Inoxtag ou l'injonction de la meilleure version de soi-même
Ce succès contemporain nous éclaire quant à notre manière d'appréhender le but de notre vie. Mais que nous révèle-t-il ? Propositions de réponses grâce à la philosophie et à la critique médiatique.
1. Une injonction contemporaine
Après un rapide tour d'horizon sur Internet, force est de constater que de nombreux blogs et ouvrages vantent la nécessité de travailler sur soi (sa personnalité, son corps, ses émotions) afin d'aboutir au développement de la « meilleure version de soi-même ». Mais quelle est la raison d'être d'une telle injonction ? D'où vient la nécessité de ne pouvoir se satisfaire de la version actuelle de soi ? Et surtout, comment savoir si cette autre version (cette conversion) sera nécessairement meilleure ?
Afin de répondre à ces questions, il est utile de se tourner vers la philosophie antique et, plus précisément, vers le stoïcisme dont les méthodes de développement personnel prétendent s'inspirer. En effet, de nombreux coachs de vie clament haut et fort s'inscrire dans la vision téléologique de la philosophie antique. Rappelons brièvement que l'éthique pratique de la philosophie antique vise un but (télos) à atteindre qui est le bonheur (ou la vie bonne). Les actions que mène chaque individu ont pour finalité de lui permettre d'éviter les troubles et donc d'atteindre un état de bonheur, proche de la tranquillité, sans problèmes (ataraxie). Il faut avouer que la proposition est tentante : dans un monde où chacun de nous doit faire face à de nombreuses sollicitations, qui n'a jamais rêvé d'atteindre un sentiment de sérénité et de plénitude au milieu de toute cette agitation ?
C'est précisément cette attente que proposent de combler les méthodes de développement personnel (qui recouvrent un juteux marché de près de 3 milliards de dollars)1. Les enjeux défendus, tels que l'accomplissement de soi, le culte de la performance, le fait de s'assumer, d'oser s'imposer face aux autres et de trouver sa place dans le monde (notamment social) font largement écho à une vision égocentrique, voire narcissique, de la place de l'individu dans la société. Chacun cherche à atteindre son résultat personnel, qui lui permettra de briller aux yeux des autres et donc d'obtenir de la reconnaissance. Cette dérive individualiste, socialement encouragée et valorisée, rencontre une large adhérence auprès, notamment, du public jeune. Le principal écueil de ces discours de développement personnel est la dévalorisation de l’action collective : « Tout est pensé par le prisme de l’individu. Moi, moi, et encore moi. »1
Là où les stoïciens proposaient de liquider le moi comme instance qui souffre et prend du plaisir, et de se détacher du monde, le self-help se propose le but exactement inverse : il faut renforcer le moi, souffrir moins, jouir plus et entrer de plain-pied dans le monde social et le posséder.2
Certes, il existe un dénominateur commun entre le stoïcisme et les méthodes de développement personnel (à savoir : le fait de façonner sa propre vie afin d'être en adéquation avec la nature humaine), mais la finalité envisagée est opposée. Pour les stoïciens, il faut apprendre à se détacher de ses plaisirs et de ses souffrances, afin de pouvoir faire preuve de sérénité face à l'adversité. Le quadruple remède d'Epicure illustre précisément, comment en pratique, chacun de nous peut s'entrainer à distinguer ce qui dépend de lui de ce qui relève de la fatalité (et donc ne dépend pas de lui).
Les stoïciens nous incitent à nous détacher de la quête de fortune, de succès, de jouissance, qui sont des conditions qui ne dépendent pas de nous. A contrario, nous avons la possibilité de choisir l'usage que nous allons faire des impondérables de la vie.
À la base de l'usage que nous faisons des choses qui nous tombent dessus, il y a donc une faculté, la faculté de choix (ou prohairesis), qui relève toujours de notre pouvoir. Même lorsque nous ne pouvons changer ni les autres ni le monde, nous pouvons encore choisir et ainsi nous modifier nous-mêmes.3
Comparons à présent la proposition stoïcienne avec celle d'une jeune influenceuse, Léna Situations, qui publie en 2020, à l'âge de 23 ans, sa méthode pour une vie réussie.
Léna Situations, Toujours plus : Ma méthode + = +, Paris, Robert Laffont, 2020.
1) Quand on dit merci à la vie, on devient plus attentif à ce qui se passe autour de nous, et surtout on apprend à réviser ses attentes afin qu'elles ne soient pas démesurées, mais également à revoir son seuil de bonheur, à être moins exigeant et à se réjouir de petites choses.
