Carambolages d'images sur l'UAA 5

Quelques pistes pour exercer l'UAA 5 grâce à la technique de la recomposition d'images.

Dans un article consacré au nouveau programme du deuxième degré de l'enseignement de transition, Jean-François PONDANT, enseignant en troisième année, interviewé par Sylvie BOUGELET, faisait part de son enthousiasme face aux nouvelles instructions1

Parmi les éléments qui me satisfont et m’enthousiasment le plus, je voudrais revenir sur les UAA 5 et UAA 6 qui font bien référence à des œuvres et des expériences culturelles (et non pas uniquement à des textes). Imaginez les larges perspectives autour de l’art en général que nous offrent ces deux UAA …

Ces UAA font effectivement la part belle aux objets artistiques et culturels de toute sorte puisqu'elles conduisent respectivement l'élève à « s'inscrire dans une œuvre culturelle » (UAA 5) et à « relater des expériences culturelles » (UAA 6).

L'art et la culture dans les classes 

On le sait, le cours de français est bien plus qu'un cours de langue au sens strict : « parallèlement à sa mission langagière, il a pour objectif de donner accès à la diversité de la culture littéraire et artistique d’hier et d’aujourd’hui »2. La discipline « français » s’intéresse à la langue en tant que système à décrire, à comprendre et à maitriser, mais aussi en tant qu’outil de communication et d’expression puissant. 

En réalité, langue et culture sont deux notions indissociables. En effet, tous les textes comportent une dimension culturelle, certains d’entre eux sont en outre constitués de plusieurs langages (verbal et pictural par exemple) et nombreuses sont les activités de « français » qui impliquent la mise en œuvre de compétences relevant de l’expression artistique (lecture à voix haute expressive, lecture et interprétation d’une œuvre d’art, création d’une planche de bande dessinée, etc.). Dès lors, le patrimoine artistique et culturel, dans sa diversité, fait partie intégrante du cours de français. Le programme est clair à ce sujet : la culture au cours de français ne se limite pas aux objets littéraires, « [elle] englobe la multiplicité des expressions artistiques, des lieux du monde, des supports... »3 

S'il est question pour l'élève d'observer, de contempler et d'analyser des œuvres, il s'agit également d'adopter une posture active en prenant part au processus artistique et créatif. C'est ce que vise l'UAA 5. « Faire l’expérience de la création et inscrire sa marque personnelle dans des œuvres existantes »4 permet à l'élève de découvrir, de comprendre, d'apprécier et de s'approprier des productions artistiques, et participe ainsi à la construction de son identité d' « acteur culturel »5.   

Ce double rapport à l'art et à la culture (réception et intervention/production) est également promu par les travaux réalisés dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'excellence. En effet, le Groupe central considère que « les différentes formes d’expression artistique doivent faire partie intégrante des domaines d’apprentissage qui composent le tronc commun redéfini »6. C’est pourquoi il souhaite développer un « parcours d’éducation culturelle et artistique » (PECA) pour chaque élève, de la maternelle à la fin du secondaire. 

Les aptitudes à acquérir relèvent tant de l'appréciation d'œuvres d'art que de l’expression personnelle qui est essentielle au développement d'aptitudes créatives, lesquelles peuvent être transférées dans diverses situations de vie, y compris professionnelles7.


Concrètement, il s'agit de faire entrer l'art et la culture dans les classes (cours spécifique tout au long du tronc commun, ateliers, résidences d'artistes au sein de l'établissement scolaire, etc.), mais également d'aller à leur rencontre à l'extérieur de l'école (visites, projets en partenariat avec des opérateurs culturels, « classes artistiques », participation à des concours, etc.)8. Il s'agit de permettre à l'élève d'être tantôt en posture de réception, tantôt en posture de création.


