Cet article porte sur une activité d'écriture et d'oralisation d'un dialogue élaboré à partir des œuvres d'un musée dans le cadre d'un voyage scolaire.
Le numéro précédent de la revue a permis de présenter une activité d'écriture d'un poème, plus précisément d'un spirituème. Elle a été élaborée et animée par des étudiants du deuxième bloc à l'occasion d'un voyage de deux jours à Ostende il y a quelques mois. Dans cet article, sera décrite une activité d'écriture et de mise en voix d'un dialogue élaboré lors de la visite du Mu.ZEE. Il consiste en une conversation entre des personnages de deux œuvres artistiques. Gabrielle Vessié, Sarah Delhaxhe et Sarah Wijnandts ont élaboré ce dispositif qui a mis en lien la visite d'un lieu culturel et la rédaction, puis l'oralisation d'un texte dialogué.
Selon son site, le Mu.ZEE d'Ostende est « le seul endroit au monde qui se concentre sur l'art moderne et contemporain en Belgique de 1880 à aujourd'hui. Il veut permettre aux visiteurs d'apprécier et de comprendre l'histoire passionnante et inachevée de l'art en Belgique, en passant d'un artiste à l'autre. Qu'ils viennent de près et de loin pour visiter la collection, autant pour le musée (Mu) que pour la mer (ZEE). »
DESCRIPTION DE L'ACTIVITÉ
Avant une intéressante visite du musée qui a permis une plongée dans les arts visuels belges du XIXe siècle à nos jours (de la peinture à la photo ou à la sculpture notamment), les animatrices ont expliqué les consignes de l'activité.
1. Déambule à travers les nombreuses œuvres du musée et observe-les attentivement.
2. En binôme, choisissez une œuvre par personne parmi celles qui vous touchent plus particulièrement et notez votre choix.
3. Après avoir fait votre choix, réalisez quelques recherches sur l'artiste, l'œuvre en elle-même, son contexte de production... Des informations seront fournies par l'intermédiaire de l'audioguide. Notez le résultat de vos recherches.
4. Écrivez, en binôme, un dialogue entre ces deux œuvres, les personnages qu'elles représentent par exemple. Après la visite, le dialogue sera présenté oralement au groupe sous la forme d'une brève saynète.
Après l'explication des consignes, a été fourni un exemple de dialogue entre deux œuvres qui ne font pas partie du musée visité, mais qui donne un aperçu de la production attendue. Les productions artistiques choisies étaient Le cri de l'artiste norvégien Edvard Munch et La Joconde de Léonard de Vinci.
- Le cri : Bonjour, La Joconde. Comment vas-tu ?
- La Joconde : à‡a va, et toi ?
- Le cri : Un peu fatigué, et toi ?
- La Joconde : Moi, ça va ! Et ton peintre ? Comment va-t-il ?
- Le cri : Oh, Edvard Munch ? Il m'a parlé de son enfance, de sa naissance le 12 décembre 1863 en Norvège, il semblait nostalgique.
- La Joconde : Ne m'en parle pas ! Léonard de Vinci me raconte sa vie tous les jours. Il est né en 1452 en Italie, mais qu'il est bavard, cet homme-là !
- Le cri : Je suis choqué par ce que tu me racontes ! D'ailleurs, en parlant d'être choqué, tu as vu la manière dont Edvard m'a peint ?
- La Joconde : Et moi, alors ? Avec mon sourire dont tout le monde parle et mes yeux qui suivent les visiteurs sans cesse !
Dans un premier temps, la visite du musée a permis de découvrir la grande richesse et la variété des œuvres de nombreux artistes belges, dont notamment celles de James Ensor ou de Léon Spilliaert par exemple et de s'informer sur ceux-ci ou sur leurs productions grâce à l'audioguide. La visite a également permis aux visiteurs de manifester leurs gouts en matière artistique : les uns sélectionnant le tableau qu'ils pourraient placer dans leur salon, les autres observant une représentation d'une femme sculptée dont le réalisme était frappant, certains contemplant les tableaux d'un artiste admiré, d'autres encore curieux ou choqués face aux photos constituant en quelque sorte un documentaire très réaliste sur l'accouchement. Pour une partie des membres du groupe, la visite aurait pu se prolonger bien plus longtemps.
