Lire une ville

Chaque année, les étudiants du BLOC 2 effectuent un « voyage » de trois journées dans une ville qu'ils ne connaissent pas (cette année, ce sera Anvers). C'est l'occasion pour eux de vivre un projet en groupe-classe et, ce faisant, d'apprendre à organiser eux-mêmes un voyage pour leurs futurs élèves. Il s'agit notamment de prévoir, lors des visites de la ville, des animations qui correspondent aux prescrits des programmes de français. Pour s'entrainer à cette démarche créative, une rapide visite du quartier Hors-Château, où se situe HELMo Sainte-Croix, permet de se rendre compte que l'on peut LIRE UNE VILLE.

Lire, c'est comprendre. 

Lire une ville consiste donc à mettre en œuvre des démarches de compréhension qui porteront sur le discours que la ville tient à ceux qui y habitent ou y travaillent, qui la traversent ou qui la visitent. 

Comment une ville parle-t-elle ?

Son langage est sensuel, ce qui veut dire qu'elle s'adresse aux humains par l'intermédiaire de leurs sens, en leur proposant des stimuli de différents ordres :

  • visuels : l'architecture, les œuvres d'art urbain, les enseignes des magasins...
  • auditifs : le ruissellement d'une fontaine, le silence d'une place, le rugissement des autobus, la conversation de deux personnes dans une langue que l'on ne connait pas ...
  • kinesthésiques : le frôlement des passants sur le trottoir étroit, le froid du métal d'une statue, la rugosité de l'écorce d'un arbre, les pavés irréguliers sous les pas...
  • olfactifs : l'odeur des viennoiseries qui envahit la rue, celle des produits de la blanchisserie...
  • et même gustatifs : la figue que l'on cueille, la chouquette que le pâtissier vous offre...1.

Encore faut-il bien entendu relever la tête de son smartphone, retirer les écouteurs de ses oreilles, lever le nez pour regarder et humer... : être ouvert donc à la découverte, faire preuve de curiosité, lâcher prise tout en mobilisant son attention pour gouter tout ce que la ville propose au passant.

Mais de quoi une ville parle-t-elle ?

Sur quoi son discours porte-t-il ? Dans quelles directions la ville peut-elle entrainer notre « lecture » et notre réflexion ? Son discours est fondamentalement pluridisciplinaire : potentiellement, la ville aborde les domaines suivants (qui sont par ailleurs répertoriés par le Pacte pour un enseignement d'excellence en tant que domaines d'enseignement du futur tronc commun2) :

  1. le domaine de la langue : français, langues modernes, langues anciennes,
  2. l'expression artistique,
  3. les mathématiques, les sciences, la géographie physique, les compétences manuelles,techniques et technologiques,
  4. les sciences humaines : histoire, géographie humaine, sciences économiques et sociales, philosophie, citoyenneté,
  5. les activités physiques, le bien-être et la santé,
  6. la créativité, l'engagement et l'esprit d'entreprendre,
  7. apprendre à apprendre et à poser des choix.3

Quelques exemples pour illustrer ce propos. Les photos ont été prises cet automne, lors d'une promenade dans le quartier Hors-Château de Liège. Chaque lieu ou document est mis en relation (sans viser l'exhaustivité) avec le(s) domaine(s) et la/les discipline(s) potentiellement concerné(s) :

A.

Enseigne sur une façade de la rue HorsChâteau

(1) Langue : Français (évolutions de l'orthographe)
(4) Sciences humaines : Histoire (les corporations, les nombreux métiers dans la rue Hors-Château)

B.

Nom d'un restaurant

(1) Langue : Français / wallon / linguistique (dialecte-langue) / prononciation 

C.

Affiche dans une vitrine

(3) Sciences : Physique (énergie atomique)
(4) Citoyenneté : (manifestation, démocratie)
(5) Santé : (effets des radiations)
(6) Engagement : (participation à une action citoyenne)
(7) Apprendre à poser des choix : (en faveur ou défaveur de l'énergie atomique

D.

Nom d'un magasin de tabac et produits orientaux

(4) Sciences humaines : sciences sociales, géographie humaine, histoire (de l'immigration), citoyenneté (en lien avec le caractère multiculturel du quartier, reflété notamment par le nom de nombreux commerces : Sarajevo, Épicerie polonaise, Rue de Maroseyka, Chez Hadja, Jana Viajes, Lycamobile, Moneygram, Chez Mousse, Pâtisserie Ali...)

E.

