Une fois le dialogue conçu, illustré et enregistré, il sera utilisé et exploité en début de séquence, comme activité fonctionnelle. Il pourra également être retravaillé partiellement en fin de séquence, comme nous le verrons par la suite.

1. Analyse du dialogue « Proposer une sortie »

A titre d'exemple, nous proposons ici un dialogue, qui a été travaillé avec une classe de débutants complets d'étudiants Erasmus (huit apprenants d'une vingtaine d'années de trois nationalités et langues maternelles différentes). Précisons d'emblée qu'il ne doit en aucun cas être considéré comme un modèle, mais plutôt comme une base de travail améliorable et adaptable au public-cible et à ses besoins.

Cliquez ici pour accéder à la présentation du dialogue : « Proposer une sortie »

Fiche descriptive du dialogue
Actes de parole : proposer une sortie, fixer un rendez-vous, accepter/refuser.
Structures grammaticales en lien avec les actes de parole
[proposer] - on pourrait... 
[accepter/refuser]
               - bonne idée
               - ce (n')est (pas) possible 
               - je (ne) suis (pas) libre
               - ça marche
Vocabulaire : les heures, les jours de la semaine, les activités quotidiennes  et les hobbys. 

Convenons d'emblée que ce type de matériel a un côté très artisanal qui, s'il fait son charme, n'en comporte pas moins des limites objectives. On notera la pointe d'accent régional des locuteurs, la qualité relative des enregistrements, le débit de parole parfois trop rapide, bref le caractère un peu « bricolé » de l'ensemble, qui a toutefois le mérite de rendre un peu d'authenticité au résultat. En outre, en termes de rapport entre l'investissement de temps consacré à la réalisation technique et les bénéfices manifestes d'apprentissage récoltés, le bilan reste positif.

L'écoute suit logiquement le dispositif classique d'une activité de compréhension orale. 

Dispositif d'une activité de compréhension orale :
1) Un visionnement intégral
Objectif : répondre à une question globale : de quoi parlent les personnages ?
Au besoin, proposer des sous-questions (Où sont les personnages, qui/combien sont-ils ? Ils sont amis ...? Qu'est-ce qu'ils font, qu'est-ce qu'ils veulent ?) pour cerner la situation de communication.
2) Un visionnement fragmenté (avec interruptions entre chaque énoncé)
Objectif : une compréhension plus approfondie (les intentions, les enjeux mis en évidence par l'inférence) et/ou plus détaillée (mise en évidence d'informations précises).
3) Un dernier visionnement intégral
Objectif : lever les derniers doutes, replacer les énoncés dans leur contexte et commencer à les mémoriser.

2. L'exploitation selon la MVT

Le dialogue est proposé en début de séquence, en guise d'activité fonctionnelle. Les apprenants, qui vivent, dans notre cas, leurs tout premiers contacts avec le français, sont d'abord invités à écouter l'ensemble du dialogue en s'aidant des images. Le rôle du prof est avant tout de les mettre en confiance en leur faisant comprendre (gestes à l'appui) qu'ils doivent tenter de saisir le sens global de ce qu'ils entendent, tout en regardant les images défiler (étrangement, le soutien visuel est parfois négligé par les apprenants qui craignent de ne pas comprendre).

Lors de la deuxième étape, on veillera à poser des questions simples contribuant à mettre au jour l'information contenue dans la dia et à renvoyer les apprenants à l'image si l'incompréhension persiste.

Le rôle des images en parfaite adéquation avec le propos est donc crucial, d'autant qu'il s'agit, pour partie, de notions que les apprenants n'ont pas encore abordées systématiquement en classe. Les heures et les jours de la semaine seront par exemple introduits par la représentation d'un agenda (objet assez universel en principe, si les apprenant ont été scolarisés) permettant une visualisation plutôt explicite des indisponibilités du personnage.

Exemple d'image avec agenda

A fortiori avec de grands débutants, on privilégiera également l'utilisation de dessins, de schémas, pictogrammes ou émoticônes, réputés pour leur interprétation univoque et leur vertu idéographique. L'humour est évidemment le bienvenu, comme souvent en classe de langue, pour contribuer à faire baisser le filtre affectif et le stress qui accompagnent très souvent l'activité de compréhension orale.

J'ai tennis...
OK








Dans le cadre d'une leçon utilisant la correction phonétique selon la MVT, la troisième phase de l'activité de compréhension orale varie quelque peu car elle visera un objectif spécifique : celui de la répétition. Elle permettra en effet à l'enseignant d'inviter les apprenants à s'approprier (et progressivement à mémoriser) les structures en les répétant (pour plus de détails sur cette phase, voir le point 3). Toutefois, si l'on souhaite passer directement à la suite de la séquence (travail des structures grammaticales et du lexique, exercices, productions, etc.), cette troisième écoute peut être opportunément reportée à la séance suivante et permettra un excellent rappel des apprentissages en cours. Enfin, certains énoncés transférables (réutilisables tels quels dans d'autres contextes) pourront être enregistrés par le professeur et transmis aux apprenants. Une fois encore, cette opération est devenue très simple à réaliser grâce à la fonction « enregistreur » présente sur tous smartphones et à diffuser aisément sous format MP3. Les apprenants auront ainsi à leur disposition une banque de données d'énoncés-clés s'étoffant au fur et à mesure des leçons, qu'ils auront pour mission d'écouter et de répéter régulièrement dans leur travail autonome. Ces énoncés seront d'ailleurs privilégiés lors de séances de répétitions et de correction phonétique ultérieures.

