Album (34) : « Un petit geste » de Jacqueline Woodson et E.B. Lewis

Un album sensible pour s'interroger quant à la notion de gentillesse et questionner nos gestes anodins.


Informations bibliographiques

Autrice : Jacqueline Woodson
Illustrateur : E.B. Lewis
Editeur : D2eux
Format : 32 pages
Année d'édition : 2020


Le mot de l'éditeur

Chaque petit geste rend le monde un peu meilleur.
Chloé et ses amis ne joueront pas avec la nouvelle fille, Maya. Chaque fois que Maya essaie de rejoindre Chloé et ses amis, ils la rejettent. Finalement, Maya cesse de venir à l’école. Lorsque l’enseignante de Chloé donne une leçon sur la façon dont même de petits gestes peuvent changer le monde, Chloé est piquée par l’opportunité manquée d’une amitié et réfléchit à quel point cela aurait pu être mieux si elle avait montré un peu de gentillesse envers Maya.
Avec son puissant message anti-intimidation et son art frappant, il résonnera auprès des lecteurs longtemps après l’avoir déposé.

https://editionsdeux.com/produ...


PRÉSENTATION DE L'ALBUM


TEXTE

Le texte de l'album est précis et accessible. Séparé de l'image, il se situe en retrait au profit du message pictural. L'histoire est simple : une jeune enfant, Maya, arrive dans une nouvelle classe et ne parvient pas à s'intégrer. Le récit met en évidence des gestes banals, des attitudes habituelles que l'on retrouve fréquemment dans les situations de groupes. À plusieurs reprises, la jeune Maya tente de se mêler au groupe d'enfants dont fait partie Chloé (la seconde protagoniste), mais Chloé et les autres filles la rejettent et se moquent d'elle. Ces gestes, violents psychologiquement, sont mis en scène tout au long de la première partie du récit (rejet, moquerie, ignorance, indifférence). Puis, l'institutrice (madame Albert) incite ses élèves à se questionner sur ce qu'est la gentillesse et, métaphoriquement, leur propose de la représenter à travers l'image de l'onde d'un caillou lancé dans l'eau. Chloé se sent alors soudainement coupable de l'attitude qu'elle a adoptée envers Maya. Le point de bascule du récit arrive avec cette prise de conscience de la petite Chloé qui, rongée par les remords, tente en vain d'ajuster la situation, puisque Maya ne reviendra plus à l'école. 





La thématique difficile de l'exclusion et du rejet est abordée de manière subtile par l'auteure. À aucun moment il n'est question de faire la morale au lecteur ou de lui suggérer autoritairement une manière d'agir. Loin d'une attitude moralisatrice, le parti pris de l'album est celui du questionnement, de l'empathie. Par un décentrement, le lecteur est projeté à la place de Maya. Il vit à travers elle les multiples rejets dont elle est la cible et éprouve la situation de cette petite fille qui subit les dénigrements du groupe. Cette mise à distance, ce vécu par procuration qu'offre la littérature constitue un garde-fou essentiel au regard de la thématique. Le rôle de l'enseignant n'est pas de soumettre à ses élèves le « quoi penser », voire pire, de les formater ou des les obliger à adopter un comportement défini (tout aussi fondé moralement soit-il), force est de constater que cela ne fonctionne pas. L'impact sera beaucoup plus important et efficient si l'attitude adoptée résulte d'un choix personnel, conscient et réfléchi. L'enseignant a pour responsabilité de proposer à ses élèves des situations proches de la vie réelle, à travers lesquelles il pourra se positionner, en apprendre plus sur lui-même et, finalement, grandir.


Je pense que la richesse de cette histoire résulte de deux choses : il n’y a dans le texte aucune « accusation » quant aux agissements des enfants vis-à-vis de Maya, la nouvelle, mais un simple constat, sans jugement ; il y a d’autre part une proposition alternative et positive :  « ce que fait la gentillesse».

Chantal Cession - Les ATI (http://blog.lesati.be)



IMAGES

Les illustrations de E.B. Lewis, de facture réaliste, renforcent la proposition de l'empathie. Les attitudes des enfants et des adultes sont précisément représentées. Les regards, les postures, les positionnements corporels traduisent l'indifférence et le rejet. De ces aquarelles réalistes nait le sentiment de malaise, de honte vis-à-vis de ce qu'est obligée de subir Maya. Chaque petit détail de la classe ou de la cour de récréation renvoie le lecteur à un sentiment de déjà vu, de déjà vécu. C'est la force de cet universel représenté : chaque lecteur y puisera un écho à une situation similaire, issue de sa propre histoire, qu'il pourra questionner et analyser.





