Lecture en réseau sur la thématique de l'immigration
Au départ de l'exposition « Now you see me Moria », organisée au Centre culturel des Chiroux, les étudiants de BLOC 3 ont exploré différentes activités d'exploitation. Compte rendu des propositions envisagées.
1. L'exposition
Le Centre culturel des Chiroux héberge (jusqu'au 15 octobre 2022) l'exposition Now you see me Moria1, dans le cadre du programme TempoColor. Au total, ce sont 449 affiches qui sont exposées et regroupées par thématiques. Il s'agit d'œuvres de graphistes du monde entier qui se sont emparés de photos prises par des réfugiés dans le camp de Moria pour les modifier, de manière à dénoncer les conditions de vie déplorables dans ce camp. Les journalistes n'étant pas acceptés dans le camp, un collectif de plusieurs réfugiés photographes (Amir, Ali et Mustafa, originaires d'Afghanistan, et Qutaeba, originaire de Syrie) a créé le compte Instagram (Now you see me Moria)2. En 2021, Noemà, une photographe et éditrice photo basée aux Pays-Bas, a proposé à des graphistes du monde entier de s'approprier les photos et de les transformer afin de réaliser des affiches engagées qui visent à dénoncer les fausses promesses et les conditions de vie déplorables auxquelles font face les 20 000 réfugiés du camp, dont 40 % sont des enfants.
Des personnes individuelles (...) et des communautés de graphistes d'artistes de rue, d'étudiants en sciences politiques, d'organisations, etc. ont rejoint notre mouvement. Il s'agit d'un collectif décentralisé, qui ne laisse aucune place aux égos ou aux intérêts personnels, que tout le monde peut rejoindre. Les compétences, les connaissances et la réactivités sont utilisées pour faire prendre conscience de l'urgence d'agir dans toutes ces communautés.3
Historiquement, le camp de Moria (en Grèce, sur l'ile de Lesbos), hotspot pour l'accueil des migrants, comptait dès 2015 une capacité de 2500 places. En 2020, ils étaient plus de 20 000 migrants à survivre dans l'oliveraie communément appelée « la honte de l'Europe ». En septembre 2020, un incendie éclate et ravage le camp. Dans la foulée, un an plus tard, l'Europe construit un nouveau camp, quelques kilomètres plus loin, à Mavrovouni, où les conditions de vie demeurent précaires. Les réfugiés l'appellent d'ailleurs « Moria 2 ». Lors de cette transition d'un camp à l'autre, le gouvernement grec intime aux réfugiés l'ordre de se déplacer jusqu'au nouveau camp, afin que puisse être assuré le suivi de leur dossier. Il promet également de meilleures conditions de vie et l'assurance de pouvoir bénéficier d'essentiels vitaux (électricité, eau, nourriture, nécessaire de toilette). Ce courrier constitue le support complémentaire au départ duquel les graphistes ont construit leurs affiches, jouant sur le décalage important qui existe entre ce qui a été annoncé, promis et la réalité effective dans laquelle vivent, encore aujourd'hui, les réfugiés.
À travers ces affiches, le collectif transnational, Now you see me Moria, vise à mettre en lumière les violations des droits humains et les conditions de vie lamentables dans lesquelles sont plongés les réfugiés qui se retrouvent enfermés dans ce camp. Le compte Instagram publie régulièrement de nouvelles photos et constitue un canal de communication privilégié pour transmettre les demandes d'aide des réfugiés. Le collectif se bat pour une évacuation immédiate des camps au profit de la création de nouveaux lieux d'accueil. Des changements structurels importants sont demandés à l'Europe quant à sa politique migratoire.