3. Comment se passe la répétition en contexte d'apprentissage ?

Pour des illustrations vidéos, nous renvoyons au travail de l'infatigable M. BILLIÈRES qui propose, comme déjà signalé dans notre article précédent, des vidéos de séances de correction phonétique, classées par procédés de correction3. Malheureusement, de telles séances consacrées uniquement à de la correction phonétique sont peu réalisables dans les classes de langue traditionnelles. Il convient donc d'en appliquer les principes en micro-séances de quelques minutes pratiquées régulièrement, en faisant répéter les énoncés des dialogues en fin de compréhension orale, par exemple.

Concrètement, il s'agit d'un échange de « ping pong » entre l'enseignant, qui prononce l'énoncé, et l'étudiant, qui le répète. En fonction de la manière dont les sons sont prononcés, le professeur sélectionne très rapidement le(s) son(s) qu'il va corriger et propose un nouvel énoncé intégrant une correction basée sur la technique verbotonale (en déplaçant le son dans la courbe intonative, en le modifiant, en utilisant des gestes, par exemple). L'apprenant répète à nouveau et le professeur affine sa correction en fonction de l'énoncé produit. Après quelques échanges, le son est prononcé de manière plus satisfaisante, voire correcte et l'exercice s'interrompt. Le professeur se tourne alors vers l'apprenant suivant. Il s'agit d'une méthode très personnalisée car l'enseignant s'adapte en temps réel aux besoins et difficultés de l'élève, détectés grâce à ses productions. Ces procédés sont redoutablement efficaces, pour autant qu'on travaille sur des énoncés suffisamment courts (en fonction du niveau de maitrise linguistique de l'apprenant), composés en général de 4 ou 5 syllabes pour les débutants.

M. BILLIÈRES n'élude pas les difficultés et les écueils auxquels sont confrontés apprenants et professeurs lors de ce type d'exercice (même s'ils sont pratiqués pendant de courts moments)4. La plupart du temps, l'attitude des apprenants traduit un certain malaise car ils se sentent peu compétents et n'entendent littéralement pas les erreurs de prononciation qu'ils commettent5(les fous rires ne sont pas rares). Certains se braquent, d'autres se lassent assez vite. Pour pallier ces obstacles, le professeur veillera à instaurer un climat de confiance (l'humour étant toujours une arme redoutable) pour mettre ses élèves à l'aise. En outre, il passera rapidement à l'étudiant suivant, ne consacrant qu'une minute ou deux par personne à chaque énoncé. À ce rythme, il est évident que les sons fautifs seront corrigés (prononcés finalement quasi correctement grâce aux exercices proposés par l'enseignant), mais pas définitivement intégrés. Il conviendra d'y revenir régulièrement afin que les apprentissages (dans ce cas, la prononciation correcte) passent dans la mémoire à long terme de l'apprenant. 

Conclusion

La conception d'un matériel certes un peu artisanal mais fonctionnel est désormais envisageable grâce aux outils numériques que nous avons à notre disposition. Il devient donc possible de pratiquer la méthode verbotonale de correction phonétique en classe, de manière ponctuelle mais régulière, dès que l'occasion se présente, en utilisant un matériel calibré, adapté aux besoins des apprenants et à leur niveau. En fin de séquence, des « moments » consacrés à la phonétique sont aussi envisageables, où il s'agira de pratiquer la répétition des énoncés (en remontrant au besoin les images correspondantes pour assurer la compréhension). En parallèle, on créera une sorte de banque de d'énoncés issus des dialogues vus et rassemblés au fur et à mesure, que les apprenants pourront utiliser dans différents contextes de communication.

Plus d'excuses donc...


Amélie HANUS



1 Pour une analyse argumentée de ces différents manuels, voir le blog de M.BILLIÈRES - https://www.verbotonale-phonet...

2 Notons que la méthode d'alphabétisation Pourquoi pas ? est toujours très utilisée aujourd'hui (notamment par Lire et Écrire), même si ses défenseurs (!) en déplorent la mise en page antédiluvienne et le manque d'actualisation des contenus.

http://w3.uohprod.univ-tlse2.f...

4 Pour plus de détails sur les opérations mentales impliquées dans le processus de répétition, voir le 'topo' très complet présenté par M. BILLIÈRES : https://www.verbotonale-phonet...

C'est ce qu'on appelle la surdité phonologique. Elle s'installe dès le deuxième mois pour le bébé et ensuite plus fortement à la puberté pour tous. Au fur et à mesure du développement, l'oreille de l'apprenant se spécialise dans l'identification des sons de sa langue maternelle (et éventuellement d'autres langues qu'il apprend) et ne reconnait voire n'entend plus les autres. Tout apprenant de langue étrangère se trouve dans cette position en début d'apprentissage, il est donc incapable de se corriger seul à ce stade.

Auteur

Amélie Hanus

Maitre-assistante en français, didactique du français et du FLES, professeure d'italien. Intérêt particulier pour la littérature, la lecture, la musique (classique et jazz), l'organisation d'événements culturels, l'Italie, l'italien.

Réagissez à cet article

Derniers articles

Exploitation de l'album « L’Argent » avec des élèves de 3e commune

Visite à la Foire du Livre

Lire, le propre de l’homme ?

Le débat en classe : piste didactique

Un escape game pour mobiliser les lectures de l'année