Fonts baptismaux de SaintBarthélemy

(1) Langues : Latin
(2) Expression artistique : esthétique (à comparer par exemple avec celle du bas-relief (baroque) de la fontaine StJean-Baptiste de la rue Hors-Château)
(3) Compétences manuelles, techniques et technologiques : orfèvrerie, alliage, cire perdue
(4) Philosophie / Religion : lecture des textes bibliques à la base des 5 représentations présentes sur les fonts baptismaux

F.

Texte affiché dans une vitrine, au fond de l'impasse de l'Ange

(1) Français : témoignage autobiographique
(4) Citoyenneté : vécu des migrants

G.

Figuier à l'entrée de l'impasse de la Couronne

(3) Sciences (biologie)
(5) Bien-être et santé

H.

Enseigne d'une épicerie en vrac, rue du Palais


Explication de la raison sociale de l'épicerie rue Neuvice, affichée sur la vitrine.

(4) Sciences humaines : sciences économiques (statut d'entreprise), citoyenneté (écologie, circuits courts)
(5) Bien-être et santé : agriculture biologique
(6) Engagement et esprit d'entreprendre : jeune entreprise
(7) Apprendre à poser des choix : consommation responsable

Activités pour lire une ville

Si... 

Le seul véritable voyage n'est pas d'aller vers d'autres paysages, mais d'avoir d'autres yeux 

               (Marcel Proust)

On voyage pour changer, non de lieu mais d'idée 

               (Hippolyte Taine)

Le voyage, c'est d'aller de soi à soi en passant par les autres 

               (Proverbe touareg)

Le monde est un livre 

               (Saint Augustin)

Voyager, c'est frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui 

               (Montaigne)

...alors, on peut aller à la rencontre des lieux et des gens, les écouter nous dire ce qu'ils ont à nous dire, leur parler, dialoguer avec eux, oralement ou par écrit.


Quelques exemples4

  • Interviewer des commerçants : un grand nombre d'entre eux, dans le quartier, sont d'origine étrangère et les interviewer permettra de mieux connaitre leur histoire. On peut aussi interviewer les commerçants qui viennent d'ouvrir des magasins « dans l'air du temps » (épicerie bio, vegan, en vrac) ou des antiquaires, nombreux également...
    On pourrait aussi, au sortir des différentes écoles, rencontrer des élèves (ou des enseignants) qui suivent des études très diverses (enseignement maternel, primaire, secondaire et supérieur ; enseignement général, technique ou professionnel, et ce dans différents réseaux : environ 5000 élèves5 passent quotidiennement dans la rue, en provenance du quartier ou d'ailleurs, se déplaçant à pied, en bus ou en voiture : nul doute qu'ils ont une idée sur la mobilité à l'heure de pointe !
  • Lire une oeuvre d'art : Examiner attentivement la scène centrale représentée sur les fonts baptismaux de Saint-Barthélemy pour la décrire : qui sont les personnages, que se passe-t-il et où cela se passe-il et quand ? Lire le récit biblique du baptême du Christ par Jean le Baptiste.
    S'interroger sur la signification de ce récit de baptême. Examiner la façon dont Dieu est représenté,
    ainsi que le Saint-Esprit. 
  • Se rendre ensuite rue Hors-Château et examiner la fontaine de Saint-Jean Baptiste, en particulier le bas-relief qui représente la même scène, le baptême du Christ dans les eaux du Jourdain. Comparer les deux œuvres (personnages, action, lieux), les deux esthétiques et leurs effets respectifs.
    Exprimer ses réactions.
  • Ecrire un poème : se rendre dans la cour Saint-Antoine ou dans l'impasse de la Couronne, près du «banc des amoureux ». S'imprégner de la tranquillité des lieux, écouter le silence, l'eau de la fontaine, sentir l'odeur du figuier ou gouter une figue (si c'est la saison). Noter des mots ou des expressions qui correspondent aux sensations ressenties dans ces lieux.
    A l'aide de ces mots, écrire un poème court (un haïku, un quatrain) racontant ou décrivant une
    rencontre dans ce lieu.

PRÉCAUTIONS : pour qu'il y ait apprentissage, il ne suffit pas laisser les choses arriver de façon spontanée. Il convient de guider les élèves sur place, voire de préparer l'activité en classe auparavant. Par exemple, interviewer un commerçant ne s'improvise pas. Il s'agit de savoir comment mener cette interview, en se présentant, en expliquant son projet, le sens qu'il a, en demandant l'autorisation d'enregistrer la personne sur un smartphone, en posant des questions enchainées logiquement, qui permettent réellement à la personne interviewée de livrer des informations pertinentes, en pratiquant l'écoute active, en remerciant à la fin de l'entretien... 