2) L'étape ultime de la bienveillance envers-soi-même, c'est de parvenir à assumer ses défauts, à les aimer, voire à les montrer en adoptant l'attitude et la confiance en soi qui vont avec.
3) On ne peut pas empêcher les gens de parler, de juger, mais c'est à nous de décider quelles paroles on doit prendre en compte, positives ou négatives.
Source : https://booknode.com/toujours_...
À travers ces quelques extraits, nous percevons clairement l'écart avec la philosophie stoïcienne. Dans les propositions de Léna Situations, exemplaires de ce que nous pouvons trouver chez d'autres coachs de vie, il s'agit de vanter une réussite sociale grâce à une plus grande authenticité (entendue comme une capacité à prendre soin de soi-même, indépendamment des autres) et à un renforcement du moi (perceptible à travers un repli sur sa volonté propre). Les conseils proposés vont dans le sens d'un « agrandissement du moi »2 qui doit être renforcé parce qu'il manque de confiance en lui, parce qu'il « tend à se sentir amoindri, à se dévaluer »2. L'idée centrale est de pouvoir aboutir à révéler sa véritable personnalité, en défendant l'idée que chaque individu est responsable de ce qui lui arrive. Paradoxalement, le discours des méthodes de développement personnel contribuent à « surresponsabilise[r] les individus, [elles] les rend[ent] responsables mais aussi coupables de leur destin social. »2
Nous vivons dans un monde ouvert et dérégulé où personne ne sait vraiment ce qu’il vaut. (..) Et les techniques du self-help prétendent permettre de créer de la valeur à partir de soi-même alors que ce sont les autres qui nous attribuent une valeur.2
Cette injonction à « qui veut peut » fait porter un poids supplémentaire sur les épaules de chacun. La réussite personnelle ne dépendrait que de soi et de sa capacité à se surpasser, c'est-à-dire à travailler sur soi (ses faiblesses, son corps, ses émotions) afin d'aboutir à un idéal que chacun s'est créé et qu'il a à coeur de présenter, d'exposer, aux yeux des autres, pour acquérir une valeur sociale.
2. Le phénomène Kaisen
Septembre 2024. Inès Benazzouz, dit Inoxtag, YouTubeur à succès et vidéaste français de 22 ans, sort son film « Kaizen » au cinéma, puis sur Internet. Le succès est mondial et l'exploit accompli fascine le (jeune) public.
Le film Kaizen peut assurément être considéré comme un « buzz » médiatique compte tenu de plusieurs facteurs. D’une part, il a généré une audience record pour un tel format : 12 millions de vues en 24 heures et pratiquement 40 millions de vues actuellement. Par ailleurs, en simultané, il a massivement rassemblé son audience dans des salles classiques de cinéma et sur la plateforme Youtube, sans compter une diffusion à brève échéance sur plusieurs chaines télévisées traditionnelles comme TF1 et la RTBF. Enfin, il a généré une série de controverses relayées sur les médias sociaux : un « bruit » médiatique qui a grandement contribué à lui donner une aura tout à fait singulière dans le champ des productions contemporaines. Par conséquent, une approche critique de ce film si massivement vu et commenté ne peut s’opérer qu’à la condition d’intégrer la probabilité qu’une série d’élèves ont déjà été impactés par cette bulle médiatique.
Afin de sensibiliser les élèves aux ressorts utilisés par Inoxtag, il est nécessaire d'investiguer, de manière critique, le rapport au réel que celui-ci entretient et développe dans son film. À cette fin, nous proposons une série d’activités interrogeant la légitimé de l'ancrage de Kaizen dans le genre « documentaire ». Le but des activités pédagogiques présentées n’est donc pas tant de permettre aux élèves de trancher quant à savoir si, oui ou non, ce film est un documentaire, mais plutôt de les doter d’un questionnement critique. En interrogeant, sous cet axe précis, tant le film lui-même qu’une série de produits médiatiques dérivés dédiés à l’étude de cette question, nous envisageons le développement d'une pensée critique et complexe (telle que recommandée par la troisième visée transversale du Pacte d'Excellence)4.
ACTIVITÉ 1 : Kaizen est-il un documentaire ? Argumentaire et contre-argumentaire par médias interposés.
Une première activité peut porter sur la consultation d’une série de ressources élaborées autour de cette tension en lien avec le statut de Kaizen (« vrai » ou « faux » documentaire ?). Les exemples abondent, en ligne comme dans la presse traditionnelle. Prenons les cas précis de ces deux vidéos youtube très regardées.