Moria est un symbole de la politique de dissuasion européenne. Les conditions de vie intolérables sont le résultat direct de la volonté de l'UE de dissuader les migrants de venir et d'externaliser le contrôle des frontières. (...) La Grèce, notre « bouclier européen », est une barrière physique qui maintient les demandeurs d'asile piégés dans des camps surpeuplés. Mais c'est aussi une barrière symbolique qui empêche les habitants de l'UE d'être informés et rend invisibles les violations des droits humains.3
© Le nouveau camp de réfugiés et de migrants de Mavrovouni, à Mytilène, sur l'île grecque de Lesbos, le 30 mars 2021. ARIS MESSINIS / AFP
2. La préparation à la visite
Dans le cadre de la préparation à la visite de l'exposition, les étudiants ont vécu un dispositif de lecture en réseau, grâce auquel ils ont pu se familiariser avec les enjeux de la politique migratoire européenne. En effet, les affiches présupposent une série de connaissances générales en lien avec les choix politiques en matière d'accueil des réfugiés de la part de l'Europe. Il était donc indispensable d'outiller les étudiants afin de leur permettre une compréhension fine des supports exposés. Le dispositif, en quatre étapes, prévoyait tout d'abord de s'informer sur les décisions politiques européennes (ex : le règlement de Dublin, l'accord UE-Turquie, le programme de Giorgia Meloni en Italie, ...). En bref, il s'agissait de contextualiser la question de l'accueil des migrants en Europe.
Ensuite, les étudiants ont exploré le compte Instagram Now you see me Moria et ils ont sélectionné deux photos qui les touchaient particulièrement afin de les associer à trois hashtags existants (# empathie, # frontières, # partage). Une troisième étape consistait à déconstruire les préjugés habituellement exprimés quant à l'accueil des réfugiés. En effet, dans une enquête du Centre d'action laïque de 2021, 44 % des enseignants expliquent avoir fait preuve d'autocensure, en évitant des sujets considérés comme sensibles. Ils témoignent avoir « parfois ou souvent renoncé ou limité le champ de réflexion d'un sujet pour éviter toute complication par la suite. »4 Dans cette perspective, nous avons donc travaillé au départ d'outils élaborés par Amnesty et le Ciré afin de participer à la déconstruction des stéréotypes les plus largement répandus, dans l'objectif de familiariser les étudiants à ce type de débat qui surgit inévitablement dans les classes.
Enfin, nous avons terminé notre dispositif par la découverte d'une bande-dessinée muette de Shaun Tan, Là où vont nos pères5. Les étudiants ont analysé le parti pris de l'auteur et ont été sensibilisés à la dimension intemporelle de la migration.
Pour télécharger le PPT de la lecture en réseau et les ressources : PPT Mise en réseau : l'imigration
Au terme du dispositif, les étudiants, répartis en deux sous-groupes, ont synthétisé leurs apprentissages sur un document commun et ont présenté leur trace collective à l'ensemble du groupe classe.
3. La visite
Quelques jours plus tard, nous nous sommes rendus au Centre culturel des Chiroux, afin de découvrir l'exposition. Les quelque 449 affiches sont réparties sur les murs blancs de la salle principale et rassemblées selon les thématiques récurrentes (ex : l'accès à l'eau, aux sanitaires, la nourriture, l'hypocrisie de l'Europe, etc.). Nous avons, au préalable, bénéficié d'un temps libre pour déambuler dans l'exposition. Les nombreuses affiches exposées sont complétées par une une vidéo poignante réalisée par une mère de famille d'origine afghane, Zahra Vaezi, qui explique les différentes tentatives qu'elle a menées avec son mari et ses cinq enfants pour gagner l'Europe au départ de la Turquie. Le tout filmé avec son téléphone portable6.
Munis de leur carnet de visite, les étudiants ont sélectionné deux œuvres de leur choix, qui les ont particulièrement interpellés.
