Maman, papa, j'ai réalisé un magazine !

Un projet global, la réalisation d'un magazine, pour plonger l'élève dans l'écriture.

J'ai sous les yeux un numéro spécial de Liège Mobilité consacré à la gare des Guillemins. Liège Mobilité est l'œuvre d'une certaine Agathe, 16 ans, unique rédactrice de ce magazine. Il semble qu'Agathe se soit bien documentée sur ce type de publication : le contenu de sa revue est riche et varié. On y trouve en effet un éditorial, des caricatures, un quiz, des publicités, des photos, une critique littéraire, des pages de débat (« pour ou contre la gare Calatrava ? »), le 1er épisode d'un feuilleton littéraire, un coup de gueule (bizarrement signé par l'auteure du magazine et non par un lecteur), une interview authentique, une recette (une barre de céréales convenant particulièrement bien aux voyages en train), des petits trucs pour voyager à l'aise, des articles de fond (une histoire des gares belges, par exemple), etc. 


Comment suis-je entré en possession de ce magazine ? C'est la maman d'Agathe qui me l'a fourni, enchantée par l'idée du professeur de français de sa fille et par l'énergie que cette dernière a investie dans ce projet. Je lui ai promis un petit compte rendu de cette publication sur D'un prof à l'autre, site qui a pour vocation parmi d'autres de diffuser autant que possible les bonnes pratiques...

Un tel projet implique la mise en œuvre de quelques-uns des principes didactiques et pédagogiques que l'école et le cours de français privilégient. Abordons-en quelques-uns. 

Apparemment, chaque élève de la classe d'Agathe devait, dans le cadre du cours de français, réaliser individuellement un magazine, chacun étant libre de traiter un thème qui lui est cher. Peut-être le nom du magazine a-t-il été imposé : « Mobilité Liège » ? Cela aurait du coup restreint à une thématique transversale — la mobilité — le champ des sujets à traiter. Pour poser un cadre favorable à une production de qualité, il est sans doute profitable d'imposer une thématique commune actuelle et cruciale, comme l'est la question de la mobilité. Par ailleurs, l'une des missions de l'école est de former des citoyens responsables, capables de comprendre le monde dans lequel ils évoluent afin d'y agir adéquatement et de contribuer à l'essor de la démocratie. Apprendre à communiquer sur les « affaires du monde », objectif principal du cours de français - poursuivi en l'occurrence par Agathe à travers sa publication -, concourt indéniablement à l'accomplissement de cette mission.

Renseignements pris auprès de la maman d'Agathe, le dénominateur commun entre les sujets à choisir n'était pas la mobilité à Liège mais la ville de Liège et ses lieux emblématiques. Thématique sans doute moins lancinante que la mobilité, mais qui n'est pas sans rapport avec la formation de citoyens responsables : pour être sensible aux problèmes d'une ville et se positionner par rapport à eux, il est dans un premier temps nécessaire de connaitre cette ville à travers sa géographie, son histoire et son développement actuel.

A chaque élève un sujet unique, donc. Cela impose que chacun progresse dans une relative autonomie, fasse des choix personnels et les assume autant que possible. A 15, 16 ans, à quelques encablures des études supérieures, l'adolescent a besoin de mettre à l'épreuve sa capacité à mener à terme, seul, un projet à sa mesure. L'enseignant pose un cadre libérateur, mais pour le reste lâche la bride et laisse chacun travailler à son rythme. Pour paraphraser les Socles de compétences (Fédération Wallonie-Bruxelles), l'élève se frottera à des aptitudes qu'il pourra par la suite transférer à sa vie d'étudiant, sa vie quotidienne ou professionnelle : savoir gérer son temps, planifier une activité, rechercher et exploiter des ressources.



Les types et genres de textes contenus dans le magazine ont à n'en pas douter été étudiés au cours de français, peut-être même, pour ce qui concerne certains d'entre eux, dans la perspective annoncée de cette réalisation finale, auquel cas le travail en classe a paru sensé et nécessaire aux élèves. Un projet concret, réaliste et ambitieux est un vecteur puissant d'apprentissages multiples par la valeur qu'il confère aux compétences qu'il mobilise.