Avec le temps...

- Qu'est-ce que tu fais le nez en l'air ?
- Je regarde cette œuvre... J'essaie de comprendre et de savoir qui en est l'auteur.
- Ça alors ! Je passe tous jours ici, et je ne l'ai jamais remarquée !

Il est vrai que cette œuvre est tellement discrète que, dans un premier temps, je ne l'avais tout simplement pas vue.

C'est en prenant du recul qu'on découvre le mot SPMET, soit TEMPS, écrit en miroir et « posé » en quelque sorte sur une droite horizontale noire. Il est accompagné, un peu plus loin, de l'article, LE, placé une autre droite, verticale cette fois.

Étrange... Quelle peut être le sens de cette installation ? Je décide alors d'entrer dans le musée de la Vie wallonne afin de demander des explications, puisque ce mot est écrit sur la façade de l'ancienne église Saint-Antoine, aujourd'hui transformée en salle d'exposition dépendant du musée.

Surprise...


Au milieu de la cour des Mineurs, je découvre un autre élément de l'installation : le mot DANS  !

Et une amie, guide à la Ville de Liège, accompagne justement un groupe de touristes :

- Content de te voir ! Tu connais le nom de l'artiste qui a réalisé cette installation ?
- Quelle installation ?
- Le DANS, là-bas...
- Aucune idée... C'est la première fois que je le vois !

Je me dirige alors vers l'accueil du musée. Le préposé ne connait pas le nom de l'artiste, mais il téléphone au conservateur. En attendant la réponse de celui-ci, il m'indique la présence d'autres mots sur la façade du musée et à l'angle de la rue, que je n'avais pas vus... Puis arrive la réponse : l'artiste s'appelle Peter DOWNSBROUGH... Mais aucune plaquette pour expliquer son œuvre... Il va falloir regarder sur internet.


Merci Internet ! Peter DOWNSBROUGH est un artiste contemporain américain.
Voici ce qu'en dit Wikipedia : 

Biographie : 

Il vit et travaille essentiellement à Bruxelles. Actif dès la fin des années 1960, son travail se situe dans la continuité du minimalisme.

Cet artiste américain a une formation d’architecte et depuis le milieu des années 1960 propose quelques repères qu’il place au sein de notre espace de vie. C’est un héritier des minimalistes et il se limite dans ses démarches, dans ses interventions, à nous proposer quelques recherches d’une rigoureuse constance qui marquent de ses empreintes un espace qui nous est devenu banal et habituel.

On se trouve cerné, piégé par un processus visuel de coupure optique qui réorganise notre champ visuel. Arpenteur géomètre des lieux qui lui sont confiés, il s’implique et intervient dans chaque champ visuel en suggérant une nouvelle méthode de lisibilité.

Ses interventions sont toujours marquées d’une grande discrétion, il n’utilise que la monochromie noire. Il nous propose également des mots, souvent courts et succincts. Il s’agit fréquemment de prépositions (and, as, or, to, if, but, from, with, here, there) qui invitent à rechercher au-delà du champ visuel, une incitation à la réflexion et à la recherche d’un autre concept, une autre empreinte proposée dans un champ visuel différent.

Tous ces vocables disposés par Peter Downsbrough sur nos murs ne sont que des incitations à l’interrogation du spectateur sur sa place, son origine, sa destinée. Tout cela donne à son travail une sorte de force centrifuge qui par la même unifie ses diverses interventions dans notre bâtiment. Ce sont toutes des œuvres ouvertes, inachevées qui nous sont proposées. Il n’y a pas de mise en scène excessive. Tout est discret, il n’y a pas de mise en valeur des espaces sur lesquels il intervient. Il ne fait que marquer de ses empreintes les lieux où nous vivons, nous proposant une certaine attention et une interrogation sur un mot, un concept qu’il nous propose dans notre champ visuel.


De l'intérêt de lire des textes complexes, opaques, résistants, ouverts


TEMPS / LE / DANS / LA / ET / DE sont les mots que l'artiste a déposés dans le paysage urbain, accompagnés de quelques droites, horizontales ou verticales. Le message est pour le moins énigmatique... cela vaut-il la peine de s'y arrêter et, surtout, de s'y arrêter avec des élèves ?

