« Respire », un court métrage pour sensibiliser les élèves aux procédés cinématographiques
Observer les procédés spécifiques à l'image animée, identifier les effets qu'ils produisent pour développer des compétences de lecture de films.
Tout comme la lecture fine d'un texte nécessite une connaissance suffisante du code et des moyens stylistiques auxquels recourt l'auteur, celle d'un film ne peut se faire sans l'analyse des procédés cinématographiques mis en œuvre. En effet, pour lire un film, il n'est pas seulement question de comprendre l'intrigue, il s'agit aussi d'identifier les procédés formels utilisés par le réalisateur. Ceux-ci sont rarement laissés au hasard. Bien au contraire, ils résultent de choix esthétiques, qui servent le propos et constituent bien souvent des éléments de sens à part entière.
Si l'on transpose le modèle de Jocelyne Giasson1 à la lecture de films, l'on peut considérer que le spectateur crée le sens de l'œuvre cinématographique en se servant à la fois
- du film et de tous les éléments qui le composent – intrigue, cadre spatiotemporel, personnages, costumes et accessoires, structure narrative, texte et dialogues, musique, sons et bruitages, cadrage, éclairage, angles de prise de vue, mouvements de caméra, montage, etc. – (= texte) ;
- de ses propres connaissances, de ses expériences et de son vécu (= lecteur) ;
- et de l'environnement de lecture ou de visionnage dans lequel il se trouve (= contexte).
L'apprenti lecteur de films a donc besoin d'être outillé pour lire l'image animée et apprécier les procédés utilisés ainsi que les effets qu'ils produisent. Plus il sera mis en contact avec des œuvres cinématographiques et sera amené à les observer, à les interpréter, plus il gonflera ses connaissances et son bagage culturel. Ceux-ci lui permettront peu à peu de développer des compétences de lecture et de les utiliser de manière autonome.
Il s'agit bien de fournir des clés de lecture aux élèves, et non de faire d'eux des spécialistes du cinéma, incollables sur le langage cinématographique. Ainsi, pourquoi ne pas leur proposer régulièrement la lecture d'une production audiovisuelle (film, publicité, spot de sensibilisation, clip, etc.) et construire progressivement avec eux une fiche-outil reprenant les procédés observés et les effets produits ? Dans cette optique, le court métrage Respire pourrait constituer un point de départ intéressant.
Présentation du court métrage
Informations générales
- Scénaristes : Marie Delsart et Jérôme Roumagne
- Réalisateur : Jérôme Roumagne
- Acteurs principaux : Victor Meutelet et Marthe Villalonga
- Durée : 16 minutes
- Date de sortie : 2016
Synopsis
Antoine est passionné de course à pied. Il pratiquait ce sport de manière intensive jusqu'à ce qu'on lui diagnostique une mucoviscidose. Hospitalisé, il profite de ses temps libres entre les consultations et les soins pour s'adonner à des séances de course... quoi qu'en dise son médecin. Dans le centre de soins, il fait la connaissance d'une autre patiente, Juliette, une vieille dame peu commode avec qui il se liera peu à peu d'amitié.
Intérêt didactique
Respire est intéressant à plusieurs égards. Tout d'abord, la thématique et les personnages sont susceptibles de toucher les élèves. L'intrigue, assez classique, mettant en scène une amitié naissante, ne présente pas d'importante difficulté de compréhension. Il est donc aisé de dépasser la compréhension globale pour analyser finement les éléments de langage et les procédés cinématographiques, en lien avec les effets qu'ils produisent. Par exemple, il serait intéressant d'identifier les étapes de la relation entre Antoine et Juliette et les moyens utilisés par le réalisateur pour signifier au spectateur que cette relation évolue.
Le format réduit permet d'aborder l'œuvre complète tout en la visionnant autant de fois que nécessaire. Bien qu'il soit possible de travailler sur un long métrage au moyen d'extraits, les courts métrages se prêtent relativement bien à des analyses approfondies.
Enfin, les choix opérés par le réalisateur de Respire permettent d'aborder différents procédés en lien avec le cadrage (échelle des plans), la position et les mouvements de la caméra, ainsi que la musique. Ils permettent de se familiariser avec plusieurs procédés cinématographiques fréquemment utilisés.
Quelques scènes à observer
Après un premier visionnage et une vérification de la compréhension globale (questionnaire, résumé, explication/interprétation du titre, etc.), l'enseignant pourrait proposer aux élèves de visionner une seconde fois quelques scènes choisies afin d'analyser différents choix visuels opérés par le réalisateur et les effets produits.
Pour sensibiliser les élèves au cadrage et à l'échelle des plans :
- Utilisation du gros plan pour montrer des objets significatifs :
À trois reprises, un gros plan de quelques secondes focalisé sur un ou plusieurs objet(s) est montré au spectateur. Ces objets lui apportent des informations quant à l'identité des personnages. Le premier gros plan (médaille) intervient au début du court métrage, après la scène d'ouverture représentant Antoine en train de courir dans la forêt. Jusque-là , le spectateur sait peu de chose du personnage. Ce premier gros plan lui permet de découvrir un objet cher à Antoine. En le mettant en lien avec la première scène, le lecteur peut inférer qu'Antoine est un bon coureur, que la course est sa passion, qu'elle occupe une place importante dans sa vie, etc.