A mon sens, Agathe a sans doute découvert la plupart des genres représentés dans son travail durant les deux premiers degrés de son parcours dans le secondaire. Si cette affirmation est avérée, on soulignera le souci de l'enseignant ou des enseignants de l'école d'Agathe de concevoir de manière spiralaire leur enseignement de la communication, cette production globale constituant éventuellement l’extrémité de la spirale. Rappelons qu'un enseignement spiralaire prévoit la réapparition à plusieurs reprises, dans le parcours scolaire de l'enfant, des notions enseignées ; une même notion est alors traitée de différentes façons, sous différents angles, dans différents contextes, ce qui en permet une appréhension plus complète et durable.


Dans quelle mesure ce magazine a-t-il été diffusé et a-t-il rencontré ses destinataires ? La distribution des productions faisait-elle partie du projet ? Malheureusement, non, m'a-t-on confirmé : un seul exemplaire était imprimé, uniquement remis au  professeur. Est-il pourtant irréaliste de prévoir une impression bon marché et une vente par correspondance à quelques proches, ou alors, plus modestement, une diffusion par courriels ?  Cette proposition n'est pas anodine ; elle est liée à la question du destinataire. Nous n'apprenons pas à écrire pour communiquer avec un enseignant évaluateur plus ou moins complaisant ; nous écrivons pour des lecteurs, souvent moins indulgents, qui ont des attentes particulières en matière de contenu et de qualité de langue, et ce public oriente notamment nos choix langagiers au moment d'écrire. Quoi qu'il en soit, bien que le magazine ait été destiné au professeur, la prose d'Agathe a visiblement fait l'objet de relectures et d'ajustements nombreux. La rédactrice s'est souciée d'adapter son style aux destinataires ordinaires des magazines : elle a dû passer du temps à soigner ses choix lexicaux et à rechercher les structures de phrases attendues par le lectorat d'un magazine, de même qu'elle a porté une attention toute particulière à l'orthographe, normalement impeccable dans une telle publication. Au final, la langue que nous donne à lire Agathe est celle d'une jeune fille qui a bien compris et assimilé cette question des attentes du lectorat : la communication, non exempte de quelques maladresses inhérentes à tout apprentissage, est constamment claire et la plupart du temps soutenue. 

On devine également, à lire Agathe, les retouches successives apportées à ses textes : le vocabulaire est généralement précis, les constructions de phrases sont variées, les textes sont cohérents... C'est au moyen de ces réécritures plus ou moins nombreuses que s'apprend la communication écrite et que le scripteur acquiert, au fil du temps, une certaine facilité à produire des textes. On n'apprend pas à écrire des textes autrement qu'en écrivant des textes1

Enfin, la mise en pages est soignée. Est-elle redevable à l'intervention ponctuelle d'un professeur d'informatique, qui aurait épaulé à cette occasion le professeur de français ? Selon la maman d'Agathe, c'est précisément là que réside le point faible du projet : pour obtenir une telle qualité de mise en page, le programme le plus usuel de traitement de textes ne suffisait pas. Il fallait donc des parents ferrés en informatique pour réussir un produit final semblable à ce qu'on trouve en kiosques. Quelle pression sur les épaules des parents (et quelle ingérence dans la vie familiale, surtout quand ça se passe mal...) ! Et qu'ont fait les enfants dont la famille ne s'y entend pas en manipulation de logiciels spécifiques, n'en possède pas ou simplement ne possède pas d'ordinateur ? C'est en principe l'école qui, par souci démocratique, doit mettre à disposition des élèves les moyens de réussir ce qu'elle exige d'eux...

En guise de conclusion, je vous invite à découvrir Didactique du français, pour une approche contextualisée et explicite de la langue à l’école (de Stéphanie CLERC CONAN et Claude RICHERME-MANCHET, EME Editions 2016), qui relate une expérience semblable : en se voyant confier la préparation et l’animation d’une émission de radio, de jeunes élèves ont développé de façon substantielle plusieurs compétences communicationnelles tant orales que scripturales.


Pierre-Yves DUCHÂTEAU



1. Désolé de vous asséner cette évidence, mais il arrive encore qu'on croie qu'un élève se forme à l'écriture de textes au moyen de nombreux exercices de drill portant sur les sous-systèmes de la langue. Si de tels exercices sont parfois utiles (pour régler l'une ou l'autre difficulté orthographique ou apprendre à construire des phrases complexes, par exemple), ils ne suffisent pas à faire de nos élèves des scripteurs « standards », capables de produire des textes de communication courante.


Auteur

Pierre-Yves Duchâteau

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Enseigne le français comme langue étrangère en Communauté germanophone. Volontiers touche-à-tout.

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