Album (37) : « Le petit robot de bois et la princesse bûche » de Tom Gauld

Un album original, à  la fois tendre et amusant, pour s'adonner à  l'amplification et travailler l'intertextualité.


Informations bibliographiques 


Auteur et illustrateur : Tom Gauld
Traductrice : Rosalind Elland-Goldsmith
Éditeurs : Neal Porter Books / Holiday House Publishing (L'école des loisirs pour l'édition française)
Format : 32 pages
Année d'édition : 2021 (2022 pour la traduction française)



Un mot sur l'auteur

« Cartooniste » et illustrateur britannique, Tom Gauld est connu pour les dessins qu'il publie dans la presse. On lui doit également plusieurs belles bandes dessinées telles que Goliath (2013), qui revisite le mythe de David et Goliath en se focalisant sur le personnage du géant, ou La revanche des bibliothécaires (2022), dans laquelle l'auteur dépeint avec humour les professionnels du livre et l'univers dans lequel ils évoluent. 

Ces dernières années, Tom Gauld a vu son œuvre récompensée à de nombreuses reprises, notamment par le prestigieux prix (Will) Eisner de la meilleure publication humoristique. Le petit robot de bois et la princesse bûche, son premier album destiné aux enfants (à partir de 5 ou 6 ans), est inspiré des histoires qu'il lisait et racontait à ses filles à l'heure du coucher. Il vaut assurément le détour : petits et grands devraient y trouver leur compte. 

 



Présentation de l'album


RÉSUMÉ

Désespérés d'avoir un jour un enfant, le roi et la reine font respectivement appel aux services de l'inventrice royale et à ceux d'une sorcière. La première leur donne un fils, un petit robot de bois, tandis que la seconde transforme une buche en princesse presque humaine : petite fille le jour, elle redevient buche durant son sommeil. Pour garder cela secret, le petit robot de bois est chargé d'aller réveiller sa sœur chaque matin à l'aide d'une formule magique. Un jour, obnubilé par l'arrivée d'un cirque itinérant, il oublie de remplir sa mission. La servante chargée d'entretenir la chambre de la princesse trouve donc une buche de bois dans le lit, qu'elle s'empresse de jeter par la fenêtre. Le petit robot de bois se rend compte, un peu tard, de son oubli. Il décide alors de partir à la recherche de sa sœur. S'ensuit une série d'aventures qui le mèneront jusqu'au Pôle Nord... Le frère comme la sœur vivront de nombreuses péripéties. 

TEXTE

Le récit peut assurément être qualifié de conte merveilleux. On y retrouve, en effet, les caractéristiques du genre tant au niveau du fond que de la forme. 

  • Fond

Concernant le fond, l'intrigue prend place dans un espace-temps lointain peu défini ; parmi les lieux évoqués on retrouve le château et la forêt ; plusieurs personnages habituels sont mis en scène, tels que le roi, la reine, la princesse, la sorcière (qui vit dans une maisonnette au milieu de la forêt) et les animaux ; la magie occupe une place importante au sein de l'histoire, le récit respecte le schéma narratif ainsi que le schéma actanciel (quête, adjuvants, opposants) – qui prend une forme double puisque, après avoir vécu une série d'aventures, le petit robot passe la main à sa sœur –, etc. 

                                                                                                                                                                                                   Schéma actanciel


Tom Gauld manie ou revisite les ingrédients du conte traditionnel et en injecte d'autres, plus modernes, de manière assez originale. Ainsi, par exemple, la famille royale qu'il présente n'a rien d'extraordinaire : elle rencontre des soucis comme n'importe quelle famille. Les héros de l'histoire sont assez atypiques : le premier est un petit robot de bois mécanique, à l'intérieur duquel une famille de scarabées a élu domicile, la deuxième est une princesse-buche (qui a très peu de points communs avec la princesse archétypale), et les véritables héros, aussi improbable que cela puisse paraitre, sont finalement les scarabées...

« À la fin, ce sont les petits scarabées qui permettent de retourner la situation. Comme dans les histoires de détectives, ils apparaissent au début de l'histoire, comme un détail apparemment insignifiant, puis ils prennent toute leur importance. D'ailleurs les personnages que je préfère dessiner sont ces scarabées. »1

 

Parallèlement à la magie, l'auteur introduit l'ingénierie : tandis que la reine fait appel à une sorcière, le roi s'adresse à  « l'inventrice royale ». Remarquons au passage que cette dernière est une femme et non un homme. Cela semble faire écho aux préoccupations féministes de notre époque. 