La réponse est clairement affirmative. D'abord parce que des milliers d'élèves6 passent quotidiennement dans cette rue et que ce texte fait donc partie de leur environnement naturel. Leur donner des outils pour mieux comprendre leur environnement, c'est remplir une des fonctions de l'école.

D'autre part, dans le cadre d'un cours de français, il convient de développer les compétences de lecture de tous les textes qui parviennent aux yeux des élèves. Et aujourd'hui, le texte ne se limite plus aux seuls mots : il peut être oral ou écrit, comporter des images, être audiovisuel ou scriptovisuel (comme un album de jeunesse ou une bande dessinée). On peut même étendre la notion de texte aux œuvres d'art dont l'enseignement des différents langages incombe notamment au professeur de français7

C'est dans cet esprit que l'ABLF7 a proposé récemment, dans son Bulletin de rentrée, un nuage de mots (ci-contre) expliquant la notion de littératie. Les différents types de textes que l'enseignement du français devrait amener les élèves à progressivement maitriser sont repris en vert. Pour une (tentative) de définition de la notion riche et complexe de littératie, voir le document ci-contre 8.

Par ailleurs, lire une œuvre d'art contemporain perturbe souvent les élèves car ils se basent sur une représentation trop étroite de ce qu'est l'art, et donc de ce qu'il devrait être à chaque fois selon eux : « représenter quelque chose de beau ». Or, l'art remplit aujourd'hui de multiples fonctions9 , pas toujours identifiées par les élèves comme relevant du domaine artistique : représenter le monde, agir sur lui, exprimer des émotions, mais aussi témoigner, enseigner et faire réfléchir : « Au XXe siècle, certains artistes invitent le citoyen à réfléchir sur la vie et le monde. L'art ne représente plus le monde, mais préfère mettre en forme des idées. »10. Comme, étymologiquement, « éduquer » signifie « conduire (l'enfant) hors de » son univers familier, l'ouverture à des formes d'art nouvelles fait effectivement partie de la mission d'ouverture sur le monde assurée par l'école.

Enfin, aborder un document qui ne se donne pas à comprendre immédiatement, qui résiste à l'interprétation (= texte résistant), qui cache sa signification (= texte opaque) et qui se prête à la construction de sens divers (= texte ouvert) se révèle particulièrement pertinent pour mettre en évidence les stratégies de compréhension à mettre en œuvre (voir synthèse en fin d'article). Arriver à produire une compréhension cohérente et pertinente revêt alors l'apparence d'un défi qui, s'il est bien présenté aux élèves, peut s'avérer motivant. 

Comment s'y prendre pour lire l’œuvre ? Trois étapes

  1. Lecture interne
  2. Lecture externe
  3. Retour réflexif sur les apprentissages




1. Lecture interne

  • j'observe
  • j'interprète
  • j'exprime mon ressenti (appréciation, sentiment, opinion)

Rôle de l'enseignant : guider ses élèves dans la construction du sens. Il doit obligatoirement parler beaucoup moins qu'eux... et les encourager à approfondir leur réflexion. S'il s'aperçoit que les élèves manquent d'une connaissance (par exemple un point de culture générale) pour arriver à interpréter ce qu'ils voient, il doit alors la leur fournir. Les questions de base, ouvertes, seront donc :
- Que vois-tu ?
- Mais encore...?
- Peux-tu faire des liens entre certains de ces éléments pour faire sens ?
- Ce que tu vois te fait-il penser à quelque chose que tu connais ?
- Va plus loin dans ta réflexion, continue, approfondis...

Exemple de lecture de l’œuvre de Peter DOWNSBROUGH

Je vois un mot, le mot TEMPS, écrit comme dans un miroir et placé sur la façade d'une ancienne église (une salle d'exposition du musée de la Vie Wallonne). Ce mot est écrit en lettres noires, et « posé » sur une longue ligne droite horizontale. Je vois aussi le mot LE, écrit verticalement et posé quant à lui sur une ligne droite verticale. Si donc on inverse le sens habituel de la lecture et que l'on part de la droite pour aller vers la gauche, on obtient le groupe nominal « le temps ». C'est sans doute le thème de l’œuvre...

Pour décoder le mot SPMET, il faut le regarder dans un miroir (= temps), dans un rétroviseur, comme s'il était derrière nous. Pour nous dire que le temps ne peut se percevoir que dans le passé ?