E.B. Lewis est issu du monde de la peinture et plus précisément de l'aquarelle1. Il ne s'est tourné que tardivement vers l'illustration de livres pour enfants2, mais a rapidement connu un vif succès. Il a illustré plus de 70 albums pour enfants. Il explique que son rôle en tant qu'illustrateur consiste à reproduire ce qu'il observe dans la réalité, afin de la livrer aux lecteurs. Selon lui, « attendre l'inspiration est un luxe qu'on ne peut s'offrir dans la vie »1. Il recommande donc d'observer, d'être attentif à ce qui se passe autour de nous, afin de pouvoir restituer, transmettre ces contenus. 


Les artistes ont besoin de se remplir eux-mêmes, à ras-bord, afin de pouvoir restituer ce qu'ils ont récolté. 



RELATION TEXTE/IMAGE

La dimension réaliste de cet ouvrage ouvre la voie à l'échange, aux discussions. Les situations vécues (relatées et représentées) pourront faire l'objet d'une évaluation collective au sein de la classe, permettant ainsi un positionnement personnel pour chacun des élèves. La force du propos émane de la complémentarité entre le texte et l'image. Parfois, les propos tenus peuvent sembler peu sympathiques, mais sans grande méchanceté. Toutefois, lorsqu'on observe les illustrations, les attitudes et les postures adoptées complexifient les relations et amplifient la dimension dramatique du rejet. D'ailleurs, la fin ouverte du récit incite également aux spéculations. Pourquoi Maya est-elle absente ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi ne viendra-t-elle plus à l'école ? Très peu d'indices nous sont fournis et de multiples raisons sont envisageables ....






Pistes d'exploitation envisagées


1. DVP : Qu'est-ce que la gentillesse ?  

Une première piste d'exploitation me semble évidente : celle de la DVP (discussion à visée philosophique) qui consisterait à reproduire l'expérience menée par l'institutrice de la classe, madame Albert. En effet, elle apporte en classe un grand bol rempli d'eau et elle y lâche un petit caillou qui produit une série d'ondulations, de petites vagues. Elle accompagne son action de l'explication suivante : « Chaque petit geste que l’on pose se répand dans le monde, comme une vague. » C'est ensuite au tour de chaque enfant de réaliser l'expérience et de formuler une action gentille qu'il a posée, afin de prendre conscience que chaque petit geste compte et qu'il peut avoir des répercussions importantes, selon le phénomène de « l'effet papillon », théorisé par Edward Lorenz3 et mis en chanson par Bénabar4

Il s'agirait donc de démarrer la discussion par cette expérience pour ensuite tenter de répondre collectivement à la question : « Qu'est-ce que la gentillesse ?  » Un travail collectif de conceptualisation serait mené, au cours duquel, il conviendra de discriminer la gentillesse des autres notions suivantes : la bienveillance, la bonté, la générosité, l'altruisme, la compassion, l'empathie, ...

Il pourrait également s'avérer utile de questionner le statut de cette vertu dans notre société contemporaine. Est-il pertinent, utile d'être gentil ? Cela en vaut-il la peine ? Pourquoi ce qualificatif « gentil » résonne-t-il aujourd'hui comme une faiblesse ? À cette fin, l'article du Courrier International5 pourra éclairer l'évolution historique et sociologique de cette vertu. 


 https://www.courrierinternational



2. Street art

Le domaine de l'art et plus précisément certaines œuvres de street art réalistes pourraient servir de supports didactiques afin d'approfondir la réflexion. Le style qualifié dephoto-réalisme » constitue une frange importante de l'art urbain6. De nombreux artistes privilégient ce style afin de défendre diverses causes et sensibiliser le public de manière plus directe. 

À titre d'exemples, les quatre œuvres suivantes pourraient constituer des supports de recherche pour un groupe-classe. Les élèves répartis en 4 sous-groupes devraient répondre à questionnaire exploratoire afin, d'ensuite, présenter l'œuvre qui leur aura été attribuée au reste de la classe. 

QUESTIONNAIRE : 
a) Que représente l'œuvre que vous avez sous les yeux ? Qu'y voyez-vous ? 
b) Quel est le message qu'a voulu transmettre l'artiste ? Aidez-vous du texte de présentation fourni. 
c) Quel lien établissez-vous avec l'album lu précédemment en classe, « Un petit geste » ? 