Focus sur l'UAA 5

En travaillant l'UAA 5, l'élève fait sienne l’œuvre d’un autre en s'y inscrivant et expérimente la posture d’« auteur ». Comme le précise le nouveau programme, « par ce geste, il découvre les choix opérés par l’artiste et expérimente les potentialités et les limites de différents procédés créatifs. Cette démarche lui permet de s’approprier la culture de manière active et de participer à sa perpétuation et à son actualisation »9

Des œuvres sources et des procédés artistiques

En pratique, les référentiels et les programmes distinguent deux types d'œuvres culturelles sources : les œuvres dites littéraires (récit de fiction, texte poétique, œuvre théâtrale, etc.) et les « autres œuvres artistiques », pour la plupart graphiques ou picturales (bande dessinée, peinture, affiche, photo, film, etc.)10. Le programme de la filière qualifiante mentionne un troisième type : les formes brèves, telles que les dictons et les maximes. Pour s'inscrire dans ces productions, l'élève peut recourir à différents procédés. Le prescrit légal en distingue trois : l'amplification, la transposition et la recomposition, définies comme suit. 

  • L'amplification 

Amplifier, c'est étoffer ou allonger une œuvre, c'est par exemple combler une ellipse, développer un élément simplement évoqué, poursuivre un texte narratif ou poétique, y insérer des passages supplémentaires ou encore élargir le champ d'une image de manière à imaginer ce que cette dernière ne montre pas. 

  • La transposition

Transposer une œuvre culturelle (complète ou partielle), c'est l'adapter à des conditions nouvelles, à un contexte différent, en conservant le même langage (écrit, sonore, iconique, gestuel, théâtral, audiovisuel, etc.) ou en le modifiant. La transposition peut poursuivre des intentions diverses : elle peut être sérieuse ou, au contraire, ludique voire parodique. 

  • La recomposition 

Par recomposition, le prescrit légal désigne la création d'une œuvre nouvelle par déplacement ou suppression d'éléments d'une ou plusieurs œuvre(s) source(s). Il s'agit donc de fragmenter ou de décomposer des productions existantes, d'isoler les éléments qui les constituent de manière à créer des associations inédites qui donneront naissance à une œuvre différente. Il s'agit par exemple de sélectionner des vers au sein d'un ou plusieurs poème(s) et de les agencer pour produire un nouveau texte poétique. 

Une répartition sur deux degrés 

Tous les élèves, qu'ils soient inscrits dans la filière de transition ou de qualification, seront amenés à utiliser ces procédés aux 2e et 3e degrés, selon le prescrit minimal schématisé dans les tableaux suivants. 


Ainsi, au terme du 3e degré, les élèves des différentes filières seront entrés en contact avec des œuvres variées et se seront exercés aux trois procédés artistiques, tels qu'ils sont présentés au sein des référentiels et des programmes. 


Des ressources pour travailler la recomposition d'images

Le cadre légal étant rappelé, il convient à présent de s'intéresser plus en détail au procédé de recomposition, qui est souvent l'un des premiers à être travaillés au deuxième degré. Pour ce faire, mon choix s'est porté sur l'art pictural, et plus largement sur les images. Ce choix résulte tout d'abord d'un double constat : qu'elles soient fixes ou animées, les images sont partout..., mais ce n'est pas parce qu'elles se multiplient et font partie de notre quotidien qu'il est aisé de les décrypter, de les comprendre et de les apprécier... Ensuite, puisque les nouveaux programmes offrent une légitimité à l'image en tant que production à part entière (qui n'accompagne pas forcément un texte), il parait intéressant de lui accorder une place de choix au sein des classes.

1. Lire des images fixes

Tout comme il est peu pertinent de se lancer dans l'écriture d'un texte appartenant à un genre dont on ne connait pas les caractéristiques, il semble difficile de s'adonner à la recomposition d'images sans être familiarisé avec l'objet pictural. Intervenir dans une œuvre nécessite une compréhension fine de cette œuvre. Avant d'entamer la phase créative, il convient d'apprendre à regarder et à lire les images, d'observer et d'analyser leurs caractéristiques ainsi que les codes et les techniques utilisés.