Le deuxième gros plan donne à voir les objets qu'Antoine a déposés sur la table de nuit de sa chambre : un téléphone portable, un bracelet et un cadre contenant une photo d'un jeune garçon portant une médaille autour du cou. Le spectateur émet aisément l'hypothèse que le garçon sur la photo est Antoine lui-même. Il pratiquerait donc la course depuis longtemps.
Le troisième gros plan porte sur une autre table de nuit. Il constitue le premier contact avec un autre personnage, Juliette. Avant même d'apercevoir ce personnage, le lecteur, s'il a compris grâce aux gros plans précédents que le réalisateur montre des objets caractéristiques des personnages, peut s'en faire une idée. La radio et le livre sont anciens. On peut donc supposer qu'ils appartiennent à un personnage âgé qui aime lire et écouter de la musique.
Afin d'amener les élèves à ces différentes observations, l'enseignant peut leur demander de décrire ces trois gros plans, les interroger sur les objets représentés et sur leur fonction et/ou les inviter à comparer le contenu des deux tables de nuit pour dresser le portrait des deux personnages. Il est également utile de faire verbaliser les procédures de construction du sens (notamment en ce qui concerne le travail inférentiel autour du personnage d'Antoine). Enfin, l'enseignant peut inviter les élèves à commenter le choix du réalisateur : apprécient-ils ce procédé ? Le trouvent-ils approprié ? Quels autres choix auraient été possibles pour atteindre le même but ?
- Utilisation du gros plan pour permettre au spectateur d'accéder aux émotions et aux pensées des personnages :
De manière plus classique, le gros plan est aussi fréquemment utilisé dans le court métrage pour montrer les visages expressifs des personnages et permettre au spectateur d'accéder aux émotions ou aux pensées qu'ils ne verbalisent pas forcément. Ainsi par exemple, après que Juliette a interpelé l'infirmière en lui disant « Vous avez peur de quoi ? Que je vive, c'est ça ? », c'est Antoine que la caméra nous montre en gros plan. L'expression de son visage et l'arrêt net du geste censé porter une tartine à sa bouche indiquent que quelque chose se passe à ce moment précis : les paroles de Juliette retiennent l'attention d'Antoine. En rappelant à sa mémoire la scène dans le cabinet du médecin, le spectateur peut repérer un premier point commun entre Juliette et Antoine. En effet, Antoine avait lui-même tenu des propos similaires. Il reconnait donc dans les paroles de Juliette son propre discours.
Plusieurs gros plans significatifs pourraient être analysés par les élèves avant que ceux-ci ne donnent leur opinion sur les choix faits par le réalisateur. L'enseignant pourrait aussi les amener à retracer l'évolution d'un des deux personnages ou de la relation qui les unit en proposant aux élèves de commenter des arrêts sur images. Ce serait notamment l'occasion de mettre en évidence les différentes facettes de la personnalité de Juliette et l'affection qu'elle porte peu à peu à Antoine. La scène finale, presque silencieuse, est par exemple très significative : les gros plans portant alternativement sur les visages des deux personnages, grâce à un champ contre-champ, informent sur le caractère tragique de la scène et sur les émotions des protagonistes.
- Utilisation du plan d'ensemble ou du plan moyen :
D'autres plans sont utilisés dans le film. De manière générale, il serait intéressant d'amener les élèves à identifier les choix du réalisateur et à les commenter en s'appuyant sur les potentiels effets recherchés et sur l'effet réellement produit sur eux : pourquoi ce cadrage ? Que cherche à nous montrer le réalisateur ? Le plan choisi est-il au service du récit et du sens ou s'agit-il, selon vous, d'un choix purement esthétique ? Quel(s) effet(s) percevez-vous ? Il est probable que les élèves apportent des réponses différentes à certaines de ces questions. Plusieurs interprétations sont possibles et c'est cela qui fera la richesse des échanges. Ainsi, certains pourraient considérer que le plan suivant met l'accent sur la solitude des deux personnages, tandis que d'autres y verront davantage la quiétude ou l'apaisement.
Pour sensibiliser les élèves à la position de la caméra (plongée et contre-plongée) :
La plupart du temps, la position de la caméra est neutre (placée sur l'axe horizontal par rapport au sujet filmé). Quelques scènes sont cependant filmées en plongée ou en contre-plongée (avec ou sans mouvement de caméra). Ces choix ne sont pas dus au hasard. Ils produisent des effets qu'il est intéressant d'analyser.
Par exemple, lorsqu'Antoine se met en colère dans le cabinet du médecin après que celui-ci l'a mis en garde sur les dangers de la course, l'acteur se lève et la caméra, placée plus bas que lui, filme son visage en contre-plongée. Cela donne de la puissance au personnage, accentue sa colère.