VIDÉO 1 : « Kaizen : 1 an pour gravir l'Everest - le film problématique d'Inoxtag | Critique »5
VIDÉO 2 : « Kaizen est-il un documentaire ? »6
Inutile de regarder l’intégralité des vidéos, cinq minutes suffisent pour comprendre le procédé. La seconde vidéo déconstruit méthodiquement l’argumentaire de la première, via un procédé récurrent : le second youtubeur rediffuse la vidéo du premier, arrête régulièrement l’image pour contredire, moquer ou commenter la vidéo du premier.
Sur la base de ce matériel, une première série de questions peuvent interroger la consistance de l’argumentaire avancé par chacun des protagonistes :
- Peut-on débattre et se répondre sans se voir, se connaitre, se parler ?
- En dehors de l’univers médiatique, cette modalité d’échange (argument / contre-argument en différé) a-t-elle un réel intérêt ?
- Existe-t-il d'autres formes de débats similaires ?
Par exemple, dès le début de la première vidéo, le premier youtubeur déclare pouvoir légitimement faire autorité « parce qu’il a vu beaucoup de films documentaires sur la montagne ». Tandis que le second le disqualifie en disant que lui « n’est pas un amateur mais un réalisateur de documentaires ».
L'enjeu, pour l'élève, n’est pas de définir qui a raison, qui a tort, mais plutôt de questionner cette modalité d’interaction par médias interposés pour énoncer une « vérité » (ou plutôt « sa vérité ») dans une logique asynchrone.
Une seconde batterie de questions pourraient questionner les stratégies médiatiques utilisées par chaque youtubeur pour crédibiliser leur discours. Par ce biais, les élèves se détacheraient du contenu pour questionner la forme.
Le décor
En quoi le décor choisi par chaque youtubeur contribue-t-il à affirmer une forme d’autorité dans le domaine du cinéma ?
L’habillage
Les youtubeurs utilisent-ils des extraits du film pour appuyer leur propos ? Des incrustations textuelles ou sonores viennent-elles souligner et crédibiliser le propos des youtubeurs ? Comment ?
L’éditorialisation
Qui sont ces youtubeurs ? Ont-ils plusieurs chaines ? Quelle est leur audience ? De quoi vivent-ils, sont-ils financés ou soutenus ? Si oui, par qui ?
Les commentaires
Comment les internautes réagissent-ils aux arguments avancés ? Parmi ces internautes, certains se présentent-ils comme plus experts que les youtubeurs et comment ? La communauté de ces youtubeurs vient-elle à leur secours ? Si oui, de quelle manière ?
ACTIVITÉ 2 : Kaizen est-il un documentaire ? Les effets de fiction / dramatisation dans l’espace documentaire.
La présence de la fiction dans l’espace documentaire est souvent source de tensions dans le sens où une série de préconceptions reposent sur l’idée que le documentaire serait une forme de restitution pure du réel. Or, une rapide activité pédagogique de mise en relation de trois extraits vidéos permet de déconstruire certaines de ces représentations et d’amener l’élève à interroger les dimensions fictionnelles du documentaire pour en évaluer l’impact sur sa réception.
VIDÉO 1 : Kaizen : 1 an pour gravir l'Everest, Inoxtag (2024)
La traversée de la mer de glace (de 1h36 à 1h40)
VIDÉO 2 : Everst, Baltasar Kormákur (2015)7
Source : https://www.dailymotion.com/video/x34qmmk
Les consignes portent ici sur une analyse comparée de deux scènes similaires, issues des deux supports, au niveau du langage cinématographique utilisé. Les deux scènes s’avèrent très proches en termes de découpage. Certains plans sont pratiquement similaires au niveau de la hauteur et de la distance de prise de vue. Les effets de dramatisation employés sont tout aussi intéressants à faire repérer aux élèves :
> La musique, dans les deux cas, vient augmenter la tension.
> Des gros plans (tant sur des séracs menaçant de se décrocher que sur les pieds des alpinistes en équilibre sur les échelles) participent également à entretenir cette tension dans les deux films.