Il s'agit notamment de sensibiliser les élèves aux notions de format, de cadrage, de composition, d'angle, de perspective, de champ ainsi qu'à l'utilisation des couleurs, des jeux de lumière, etc. L'intérêt de l'analyse ne réside pas dans une identification techniciste des procédés utilisés, mais plutôt dans une réflexion relative aux effets produits par ces procédés. Il conviendra donc de convoquer les différents sens de la lecture : 

  • observer/décrire
  • interpréter
  • exprimer son ressenti, son appréciation et/ou son opinion

Un outil pour lire des images dans une perspective créative

Abordant la lecture d'images, et plus précisément de tableaux, de manière originale, le livre-jeu Eurêk'art! créé par Philippe BRASSEUR constitue un outil adéquat. Mettant en regard des œuvres picturales célèbres et des consignes variées visant à développer des aptitudes d'observation, d'analyse et d'interprétation, il permet de s'interroger sur les éléments constitutifs de l'image, sur les choix opérés par l'artiste, mais aussi sur les effets produits sur le spectateur.  Puisqu'il a déjà été présenté par Aurélie CINTORI dans un article consacré à la lecture des photos de Robert CAPA12, je ne m'attarderai pas sur cet outil. Les quelques exemples proposés ci-dessous permettent, me semble-t-il, de s'en faire une idée relativement précise. 

2. Recomposer une image

Sensibilisé à l'objet image et aux procédés dont disposent les artistes ainsi qu'à la notion d'effet(s), l'élève est en mesure d'apprécier et de créer des recompositions. 

Quelles ressources l'enseignant peut-il mobiliser pour faire découvrir cette technique aux élèves ? 

  • Les Carambolages d'Olivier SALON et Philippe MOUCHÈS

S'amusant, à la manière des membres de l'Oupeinpo (Ouvroir de peinture potentielle13), à faire s'entrechoquer et s'interpénétrer des tableaux de différentes époques, Olivier SALON et Philippe MOUCHÈS nous livrent, sous la forme d'un recueil d'une centaine de pages, leurs quarante-et-un « carambolages », ludiques et souvent improbables. 

La vidéo ci-dessous, réalisée par Jean KATTUS, présente de manière claire cet ouvrage et propose des pistes didactiques pour travailler les procédés de recomposition (de tableaux) et de transposition (image/texte) à la manière de SALON et MOUCHÈS.


  • Les photomontages d'Ugur GALLEN 

Dans le domaine de la photographie, les photomontages réalisés par Ugur GALLEN ont retenu mon attention. Connu et diffusé principalement via les réseaux sociaux14, le travail de cet artiste turc consiste à associer deux fragments de photographies différentes, présentant bien souvent des réalités opposées, en vue d'accentuer le contraste qui existe entre celles-ci. Ainsi, les recompositions d'Ugur GALLEN dénoncent des problèmes sociétaux tels que les inégalités sociales (de richesse, de condition, etc.) et les dégâts causés par l'homme et l'industrie sur l'environnement. 

La sélection minutieuse des images sources et la précision de l'assemblage donne à voir une image cohérente au sein de laquelle les lignes et les objets coïncident parfaitement. Mais, l'on constate rapidement que de part et d'autre de la césure, les réalités sont bien différentes, voire totalement contradictoires. 


L'artiste conduit le spectateur à prendre conscience d'une dure réalité. La violence des images de guerre, de famine, de pauvreté (semblables à celles qu'on rencontre souvent dans la presse) semble décuplée par le procédé d'assemblage : les deux réalités opposées sont juxtaposées dans la composition. Les inégalités n'en sont que renforcées. Les élèves devraient percevoir cet effet. 

Loin d'être ludiques, les recompositions de GALLEN sont engagées. Le procédé artistique est ici mis au service d'une cause citoyenne. Au départ d'une sélection d'images, l'enseignant pourrait amener les élèves à réaliser un travail similaire à celui de l'artiste turc. Art et citoyenneté seraient ainsi liés. 