A l'heure de pointe, les voitures sont souvent coincées dans les embouteillages à cet endroit. Les conducteurs sont obligés de s'arrêter, notamment à hauteur de la ligne noire verticale, qui prend ainsi l'apparence d'une ligne d'arrivée : le temps du mouvement fluide et régulier de la circulation s'arrête... Un autre temps, beaucoup plus lent, s'installe à partir de cette ligne qui se transforme en ligne de départ. On avance de quelques mètres et on découvre le T, puis le E, puis le M et ainsi de suite, au rythme du piéton, voire plus lentement encore.

Le temps passe lentement dans un embouteillage... Réflexion sur la subjectivité du temps ?

Un peu plus loin, au carrefour, je vois le mot DE, une préposition, un mot lien donc. Lien entre LE TEMPS et les façades derrière le DE : des magasins (antiquaires, petite restauration) que ces bâtiments abritent ? Prendre LE TEMPS DE... regarder, chiner, boire un verre... Incitation à changer de rythme, à prendre son temps, du bon temps ?

Le musée de la Vie wallonne est installé dans l'ancien couvent des frères mineurs. Le mot DANS est placé dans la cour de l'ancien cloitre. Oui, bien qu'encore à l'extérieur, nous sommes déjà dans le musée. DANS est aussi une préposition, qui doit être suivie d'un nom. DANS + LE TEMPS = DANS LE TEMPS... : une façon de présenter ce musée centré sur le passé de la vie quotidienne en Wallonie ?

Sur la façade, à l'extérieur du musée, ET LA. DANS (le musée) ET LA... vie quotidienne d'aujourd'hui, celle qui se déroule dans la rue, la vie wallonne du temps présent ? 

Ecrire pour manifester sa compréhension et son ressenti

Si c'est en groupe-classe que la démarche de construction de sens et d'interprétation a le plus de chance de se révéler riche et passionnante, à travers les échanges oraux d'élève à professeur et d'élève à élève, sur la placette en face de l'entrée du musée ou dans le cour intérieur de celui-ci, on peut aussi proposer à chacun de prendre la plume : l'écrit sert alors soit de médiation de la lecture (il permet de manifester le sens que l'on a construit), soit de prolongement au départ de ce qui a déjà été compris.

Par exemple :

  • Cherche une expression contenant le mot « temps » (par exemple Je n'ai pas le temps) et écris un texte court à son propos : un récit en je, un poème, une définition, une recette...
  • « Dans le temps », dit l'artiste. Poursuis son texte en imaginant ce qui se passait ici même, « dans le temps »...
  • Défi : écris un texte comportant un maximum de fois le mot temps. Bien entendu, ton texte doit avoir du sens et être cohérent. Tu peux aussi y inclure des homophones : taon, t'en,... ou des parties de mots comportant le son [tã].
  • Je voudrais avoir « le temps de... » : écris tes rêves pour cette semaine-ci, cette année-ci, les cinq années à venir...
  • Exprime ce que tu ressens (tes émotions) et ce que tu penses (tes opinions) quand tu regardes cette œuvre. Tâche d'expliquer le plus précisément possible les raisons de ces ressentis et/ou opinions.




2. Lecture externe

a) Fournir aux élèves des documents externes à l’œuvre elle-même, qui vont les aider à mieux en cerner le langage et le sens.

Consigne : Lis le texte et surligne tout ce qui a un lien avec l’œuvre que nous avons observée dans la rue (Par exemple « discret » : oui, cette œuvre est discrète, on ne l'avait tout simplement pas vue dans un premier temps). Une fois que tu auras terminé, tu expliqueras oralement ce que tu as compris. Nous pourrons alors éclairer le sens, peut-être un peu obscur, de certaines phrases qui recourent parfois à des mots sans doute peu habituels. 

Article Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/... (reproduit plus haut).

Artiste de la simplicité et du dénuement, il structure l'espace en créant des volumes discrets mais clairement visibles à l'aide d'un vocabulaire plastique épuré, constitué de figures géométriques simples, de lignes, de mots ainsi que de surfaces peintes. La combinaison des éléments linguistiques et géométriques formalise ainsi des espaces structurés induisant une multiplicité de lectures.

http://www.lespressesdureel.co...

b) Fournir un réseau de textes sur la thématique du temps

« Dépêche-toi ! » est sans doute l'une des phrases les plus prononcées par les parents et les enseignants... : cette thématique est donc au cœur de la vie quotidienne de nos enfants. Les textes et documents qui suivent se prêtent bien à un échange intéressant entre les sous-groupes qui les analyseront, en suivant la consigne suivante : Lis le texte / regarde le document et explique ce que tu comprends. Pour ce faire, cherche des exemples concrets illustrant ce que, selon toi, le texte dit. Puis prends position : qu'en penses-tu ? Échangez en sous-groupes : il ne s'agit pas d'avoir raison, mais de vous enrichir mutuellement du point de vue des autres.