  • Forme

En ce qui concerne la forme, l'histoire est racontée au passé (imparfait et passé simple), à la troisième personne par un narrateur omniscient, les formules traditionnelles du conte (« Il était une fois », « [...] et chacun vécut heureux pour toujours et à jamais ») ouvrent et ferment le récit, la chronologie des actions est clairement précisée à l'aide de connecteurs temporels et des dialogues sont rapportés en discours direct. 



IMAGES

Dans les illustrations colorées et particulièrement esthétiques de Tom Gauld, se mêlent ligne claire et petits traits de remplissage (qui rappellent la technique utilisée par Maurice Sendak). Cette association de techniques produit des images à mi-chemin entre les illustrations simplistes et épurées que l'on peut trouver dans certains livres pour enfants et les gravures anciennes. Les images de l'album sont à la fois naïves et détaillées. Les étagères de l'atelier de l'inventrice et celles de l'antre de la sorcière, par exemple, sont remplies de petits objets qu'on se plait à observer et à comparer.


                                                                                  Illustration issue de Max et les maximonstres de Maurice Sendak (1963).


Certaines images sont en pleine page, voire en double page, d'autres sont présentées sous forme de médaillons (portraits), de bannières, de cases ou de vignettes, à la manière des bandes dessinées. L'auteur-illustrateur se plait à associer les images entre elles, soit par un jeu (purement visuel) de composition symétrique, soit par un procédé de juxtaposition créant une chronologie. Le lecteur est ainsi amené à utiliser successivement plusieurs modes de lecture d'images et à passer de l'un à l'autre à mesure qu'il tourne les pages de l'album. 


                                                                                                                                                                                     Image en double page


                                                                                                                                   Jeu sur la symétrie


                                                                                                                       
                                                                                                                                             Images chronologiques à la manière des bandes dessinées
             

RAPPORT TEXTE-IMAGES

Le petit robot de bois et la princesse bûche présente une particularité en ce qui concerne la disposition du texte et des images. En effet, alors que dans la majorité des albums le texte se superpose aux illustrations, il est ici la plupart du temps isolé dans des encadrés blancs. Cette pratique semble empruntée à  la bande dessinée. 

Comme dans de nombreux albums, texte et images sont tantôt redondants, tantôt complémentaires. Parfois, le texte en dit plus que l'image, qui ne représente qu'une des actions mentionnées ou qu'un seul aspect de la scène décrite, parfois c'est l'inverse. Ainsi, par exemple, sur la page de droite reproduite ci-dessus, le texte est très bref, se limitant à l'essentiel. Les images, quant à elles, apportent des précisions et montrent au lecteur comment la sorcière s'y prend pour réveiller la princesse et réparer le robot. On peut également remarquer que, lorsque l'action s'accélère, les images se multiplient à la manière des planches de BD.



Pistes d'exploitation didactique


Les pistes d'exploitation de l'album sont nombreuses, d'autant plus qu'on peut aisément imaginer travailler celui-ci avec des enfants du primaire comme avec des élèves du début du secondaire. Outre une réflexion autour des thématiques abordées (la famille, l'amour fraternel, l'entraide, la solidarité, etc.), qui pourraient être exploitées dans une visée philosophique et citoyenne2, on pourrait, avec les plus jeunes, travailler des compétences et des stratégies de lecture3, notamment des images. Cela semble tout indiqué pour amener progressivement les enfants vers la bande dessinée. 


Amplifier le récit

Avec les élèves plus âgés, on pourrait articuler la lecture à un travail de production. En effet, deux pages de l'album, qui participent assurément à son originalité, constituent de belles invitations à l'amplification. Quels que soient l'âge du lecteur, le contexte et les modalités de lecture, il est peu probable qu'il se contente des vignettes et des titres proposés en remplacement des aventures vécues par les deux héros. Si le narrateur « ne peut conter » ces aventures tant elles sont nombreuses, rien n'empêche le lecteur de les imaginer.


Voilà donc un support stimulant pour le lecteur et riche pour l'enseignant qui voudrait proposer à ses élèves un travail autour du conte articulant réception et production. Si l'on se fie au référentiel Français Langues anciennes, et plus précisément au tableau qui répertorie les genres à travailler, cela serait possible à tous les niveaux du tronc commun. On constate, en effet, que le conte apparait dès la première année primaire et jusqu'en troisième secondaire parmi les genres à lire et/ou écouter. En termes de production, les élèves du cycle 2 devraient être amenés à conter une histoire oralement et à écrire un bref récit en trois étapes (pourquoi pas l'une des douze aventures vécues par le petit robot ou par sa sœur) ; dès la troisième primaire, l'écriture à proprement parler d'un conte (merveilleux, étiologique ou détourné) est envisagée. 