1. Fintan Magee /// « Follow the leader » au Wall Street Art festival, Savigny-le-Temple


 « Sur un fond automnal, Fintan Magee a peint trois enfants d’une dizaine d’années, modèles trouvés par un appel sur les réseaux sociaux, ces mêmes réseaux indirectement évoqués par l’artiste dans cette fresque qui nous interpelle sur notre dépendance aux smartphones. Avec Follow the leader, Fintan Magee ne se pose pas en critique, mais en observateur d’un phénomène sociétal et universel qui commence dès le plus jeune âge » 7.



2. Sasha Korban /// « Petite Magie » – Kyiv, Ukraine


 « Réalisée en avril 2021, à Kyiv, presque un an avant l’invasion russe et son déluge de feu, la murale de Sasha Korban fait sans doute référence aux fantasmes de sa propre enfance et à ses rêves d’enfant pendant des jeux à l’imagination débridée. Cette part de soi que l’adulte a trop souvent abandonnée … déjà éprouvé ici " par plusieurs années de guerre, des milliers de cœurs brisés, d’êtres chers perdus, de familles ruinées, de corps et d’âmes blessés ", comme le rappelle l’artiste » 8.


3. Martin Ron /// « Réflexions #2 » – San Nicolas de los Arroyos, Argentine


 « Dans nombre de ses œuvres, les enfants sont pour l’artiste argentin la meilleure façon d’interpeller notre société sur les graves dysfonctionnements que l’activité humaine cause à notre environnement. Il s’agit ici, pour Martin Ron, de la deuxième œuvre d’une série nommée Réflexions évoquant l’abaissement historique du niveau du fleuve Paranà, aujourd’hui encore le 14e cours d’eau le plus grand du monde - naguère le 10e.
Cette rivière qui donne vie à une grande partie de la région de Buenos Aires a une longue histoire, mais elle connait actuellement son plus bas niveau depuis ces 80 dernières années. Communautés, espèces ou écosystèmes naturels sont de ce fait en danger extrême, comme peuvent le rappeler de manière aigüe sécheresse, incendies ou disparition des zones humides.
La petite Olivia qui a prêté à l’artiste son image toute emplie de douceur invite -comme elle le fait dans cette mise en scène- à réfléchir sérieusement à des questions d’importance vitale. On appréciera la technique impressionnante de Martin Ron, particulièrement dans le rendu de l’étoffe, ses nuances et ses volumes, mais encore plus dans sa représentation fidèle du reflet de la petite fille peinte en contrechamp… sur cette façade de 40 mètres de haut ! Superbe " réflexion " » 9.


4. Pejac /// « Ants », Vitry-sur-Seine


 « Inspiré par Les Voyages de Gulliver, Pejac a peint au pochoir des dizaines de silhouettes miniatures tentant d’échapper à la loupe incandescente de deux enfants pas si innocents que ça. L’artiste espagnol aborde ici « les différents aspects de la cruauté inhérente aux êtres humains, même dans leur plus jeune âge », explique-t-il. « Je pense que souvent – plus ou moins consciemment – nous sommes ceux qui tiennent la loupe, comme la petite fille, et d’autres fois nous sommes ceux sous le brûlant rayon de lumière ». Et l’artiste de donner envie de réfléchir à la bonne attitude à adopter » 10.


3. Les citations 

Une troisième activité pourrait être menée au départ des nombreuses expressions mobilisant le mot geste. Il s'agirait pour l'élève, au terme de la lecture de l'album, de sélectionner l'expression qui, de manière personnelle, fait écho au message du récit, puis d'expliquer pourquoi au reste du groupe classe (c'est-à-dire justifier son choix).

Voici une liste non exhaustive d'expressions qui pourraient être suggérées aux élèves :  

1) Un petit geste vaut mieux qu'un long discours
2) Joindre le geste à la parole
3) Scruter ses faits et gestes
4) Avoir le geste large
5) N'avoir qu'un geste à faire
6) C'est le geste qui compte
7) ...




Aurélie Cintori



1. Voir son site internet : http://eblewis.com

2. Cf. son interview : Meet the Author

3. L'effet papillon théorisé par Edward Lorenz : https://www.rtbf.be/article/qu...

4. Chanson de Bénabar : https://culture.tv5monde.com/m...

5. Cf. article en ligne : https://www.courrierinternational 

6. Voir le site internet suivant qui répertorie les différentes œuvres selon leurs influences stylistiques : https://street-art-avenue.com

7. https://street-art-avenue.com

8. https://street-art-avenue.com

9. https://street-art-avenue.com

10. https://street-art-avenue.com

Auteur

Aurélie Cintori

Maitre-assistante en français, didactique du français et philosophie. Intérêt particulier pour la lecture, la littérature jeunesse, les voyages, les activités culturelles et les balades.

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