Carnet de visite_Expo Moria.pdf
Après avoir observé et découvert les différentes affiches, un atelier créatif est proposé, au cours duquel le visiteur est amené à produire sa propre affiche engagée. Des reproductions A3 de certaines photos ainsi que du matériel artistique sont mis à disposition et chacun peut s'essayer à l'exercice de la production graphiste. Par la suite, il est possible de scanner son affiche personnelle et de l'imprimer sur des supports autocollants que le visiteur, graphiste en herbe, est encouragé à aller coller dans les espaces publics. Les étudiants se sont prêtés au jeu et ont, eux aussi, produit une affiche dans la veine du collectif. Voici leurs réalisations :
4. L'exploitation de la visite
Lors du retour en classe, les étudiants ont partagé leurs découvertes et leurs coups de cœur en comparant les différentes affiches sélectionnées. Grâce à l'Action Book publié par le collectif, nous sommes en possession de toutes les affiches de l'exposition, en format A3. Nous avons alors analysé les procédés utilisés par les auteurs graphistes afin de créer à minima la sensibilisation, à maxima l'engagement ou l'action chez le spectateur. Il s'est avéré que l'ironie constitue un ressort efficace et récurrent afin de créer le choc, la prise de conscience nécessaire. En effet, à de nombreux reprises, le texte est en disjonction avec l'image : il dit le contraire de ce que montre l'iconographie. De ce fait, un mal-être est créé chez le récepteur de l'œuvre qui est témoin des promesses hypocrites de l'Europe. Comme brièvement expliqué précédemment, le texte apposé sur les photographies des migrants provient majoritairement du courrier officiel envoyé par les autorités grecques. La dénonciation des conditions dans lesquelles vivent les réfugiés s'opère également par des allusions à nos modes de vie privilégiés. Je pense notamment à l'affiche qui reprend les codes publicitaires de la célèbre enseigne Ikea ou celle où il est question d'évaluer la qualité du restaurant. Toutes ces habitudes dénotent évidemment avec la sombre réalité de la vie sur le camp.
Au vu de cette analyse, l'UAA5 « S'inscrire dans une œuvre culturelle », constitue une porte d'entrée privilégiée pour un travail tel que celui qui a été mené. L'élève, au terme de sa visite, pourrait lui aussi s'essayer à l'amplification d'une des photographies du compte Instagram. À la manière d'un graphiste du collectif Now you see me Moria, il pourrait s'emparer d'un texte source de référence (telle que la Déclaration des droits humains ou celle des Droits de l'enfant) qu'il associerait en résonance avec l'image de son choix. Il pourrait, selon le même processus que celui opéré par les créateurs de l'exposition, jouer sur un rapport de disjonction entre le texte et l'image et créer de cette manière une antithèse engagée.
Si la force pédagogique potentielle de cette exposition est importante, c'est certainement grâce à l'Action book distribué au terme de la visite. Le fait de retourner en classe avec le matériau complet issu de l'exposition permet une analyse fine et largement exemplifiée des différents processus à l'œuvre dans l'affiche de dénonciation. Par ailleurs, le transfert vers d'autres campagnes, publicitaires, cette fois de sensibilisation, est facilité. À la suite, l'enseignant pourrait explorer des affiches issues de campagnes de sécurité routière (qui jouent largement sur l'émotion choc) ou encore d'autres affiches issues de campagnes de sensibilisation à l'environnement (Greenpeace et WWF notamment).
En ce qui nous concerne, les étudiants ont élaboré une brève vidéo, à la manière des séquences Chambre noire7, imaginées par France 2 dans le cadre de l'émission Envoyé Spécial. Après avoir analysé plusieurs capsules vidéos et identifié les caractéristiques formelles et les contenus de ces interviews, les étudiants ont produit leur propre vidéo, portant sur une affiche sélectionnée au cours de l'exposition.
Je vous laisse la découvrir ...
Aurélie Cintori
1. Voir le site internet du Centre Culturel des Chiroux : https://chiroux.be/evenement/n...
2. Compte Instagram : https://www.instagram.com/now_...
3. Préface de l'Action Book , Now you see me Moria.
4. Les difficultés d'aborder certains sujets en classe. Constats, difficultés et bonnes pratiques du terrain, CAL, mai 2021. Voir les résultats de l'enquête : https://www.laicite.be/app/upl...
5. TAN Shaun (2014). Là où vont nos pères, Dargaud.
6. La vidéo est accessible en ligne :
7. Voir à titre d'exemple la capsule consacrée à Aris Messinis (2016) qui est directement en lien avec la thématique de l'exposition : https://www.francetvinfo.fr/ec...