                                                                                                          Extrait du tableau des genres proposé dans le référentiel FRALA (p. 32)


Comme le précise le référentiel, « les activités d'écriture ne doivent pas nécessairement porter sur l'intégralité d'un texte : l'élève peut être amené à rédiger la fin d'un conte ou à amplifier un épisode » (p. 31). L'amplification, procédé que l'on trouve aussi dans les programmes actuellement en application aux deuxième et troisième degrés de l'enseignement secondaire (UAA 5 : S'inscrire dans une œuvre culturelle), consiste à allonger, poursuivre, compléter ou développer une œuvre existante (poursuivre une œuvre textuelle, élargir le champ d'une image, combler une ellipse, développer un élément simplement évoqué, etc.).  

On pourrait schématiser ce procédé créatif de la manière suivante : 


                                                                                              À gauche, en bleu clair, l'œuvre source, à droite l'œuvre amplifiée.


Dans le cas qui nous occupe, l'ajout prendrait place au sein du récit, il serait inséré dans celui-ci (qui deviendrait dès lors un récit-cadre), comme le représente la deuxième partie du schéma ci-dessus. En effet, il s'agit de développer des aventures simplement nommées et de les intégrer dans l'album à la place des vignettes qui les annoncent. 


Pour que l'amplification soit réussie, la partie ajoutée doit se fondre harmonieusement dans le texte source4, c'est-à -dire qu'elle doit respecter ses caractéristiques tant en ce qui concerne le fond que la forme. Dans son ouvrage consacré à l'écriture d'invention, Maxime Abolgassemi parle de « greffe »5. L'image est parlante. 


Il convient donc, au sein d'un dispositif ayant pour tâche finale l'amplification d'un récit, d'articuler les activités autour de deux objectifs :   



  • Découverte des invariants du genre et des caractéristiques spécifiques de l'œuvre à amplifier

Avant de se lancer dans l'écriture, il est nécessaire d'identifier les invariants, les caractéristiques définitoires du conte. Pour favoriser l'induction, cela peut se faire via un bain de textes : au départ d'une grille d'observation ou d'une liste de questions, les élèves dégagent les similitudes qui existent entre plusieurs textes représentatifs du genre : cadre spatiotemporel, personnages habituels, schéma narratif, emploi des temps, formules types, etc. Ils aboutissent à une structuration du genre (tableau, carte mentale, etc.).

Ensuite, une analyse fine de l'œuvre source permettra de mettre en évidence les caractéristiques du conte reprises et respectées par l'auteur, mais aussi d'identifier des aspects spécifiques (écarts par rapport aux caractéristiques génériques, modernisation, style, etc.). Il s'agira également d'affiner la compréhension et l'interprétation des lecteurs (psychologie et comportement des personnages, intentions poursuivies, etc.).  


  • Travail d'écriture progressif pour s'approprier ces caractéristiques 

Avant d'inviter les élèves à se lancer dans la rédaction de l'épisode choisi, il est utile de leur proposer, en lien avec les caractéristiques relevées, des microtâches d'écriture qui les aideront à s'approprier les caractéristiques du conte et de l'œuvre source, les préparant ainsi progressivement à la tâche d'écriture visée.

Enfin, pour les accompagner au mieux dans cette tâche d'écriture, l'enseignant peut organiser celle-ci en plusieurs étapes : 

  1. Commencer par une phase de planification : après avoir choisi l'intitulé de leur épisode, les élèves rassemblent et organisent leurs idées sous forme de plan, complètent un canevas, etc. 
  2. Guider ou relancer l'écriture et stimuler l'imagination : les titres des aventures et les vignettes constituent déjà des lanceurs d'écriture ; l'enseignant pourrait proposer des aides supplémentaires aux élèves comme, par exemple, des formules possibles pour introduire leur épisode. 
  3. Évaluer et améliorer les productions : on le sait, l'écriture suppose des va-et-vient entre rédaction et amélioration-correction. Une grille d'autoévaluation pourrait être soumise aux élèves afin qu'ils vérifient que leur texte correspond aux attentes et qu'il respecte les caractéristiques de l'œuvre source. 


                                                                                                                                 Aides possibles pour stimuler la créativité et lancer l'écriture


L'écriture d'invention, et dans notre cas l'amplification, amène les élèves à « mieux comprendre les textes d'appui », leur permet de « développer leurs facultés d'imagination » et contribue à « un travail approfondi sur la maitrise de la langue et de l'expression »6.