Par le biais des arts et de la culture, tant la créativité que la pensée complexe et l’interdisciplinarité à finalité citoyenne peuvent en particulier se développer15


S'il est possible de créer des recompositions au départ de tableaux ou de photographies, nous pouvons également imaginer mêler les deux de manière à obtenir une recomposition hybride. Comme l'illustre l'image ci-dessous, ainsi que d'autres proposées dans la galerie qui accompagne cet article, Ugur GALLEN s'est prêté à cet exercice. Le voyageur de Caspar David FRIEDRICH ne contemple plus une mer de nuages, mais les vestiges d'une ville ravagée par la guerre... Pire que cela, comme le suggère le plafond éventré, il semble faire partie de la scène : il se trouve lui-même dans l'un de ces bâtiments en ruine.   


Pour construire le sens de cette œuvre, l'enseignant devra favoriser un va-et-vient entre le tableau de Friedrich et la photo actuelle.

3. Et après ? 

Outre le résultat de la recomposition, c'est la démarche et les choix effectués par l'élève qui nous intéressent. Une phase de socialisation des productions permettra d'une part de découvrir et de valoriser les réalisations des élèves, et d'autre part d'échanger au sujet des images choisies, des techniques utilisées, etc. Comment l'élève, devenu auteur et artiste, a-t-il procédé ? Dans quel but ? Quel effet souhaitait-il produire ? Que retient-il de cette expérience artistique ? On convoquera donc ici l'UAA 0 (justification des choix, explicitation de la procédure), et éventuellement l'UAA 6, qui consiste à relater une expérience culturelle. 

Plusieurs pistes de prolongement sont possibles, à commencer par un travail d'argumentation qui consisterait à rédiger (UAA 3) ou à verbaliser (UAA 4) un jugement de gout argumenté.

En conclusion

En les plaçant dans une position de création, l'UAA 5 permet aux élèves de se frotter à différentes œuvres culturelles et de se les approprier. La fréquentation de ces œuvres, promue par les travaux menés dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, favorise l’épanouissement personnel, l’émancipation sociale et le développement de l’esprit critique. En intégrant l'art au sein de ses enseignements, le professeur de français s’investit donc dans les missions qui lui sont assignées.


Anne-Catherine WERNER



1. https://dupala.be/article.php?...

2. FESec (2018).  Programme Français 2e degré, Humanités générales et technologiques (D/2018/7362/3/09), p. 76.

3. FESec (2018). Programme Français 2e degré, Humanités générales et technologiques (D/2018/7362/3/09), p. 13.

4. FESec (2018). Programme Français 2e degré, Humanités générales et technologiques (D/2018/7362/3/09), p. 13.

5. FESec (2018). Programme Français 2e degré, Humanités générales et technologiques (D/2018/7362/3/09), p. 11.

6. Coupole Alliance Culture-École (janvier 2017), Bouger les lignes, p. 15. 

7. Groupe central du Pacte pour un enseignement d’excellence. (7 mars 2017). Avis n°3. Bruxelles : Fédération Wallonie-Bruxelles, p. 101.

8. Voir à ce sujet Groupe central du Pacte pour un enseignement d’excellence. (7 mars 2017). Avis n°3. Bruxelles : Fédération Wallonie-Bruxelles, p. 101-106.

9. FESec (2018). Programme Français 2e degré, Humanités générales et technologiques (D/2018/7362/3/09), p. 48.

10. Ministère de la Communauté française (2018). Référentiel de Compétences terminales et savoirs requis, Humanités générales et technologiques, français (ressource 14558), p. 35.

12. https://dupala.be/upload/files...  Voir aussi la vidéo de présentation réalisée par Philippe BRASSEUR: http://www.philippebrasseur.be...

13. https://www.oupeinpo.com/les-o...

14. https://www.instagram.com/ugur...

15. Groupe central du Pacte pour un enseignement d’excellence. (7 mars 2017). Avis n°3. Bruxelles : Fédération Wallonie-Bruxelles, p. 102. 

Auteur

Anne-Catherine Werner

Maitre-assistante en français, didactique du français, assistante de formation en didactique du français langue première (ULiège). Intérêt particulier pour la lecture, l'écriture, la langue française, le cinéma, le théâtre, la photographie et les arts plastiques.

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