Dans un deuxième temps, les participants regroupés par deux ont pris le temps de sélectionner et de photographier deux œuvres qui seraient le point de départ de leur dialogue. Ils ont ensuite écouté les informations fournies par l'audioguide à propos de celles-ci et ont pu partager leurs connaissances sur les artistes belges qui les ont créées ou même, si nécessaire, rechercher des données à leur propos sur des sites par l'intermédiaire de leur smartphone. En se servant de ce qu'ils avaient appris, ils ont alors rédigé à deux un dialogue qui consistait en un échange entre les deux personnages représentés par les peintures ou les sculptures observées. Il s'agissait de les amener à dialoguer, en évoquant notamment certaines des informations récoltées sur les artistes ou le contexte de production de l'œuvre.
Dans un troisième temps, les visiteurs se sont rassemblés en s'asseyant, en arc de cercle, sur des bancs d'un espace du musée. Ils ont présenté les deux œuvres sélectionnées et en ont montré une photo, puis ils ont lu le dialogue qu'ils venaient de rédiger à voix haute, face au groupe. Après chaque lecture, une discussion a pu être entamée à propos des peintures, des sculptures qui venaient d'être mises en évidence, des artistes à l'origine de celles-ci ou de la prestation orale observée. Ces échanges ont également permis aux animatrices de réaliser un bilan de la visite, en laissant la possibilité à chaque participant d'exprimer ce qu'il avait apprécié ou non lors de la visite, ce qu'il avait appris notamment.
Voici un dialogue écrit et mis en voix par un groupe à partir des œuvres suivantes des deux artistes belges : La femme au chapeau rose de Léon Spilliaert et Portrait d'Emma Lambotte d'Henry de Groux.
Emma dit à Charlotte : Eh bien, ma chérie, ça ne va pas ? Tu es toute pâlotte !
Charlotte : Écoute, moi, ça va ! C'est Léon : il ne dort pas, il souffre d'insomnies terribles à cause de son ulcère. Il erre la nuit dans Ostende. Il a les traits terriblement tirés, les yeux complètement exorbités. Tu l'as vu ?
Emma : T'as raison. Il est vraiment effrayant. On dirait un fantôme. J'ose pas le regarder. Ne le prends pas mal. De là où je suis, euh... je trouve que vous vous ressemblez un peu...
Charlotte : Ne m'en parle pas, il m'a complètement émaciée, j'ai pas de pupilles, une mâchoire d'homme et mon chapeau est censé être rose... T'as négocié comment, avec Henry De Groux, pour avoir toutes ces couleurs ?
Emma : Oh, tu sais, Henry, c'est un ami ! Il est venu à la maison, il m'a peinte dans mon environnement, au naturel. Tu sais bien, lui et les avant-gardes, c'est vraiment pas son truc.
Charlotte : En tous cas, moi, je suis vraiment très inquiète pour Léon. Il va finir par se ruiner la santé. Il faudrait vraiment qu'il rencontre quelqu'un pour égayer ses journées.
Emma : à‡a finira bien par arriver. T'inquiète pas. Prends soin de toi, ma chérie. Repose-toi et tu viens prendre un thé quand tu veux !
INTÉRàŠTS DE CE DISPOSITIF
Pourquoi mener une telle activité d'écriture et de mise en voix d'un dialogue entre des personnages d'œuvres d'un musée ?
Parce qu'elle a permis aux participants :
- de rendre compte de leur visite, des informations apprises sur les œuvres et les artistes belges qui les ont produites ;
- de la rendre plus interactive, plus participative étant donné qu'ils ont été amenés à collaborer avec un autre visiteur, à s'impliquer activement dans la recherche de deux œuvres qui les touchaient ou qu'ils souhaitaient mettre en lien, dans l'écriture du dialogue, puis dans son oralisation ;
- de partager avec d'autres visiteurs leurs appréciations sur certaines œuvres du musée ou sur ce dernier plus globalement ;
- donc de vivre la visite d'un musée d'une manière originale, inédite.
Cette activité a été appréciée par la plupart des étudiants et par les professeures qui les accompagnaient. Elle a suscité des échanges riches et intéressants.