Une fois ces éléments identifiés, les élèves peuvent alors questionner la portée « réelle » de la situation vécue. Dans le cadre de la deuxième vidéo, une fiction, ce rapport est clair : c’est un film donc cet évènement est une pure mise en scène. Pour Kaizen, cette question de la mise en scène est plus complexe dans le sens où l’équipe a effectivement franchi ce passage de la mer de glace, mais les effets visuels et sonores employés viennent installer une forme de tension narrative dont la réalité est pour le moins discutable. C’est réellement un passage dangereux, à l’instar du parcours dans son ensemble, mais une vérité factuelle aurait supposé de les filmer lorsqu'ils marchent simplement sur l’échelle. Un plan de 20 secondes aurait alors suffi. Le découpage, les gros plans et la musique invitent le public à craindre pour leur vie, à cet instant précis, sans que rien n’indique que ce danger ait été plus particulièrement présent.
Qu'en est-il de la possibilité d'employer des mises en scène identiques à celles issues de la fiction dans un cadre documentaire ? Le fait que ce film « documentaire » s’empare des outils de la fiction le disqualifie-t-il pour autant ? C’est, du reste, un des arguments fréquemment avancés par la communauté des internautes.
Dans les faits, ce n’est pas si simple. Pour nuancer, l'enseignant pourrait alors proposer un ou plusieurs extraits de Nanouk l’Esquimau, un film de Robert Flaherty (1922) qui fonde le genre « documentaire » .
VIDÉO 3 : « Nanouk l'Esquimau » de Robert Flaherty (1922)8
En effet, dans le cadre de ce film, Robert Flaherty a dû recourir à plusieurs mises en scène pour restituer certains aspects de la vie de cette communauté d’esquimaux9. Il a, par exemple, reconstitué un igloo sans toit pour disposer d’une lumière suffisante pour réaliser des scènes d’intérieur (après 47 min du film). Il a également « triché » en filmant une scène de pêche dont la proie était déjà morte à l’autre bout de la ligne (après 35 min de film), le but étant de ne pas gâcher de la pellicule en filmant l’intégralité de cette scène de pêche. De la même manière, Flaherty a utilisé des effets de dramatisation via l’usage du montage alterné entre des scènes d’intérieur « igloo » pour les humains (au chaud) et les chiens loups hurlant au dehors, transis de froid (scène finale).
En fait, dès ses prémisses, le cinéma documentaire a usé d’effets de dramatisation pour construire sa narration, notamment pour embarquer le public, lui faire vivre l’extraordinaire aventure des personnes filmées. De facto, la mise en scène à elle seule ne peut donc disqualifier le cinéma documentaire.
Une tâche essentielle à soumettre aux élèves serait de les amener à s'interroger quant à cette célèbre phrase de Flaherty : « On doit parfois mentir pour atteindre la vérité. »10 Flaherty ment contraint. Il ment tout en restituant au plus près le réel de la vie de Nanouk. La mise en scène de Kaizen participe-t-elle à cette même recherche de vérité ? Rien n’est moins sûr.
- Robert Flaherty a dit : « On doit parfois mentir pour atteindre la vérité. »10 Qu'en pensez-vous ? Est-il légitime de travestir la réalité pour montrer une forme de vérité ? Sous quelles conditions ?
- Qu'en est-il du film Kaizen ? Quelle vision de la réalité Inoxtag nous présente-t-il ? Participe-t-il à la même recherche de vérité que Flaherty ? Sa démarche est-elle similaire ? Pourquoi ?
Le réel n'est rien d'autre qu'un chaos indéchiffrable s'il n'est pas interprété, découpé, mis en scène d'un point de vue particulier (...). À l'opposé de toutes les idées reçues, le documentaire ne saurait en aucun cas être une copie du réel : il est un découpage subjectif du réel ; et l'objectivité, souvent sacralisée, n'est qu'une fallacieuse vanité.11
Marie-Claude Treilhou
ACTIVITÉ 3 : La question du soi filmé.
Par la suite, il serait utile également de s'intéresser aux enjeux de la surprésence d'Inoxtag dans son film, à l'opposé d’une tradition du documentaire consistant à mettre à distance le regard du documentaliste par rapport au sujet filmé. Pour le dire autrement, la question est de savoir si on peut filmer « fidèlement » le réel alors qu’on le construit simultanément.
Pour guider les élèves dans cet exercice, différentes questions exploratoires pourraient être suggérées afin de leur permettre d'identifier les ressorts employés par Inoxtag au service d'une mise en scène constante de sa personne.
- Comment Inoxtag est-il présent dans le film ? Sous quelles formes ?
- Quels sont les moyens qu'il utilise pour que nous en apprenions davantage sur lui ?
- Comment procède-t-il afin de nous permettre de nous sentir proches de lui ?
- Quelles émotions ressentez-vous suite au visionnage de ce film ?