TEMPS [tã]. n.m. Milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les existences dans leur
changement, les événements et les phénomènes dans leur succession.

Petit Robert

Quelle curieuse chose que le temps... Et ce qui est remarquable, c'est que la science a fait de tels progrès que nous savons aujourd'hui très bien ce qu'est la matière, ce qu'est la lumière et même ce qu'est la pensée, mais nous ne savons rien du temps. Qu'est-ce que c'est ? Est-ce que ça existe même ? Vous savez qu'il y a des savants aujourd'hui, des physiciens modernes qui nient l'existence du temps. Ils n'ont pas besoin du temps dans leurs calculs. Et pourtant, nous savons bien que nous vieillissons, que le temps passe et que nous allons inéluctablement vers la mort.

Jean D'ORMESSON, Et Dieu dans tout ça ? 31 décembre, « La Première » RTBF

Raymond DEVOS, Où courent-ils ?

Gilles VERNET, Tout s'accélère.

Gilles VERNET, Conférence TEDX

Gilles VERNET a d'abord été trader avant de changer complètement de vie et de devenir instituteur. Il est également le réalisateur du film Tout s'accélère, dans lequel il donne notamment la parole aux enfants.

Google Images "Temps" consulté le 5 janvier 2018





3. Retour réflexif : qu'avons-nous appris ?

Pour rendre les élèves autonomes et donc prêts, à terme, à « affronter » seuls le monde et sa complexité, il importe qu'ils soient conscients des apprentissages qu'ils ont réalisés à travers les activités vécues. Cette prise de conscience passe inévitablement par un enseignement explicite des savoirs et des démarches à maitriser. Enseignement explicite ne veut pas nécessairement dire enseignement frontal, où le maitre explique ce qu'il sait aux élèves qui l'écoutent. Il peut être mis en place à travers une méthodologie socio-constructiviste qui débouche, en finale, sur la formulation par la classe, soutenue par l'enseignant, d'une synthèse des apprentissages à mémoriser, (savoirs et savoir-faire) à réinvestir ultérieurement sur un objet similaire ou à transposer à de nouvelles situations. 

1. Le domaine artistique

  1. Une œuvre d'art n'a pas pour seule fonction de manifester la beauté. Elle peut aussi amener celui qui la regarde (son lecteur) à réfléchir. Une œuvre d'art est donc un « document » à lire, de façon active, à interpréter et sur lequel on peut porter un jugement.
  2. Souvent, l'œuvre ne possède pas un sens unique : chaque lecteur est invité à produire sa propre
    interprétation, qui sera pertinente si elle prend en compte tous les éléments de l’œuvre et produit un
    sens cohérent, mais qui sera donc aussi sensiblement différente d'une personne à l'autre.

2. Les démarches de lecture d'une œuvre d'art

  1. Observer attentivement tous les éléments, sans en négliger aucun, en ce compris le contexte de l’œuvre
  2. Mettre ces éléments en relation les uns avec les autres
  3. Formuler des hypothèses de sens, les confirmer ou les infirmer, en prenant en compte tous les indices
  4. Mettre les éléments de l’œuvre en relation avec ses propres connaissances pour créer du sens
  5. Interpréter le sens global
  6. Partager son interprétation avec d'autres, s'enrichir de l'interprétation des autres
  7. Persévérer courageusement, chercher (parfois longuement) jusqu'à trouver une interprétation satisfaisante
  8. Exprimer un jugement de gout (= j'aime/j'aime pas parce que...), exprimer son ressenti (= je ressens telle émotion parce que...) et son opinion (= je pense que...).

En guise de conclusion : quelques « principes » qui permettent de mener à bien ce type d'activités

Oser aborder des « textes » complexes
Préparer et suivre une méthodologie rigoureuse mais pas rigide
Donner réellement la parole aux élèves, faire confiance à leur intelligence
Adopter une posture d'accompagnement des élèves dans leur réflexion
Les soutenir dans l'effort
Enseigner explicitement les stratégies de lecture
Avancer pas à pas et humblement

Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !  

               (Arthur RIMBAUD, Le voyage)

Jean KATTUS

Auteur

Jean Kattus

Maitre-assistant en français, didactique du français et du FLES. Intérêt particulier pour la lecture, la sculpture, la marche, le cinéma et le théâtre.

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