À l'inverse, lorsqu'il retourne dans sa chambre et se met à tousser la tête enfouie dans son oreiller, la caméra est placée un peu plus haut et le filme en légère plongée. Dans la dernière scène du court métrage, le personnage, couché sur le sable, est également filmé en plongée. Il peut être intéressant de faire observer ces procédés aux élèves via une comparaison et de les interroger sur les effets : où se situe la caméra par rapport au visage de l'acteur ? Qu'est-ce que cela apporte à la scène ? Quel est l'effet produit sur le spectateur ? Aurait-on pu obtenir le même effet si la caméra avait été placée ailleurs ?
Attention cependant à éviter les raccourcis rapides : il serait facile de considérer que la plongée est systématiquement utilisée pour intensifier la faiblesse du personnage tandis que la contre-plongée lui donnerait de la force. Il suffit de relever d'autres scènes filmées avec le second procédé pour se rendre compte que les choses ne sont pas si simples, ou plutôt qu' « il est très souvent difficile d'attribuer une signification univoque à un élément formel2 ».
Pour sensibiliser les élèves aux mouvements de caméra :
Il existe toutes sortes de mouvements de caméra (zoom avant/arrière, panoramique, tilt, travelling, etc.) et autant de combinaisons possibles qui participent au rythme de la narration et produisent toutes sortes d'effets.
Dans Respire, le premier élément à observer en ce qui concerne les mouvements de caméra est certainement le fait que la caméra est mobile lorsque les personnages sont eux-mêmes en mouvement (scènes de course, sortie nocturne de l'hôpital, jeux sur la plage, etc.). On pourra ainsi questionner le rythme que ces procédés confèrent aux scènes.
S'il ne fallait s'intéresser qu'à un mouvement de caméra, on pourrait relever les travellings qui permettent de rester focalisés sur le personnage, comme c'est le cas notamment dans la première scène (00:32 – 00:54) et vers la fin du court métrage (13:39 – 14:04) : Antoine court dans la forêt ou sur la plage, la caméra se déplace avec lui. Il ne sort pas du cadre et, bien qu'il avance, il occupe ainsi la même place au sein de l'image. Ces deux scènes présentent des similitudes tant du point de vue du cadrage que des mouvements de caméra. L'enseignant peut amener les élèves à les comparer. Il peut pousser l'observation plus loin en demandant aux élèves d'identifier ce que fait la caméra lorsque le personnage commence à tousser et est contraint de s'arrêter (arrêt du mouvement de la caméra, mouvement plus archaïque, moins fluide, impression que la caméra est portée), etc.
Le rôle de la musique
Analyser les procédés cinématographiques, c'est bien entendu s'intéresser aux éléments visuels, mais aussi aux aspects sonores. Pour ce faire, on peut procéder de différentes façons : décrire et qualifier les éléments sonores d'une scène (fond musical, dialogues, bruits, etc.) et la manière dont ils se superposent, mettre en lien la musique avec la scène représentée et les émotions des personnages, visionner une scène sans le son puis une seconde fois avec le son pour prendre conscience du rôle de la musique ou, au contraire, écouter la musique sans l'image et faire des propositions de scènes auxquelles elle pourrait correspondre, etc.
Plusieurs scènes de Respire permettent de sensibiliser les élèves au rôle de la musique. Deux d'entre elles semblent particulièrement intéressantes : la scène de course au terme de laquelle Antoine jette ses baskets par-dessus de la balustrade (06:44 – 07:27) et la dernière course sur la plage (13:16 – 14:11). Il serait intéressant d'inviter les élèves à décrire la musique utilisée dans chacune de ces scènes et de la mettre en rapport avec les émotions du personnage.
Dans la première scène, outre l'ambiance angoissante/tragique que confère la musique, le silence (l'absence de musique) est à observer : plus l'état d'Antoine empire, plus sa toux recouvre le fond musical qui finit par s'arrêter de façon nette. Dans la seconde scène, on peut observer la gradation musicale : quelques notes éparses se font entendre lorsqu'Antoine prend la décision de se lever pour courir sur la plage, une musique joyeuse plus affirmée l'accompagne dans sa course et renforce la sensation de liberté et de bonheur, le rythme de la musique ralentit ensuite et le nombre d'instruments se réduit lorsqu'Antoine est limité par sa maladie. Tout comme dans la scène précédente, la musique finit par s'arrêter pour laisser toute la place à la toux d'Antoine, qui referme la parenthèse joyeuse accordée au personnage. La maladie reprend le dessus.
En conclusion
Respire est un objet intéressant pour sensibiliser et éveiller les élèves aux procédés cinématographiques. L'analyse de scènes choisies permet non seulement d'identifier et de se familiariser avec les procédés dont dispose le réalisateur, mais surtout de percevoir comment la plupart de ceux-ci participent au sens du récit et à la narration, sans pour autant induire une seule et unique interprétation. L'élève devient lecteur du film en développant des démarches de lecture propres à cet objet et en transférant d'autres démarches déjà acquises.
Anne-Catherine Werner
1.GIASSON J. (1990). La compréhension en lecture, Bruxelles, De Boeck.
2.CONDÉ M., FONCK V. et VERVIER A. (2006). À l'école du cinéma. Exploiter le film de fiction dans l'enseignement secondaire, Bruxelles, De Boeck & Larcier, p. 135.