Tout au long de son film, Inoxtag cherche à développer chez le spectateur un sentiment d'adhésion, voire d'identification. Il s'efforce de nous dresser un portrait positif et accrocheur de lui-même. Pour ce faire, il mobilise divers procédés narratifs et cinématographiques :
1) De « je » à « je »
Il pose sa propre voix (en off) sur des images où il se met en scène. Il témoigne de sa propre vie et commente, à la première personne du singulier, ses propres choix et ses actions. Il s'appréhende lui-même comme « sujet-objet ».
Exemple (à 7'07) :
Voilà si je dois faire un constat : mon mode de vie, c'est catastrophique. Je dors mal, je suis décalé, je mange de la merde, je fais pas attention. Et physiquement, j'en parle pas.
2) De « je » à « tu »
Il parle face caméra. Il s'adresse directement au spectateur, en le tutoyant, et brise ce qu'on appelle communément le « quatrième mur ». De ce fait, il cherche à créer une relation de connivence avec le spectateur et il mobilise les codes formels des youtubeurs.
Exemple (à 31'56) :
Il s'adresse à la caméra : « Je suis à 100 % de batterie », puis il répète la même phrase à Mathis, son guide de haute montagne.
3) Le « je » ancré dans la tradition
Il intègre des images d'archives de lui, quand il était enfant, sous la forme de photos ou d'extraits de ses premières vidéos de youtubeur.
Exemples (à 3'28 et à 3'57) :
Il est intéressant également de noter que ce dispositif d'intégration de ses propres images d'enfance fait suite aux images d'archives des alpinistes Norgay et Hillary (à 3'16). Dans cette perspective, il se présente de la même manière qu'il présente ces deux célébrités qui ont gravi l'Everest.
4) Le « je » ancré dans la famille
À plusieurs reprises dans le film, Inoxtag fait intervenir ses proches (sa mère et son père principalement) afin d'illustrer la relation qu'il entretient avec sa famille. Les propos tenus sont typiquement des propos de parents qui s'inquiètent, encouragent et rassurent. La volonté de rendre ses parents fiers de lui transparait dans chacune des allusions à ces derniers. Ce besoin latent d'être valorisé traduit une volonté de reconnaissance similaire à celle à laquelle répondent les coachs de vie.
Exemple : sa maman (à 25'20 puis à 1h30'21) :
J'ai aucun regret parce qu'enfin tu découvres la vie.
N'essaie pas de chercher ce que tu vas ressentir. Tu ressentiras tes émotions au moment voulu et puis c'est tout.
5) Le « je » constant à l'écran
S'il est une évidence, c'est celle qui consiste à identifier la présence constante d'Inoxtag à l'écran. Une focale immuable est portée sur lui : il est de tous les plans et pas n'importe lesquels. À maintes reprises, il convoque l'imaginaire du héros solitaire face à l'adversité de la nature, face à son destin. Seul sur la montagne, il combat les éléments et sort toujours vainqueur des épreuves. Figure héroïque, il mobilise le motif de l'épopée, puisque, tel Ulysse, il est amené à quitter son foyer pour un long moment au service d'une quête qui l'emmènera dans de multiples lieux et destinations.
Plusieurs plans subliment son personnage qui est régulièrement représenté seul, cheminant sur la montagne. D'autres plans, plus serrés, tendent à rendre compte de ses émotions (mais également de ses partenariats publicitaires puisqu'ils permettent de montrer les logos de ses sponsors). À l'aune de ces observations, il demeure utile de poser, à nouveau, la question du rapport au réel. Sur l'échelle de réalisme du film documentaire, à quel degré se situe Kaizen ? Où placer le curseur ? Au service de quels objectifs, de quelles valeurs ?
ACTIVITÉ 4 : Quid de la réussite ?
Pour terminer, il est nécessaire de revenir à ce message pseudo-stoïciste de la « meilleure version de soi-même ». Il semble clair, au vu des différentes activités proposées ci-dessus, que le film d'Inoxtag s'inscrit pleinement dans la mouvance des coachings de développement personnel.
Pour preuve supplémentaire, il suffit de s'interroger sur la signification du titre du film. Kaizen est un précepte japonais que l'on pourrait traduire par « amélioration continue »13. Il s'agit au départ du nom d'une méthode de gestion de la qualité, mise en place par Toyota. Elle repose sur l'idée qu'accumuler au quotidien de multiples petites améliorations permet finalement d'aboutir à un grand changement, à une meilleure version du processus initial. Par ailleurs, Inoxtag a également publié une vidéo de bonus intitulée « Un an pour devenir meilleur ». À la fin du film, il explique la signification de son titre, en insistant sur le fait qu'il est nécessaire de s'améliorer de jour en jour et donc de devenir meilleur petit à petit.