Elle pourrait être intégrée dans une séquence sur le genre du dialogue, sur ses caractéristiques et couplée à des activités sur les courants artistiques belges. Elle permet d'articuler l'enrichissement du bagage culturel et le développement des compétences d'écriture et de prise de parole. À ce propos, la structure dialoguée fait partie des structures dominantes des textes listées dans la version provisoire du Référentiel de français et langues anciennes1 (FRALA) pour le tronc commun.
Extrait du Référentiel de français et langues anciennes sur le genre.
Dans cet extrait, l'importance du travail sur les genres est mise en évidence. Dans ce cas-ci, le dialogue est un genre pratiqué par les élèves constamment à l'école et à l'extérieur de celle-ci. L'enseignant peut donc les amener à réfléchir à leurs pratiques de communication orale en les mettant à distance (par exemple en visionnant les dialogues qui auraient été enregistrés dans le musée) et d'améliorer progressivement la production de textes oraux dans ce cas-ci, en dégageant avec eux les caractéristiques du genre du dialogue. Celles-ci peuvent être notamment d'ordre communicationnel (prise en compte de l'intention de communication, adaptation au contexte et aux destinataires entre autres), textuel (intégration d'une structure dialoguée incluant une ouverture, le dialogue et la clôture), grammatical et lexical (choix de mots et de structures de phrases qui reflètent l'identité des personnes qui prennent la parole) ou relatives à l'oralité (emploi des ressources de la voix et communication non verbale par des gestes, des mimiques,...).
Dans la deuxième édition de leur ouvrage intitulé Didactique du français langue première2 parue en 2019, aux pages 298 à 302, Claude Simard, Jean-Louis Dufays, Joaquim Dolz et Claudine Garcia-Debanc évoquent des principes d'action pour enseigner l'oral. Les deux premiers sont les suivants : « distinguer les différentes situations d'oral » et « distinguer les situations où l'oral est mobilisé et celles où il est travaillé ». En ce qui concerne le premier, ils soulignent le fait que « les formes d'oral sont diverses, à la mesure de la diversité des situations de communication. Il faut principalement distinguer l'interaction orale, dans laquelle est utilisé un oral polygéré, chaque interlocuteur ajustant son discours en fonction de son interlocuteur et l'oral monogéré qui correspond à une prise de parole longue et suivie, telle que la réclament les examens ou les exposés. Cet oral, peu interactif, est un oral préparé, soutenu par une prise de notes efficace et constitue une situation intermédiaire entre l'oral et l'écrit.» Dans notre cas, le dialogue constitue un oral polygéré, mais il n'est pas spontané, il est préparé au préalable par un écrit qui est mis en voix.
Par ailleurs, les auteurs de cet ouvrage évoquent le constat suivant : « si l'oral est très souvent mobilisé à l'école » (par exemple dans le cas des nombreuses réponses orales des élèves aux questions du professeur), « il est plus rarement travaillé en tant que tel ». « Bien souvent, le système scolaire évalue des compétences qu'il n'a pas réellement travaillées dans la classe, de sorte que les résultats des élèves sont le plus souvent discriminants par rapport à leurs origines sociales. D'où l'importance de mettre en place des situations où l'oral ne soit pas seulement mobilisé, mais soit réellement travaillé. » Dans le cadre d'une séquence sur le dialogue, il s'agit d'articuler des prises de parole et l'analyse, la mise en évidence des caractéristiques de ce genre, d'amener les élèves à s'entrainer à les maitriser avant une production orale finale qui pourrait alors être évaluée de manière formative ou certificative.
CONCLUSION
L'activité d'écriture et de mise en voix d'un dialogue décrite dans cet article est donc l'occasion de mobiliser des savoirs et des savoir-faire, mais également de développer l'appétence pour plusieurs compétences du cours de français. En effet, elle est originale, interactive et en lien avec des œuvres d'artistes belges à découvrir ou à redécouvrir.
Je remercie Gabrielle Vessié, Sarah Delhaxhe et Sarah Wijnandts d'avoir accepté qu'un compte rendu de leur dispositif soit publié dans cette revue.
Sylvie Bougelet
1. Référentiel disponible sur le site de l'ARES : https://rfie.ares-ac.be/boite-...
2. Simard C., Dufays J.-L., Dolz J. et Garcia-Debanc C. (2019), Didactique du français langue première, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.