L'activité d'écriture a été menée avec les étudiants de 2e année. Après avoir découvert et analysé l'album, chacun a été invité à choisir l'une des vignettes proposées et à rédiger l'aventure correspondante. Voici le premier jet de deux étudiants.7 


                                                                                                                                                                            Théo Georis


                                                                                                                                                                             Jaya Panza

Ces deux productions témoignent d'une bonne compréhension de l'album et d'une appropriation du langage utilisé par l'auteur. Outre une phase de révision axée sur l'expression et la correction de la langue, on pourrait pousser le projet plus loin en faisant illustrer les aventures à la manière de Tom Gauld8. On pourrait également, après avoir veillé à répartir tous les épisodes entre les élèves, regrouper les productions sous la forme de petits livrets qui seraient glissés dans l'album en regard des pages annonçant les aventures des deux héros.


  • Travailler l'intertextualité 

On le sait, aucun récit n'est totalement original ou inédit. Bien au contraire, les textes s'inspirent les uns des autres de telle sorte que l'on y retrouve des motifs communs, mais aussi des liens intertextuels clairs. Ainsi, l'amateur de contes constatera sans doute que Le petit robot de bois et la princesse bûche débute de la même manière que La Belle au bois dormant des frères Grimm (désir d'enfant) ; il ne manquera pas de rapprocher les deux héros, créatures faites de bois, de Pinocchio ; la maisonnette de la sorcière située dans la forêt lui fera certainement penser à Hansel et Gretel ; et les animaux qui viennent en aide aux héros lui rappelleront la version Disney de Blanche-Neige... 

Qu'en est-il des aventures non contées proposées par l'auteur ? Sont-elles sorties de son imagination ou font-elles, elles aussi, référence à d'autres œuvres, que ce soit des contes traditionnels (ou du moins des motifs identifiables dans l'univers des contes populaires) ou des œuvres plus récentes comme les albums ? 

Après quelques recherches, il semblerait que l'on puisse identifier, tant dans le répertoire des contes (d'origines multiples) que dans celui des albums, des œuvres ayant pu inspirer Tom Gauld ou pouvant en tout cas être mises en relation avec les épisodes listés. Voici une liste non exhaustive. 


                                              Des récits à mettre en lien avec Le petit robot de bois et la princesse bûche



Faire percevoir aux élèves les liens entre les récits est l'occasion de leur faire découvrir des contes d'époques et d'origines variées, des œuvres du patrimoine, mais aussi des productions marquantes en littérature jeunesse, comme le préconise le référentiel (p. 18). En somme, aborder la question de l'intertextualité participe au développement de la culture littéraire des élèves.



Pour conclure

On le sait, les contes et leur univers foisonnant constituent des supports didactiques intéressants pour aider les élèves à  développer des compétences de lecture, mais aussi d'écriture. Le petit robot de bois et la princesse bûche, album riche à bien des égards, offre au lecteur l'occasion de s'adonner à l'écriture créative, en s'appropriant et en manipulant les caractéristiques et les codes du genre (comme le fait Tom Gauld) et en faisant dialoguer les oeuvres entre elles. 


Anne-Catherine Werner



1. https://www.ricochet-jeunes.or...

2. Voir à ce sujet le référentiel d'éducation à la philosophie et à la citoyenneté : http://www.enseignement.be/ind...

3. Le programme PARLER (https://parlerbelgique.uliege....) consacre une fiche méthodologique à l'album de Tom Gauld, visant à  accompagner les enseignants dans l'enseignement explicite des stratégies de compréhension.  

4. Dans Palimpsestes. La littérature eu second degré (1982. Paris : Seuil), Gérard Genette parle, quant à lui, d'hypotexte.

5. ABOLGASSEMI Maxime (2001). L'écriture d'invention. Rennes : CRDP de Bretagne, p. 24.  

6. Ibidem, p. 17.

7. Merci à Théo et Jaya d'avoir accepté de partager leurs productions. 

8. Cela pourrait entrer dans un projet d'éducation culturelle et artistique. 

9. Merci aux collègues, qui m'ont fait profiter de leurs connaissances, ainsi qu'à Joan et Maeva du Centre de Ressources Pédagogiques d'HELMo Sainte-Croix, qui ont mené des recherches complémentaires aux miennes. Si les titres des aventures évoquent aux lecteurs d'autres récits, qu'ils n'hésitent pas à commenter cet article pour m'en faire part.

Auteur

Anne-Catherine Werner

Maitre-assistante en français, didactique du français, assistante de formation en didactique du français langue première (ULiège). Intérêt particulier pour la lecture, l'écriture, la langue française, le cinéma, le théâtre, la photographie et les arts plastiques.

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