Extrait du film (2h23'36)
En guise de conclusion d'exploitation de ce film, il conviendra d'analyser la leçon de vie transmise par Inoxtag. Celle-ci se cristallise principalement dans les propos qu'il tient lorsqu'il arrive au sommet de l'Everest (2h11'15). Les questions suivantes permettront de guider la discussion :
- Quel message Inoxtag nous transmet-il ? Quelle leçon de vie nous livre-t-il ?
- Quels points communs et quelles différences percevez-vous avec les propos de Léna Situations ? En quoi ces deux jeunes youtubeurs se rejoignent-ils ? Sur quoi s'accordent-ils ?
- Quelle méthode préconise-t-il afin de réussir sa vie ?
- Êtes-vous d'accord avec la nécessité de devoir continuellement s'améliorer ?
- Quelles marques injonctives percevez-vous dans ses propos ? Comment formule-t-il ses recommandations ?
- Et si, vous, vous deviez recommander une leçon de vie, que proposeriez-vous ? Pourquoi ?
- Que pensez-vous de sa performance ?
Je l'ai fait ! Merci à tous ceux qui ont cru en moi. Je me suis toujours demandé : c'est quoi être le meilleur ? Autour de moi, il y a des mecs qui sont tous plus forts que moi. Je ne suis pas tout seul ici. Les sherpas m'ont aidé. Au final, il faut chercher à être meilleur qu'hier. Il faut se lancer des projets. Il faut arrêter d'être derrière les écrans, de scroller et de vivre à travers les autres. Sortez dehors. Si vous avez un projet, faites-le. N'écoutez pas les gens. Si vous avez envie de faire quelque chose, faites-le. Et si vous échouez, ce n'est pas grave. Vous aurez appris. La vie est faite d'apprentissages. C'est comme ça qu'on vit.
Je pense qu'il y a tellement de gens qui se disent : « Je ne peux pas le faire. » Mais petit pas par petit pas, tu peux y arriver.
3. Prolongements
En guise de prolongements, voici quelques ressources utiles à consulter :
- Des exercices pratiques issus des philosophies antiques :
Marc-Antoine Gavray et Gaëlle Jeanmart (2023), Comment devenir un philosophe grec, Paris, PUF.
- Un festival de films consacrés à la montagne :
https://www.montagne-en-scene.com
- Un numéro spécial consacré à l'Everest :
Aurélie Cintori
1. Pour plus d'informations, visionnez le documentaire Le business du bonheur sur AUVIO- https://auvio.rtbf.be/emission
2. Illouz Eva, « Le self-help pensé pour moi-même » in Philosophie magazine, « Stoïcisme », hors-série n°49, mai 2021. https://www.philomag.com
3. Gavray Marc-Antoine et Jeanmart Gaëlle(2023), Comment devenir un philosophe grec, Paris, PUF, p. 114.
4. « Développer une pensée critique et complexe requiert de recourir à des catégories d'analyse multiples pour lutter contre les généralisations, de développer une appréhension des causalités circulaires ainsi que de trouver, traiter et évaluer des sources d'informations fiables, quel qu'en soit le support, y compris numérique ». (Référentiel d'éducation à la philosophie et à la citoyenneté, p. 79).
5. Lien vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0avm2ot65gU&t=4s
6. Lien vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=MUmPTcebDX8
7. Pour plus d'informations quant au film : https://fr.wikipedia.org/wiki/...
8. Pour plus d'informations quant au film : http://www.film-documentaire.f...
9. Pour plus d'informations quant aux subterfuges utilisés par Robert Flaherty : https://nanouk-ec.com/films/na...
10. Pour plus d'informations quant au travail de Robert Flaherty : http://www.dvdcritiques.com/Dv...
11. Marie-Claude Treilhou, réalisatrice française, cité in http://www.surlimage.info/ecri...
12. Mur imaginaire qui sépare le public de la scène, contribuant à l’illusion d'une réalité de la fiction. Rompre le quatrième mur en s’adressant explicitement aux spectateurs est une interpellation plus ou moins forte du spectateur pour appeler son attention, le faire réagir, ou créer une complicité avec un personnage particulier de la fiction.
In : https://www.editionstheatrales...
13. Pour plus d'informations, consultez le site suivant : http://erwan.neau.free.fr/Tool...