L'écriture d'un spirituème dans le cadre de la visite de lieux culturels

Cet article présente une activité interdisciplinaire qui porte sur les cours de français et de religion. Elle a été conçue et mise en oeuvre par des étudiants lors d'activités menées hors de l'école.


À l'occasion d'un voyage de deux jours à Ostende organisé par des enseignants et des étudiants du deuxième bloc, une activité d'écriture d'un spirituème a été vécue par ceux-ci en octobre dernier, durant une matinée. Élisa Arrigo, Emma Dresse et Geoffrey Saint-Remy ont élaboré ce dispositif qui a mis en lien la visite de lieux culturels invitant à la spiritualité (une église, une synagogue et un jardin japonais) et la rédaction d'un poème.


Description de l'activité d'écriture d'un poème à plusieurs mains lors de la visite de lieux culturels

Les trois étudiants ont commencé par expliquer les consignes générales de l'activité avant l'entrée dans l'église Saints-Pierre-et-Paul d'Ostende et ils ont fourni à chacun une fiche, support de l'écriture du poème à plusieurs mains. Les consignes d'écriture incluant des contraintes libératrices étaient les suivantes : 

Partons à la découverte de la spiritualité. Dans chacun des trois lieux que nous allons visiter, vous devrez composer entre deux et quatre vers exprimant vos impressions, vos ressentis ou l'ambiance du site. Il s'agira d'une production collective en trois temps : à chaque étape, vous poursuivrez le poème d'un autre participant. Vous disposerez de quinze minutes pour chaque moment de rédaction :

1. Dans les premiers vers, vous inclurez une figure de style (une comparaison, une métaphore, une hyperbole, une antithèse, un oxymore par exemple).
2. Lors de l'écriture des vers suivants, vous veillerez à assurer la cohérence du texte.
3. Au moment de rédiger les derniers vers, vous vous inspirerez d'une différence existant entre le jardin japonais et les deux autres lieux (par exemple, le rapport à la nature, l'invitation à la méditation). 


Église Saints-Pierre-et-Paul d'Ostende (oostende.org)


Synagogue d'Ostende (jguideeurope.org)



Jardin japonais d'Ostende (www.visitoostende.be)


Lors des trois visites culturelles, le dispositif a été semblable. Dans un premier temps, les participants ont été amenés à observer librement le lieu pour le découvrir et prendre le temps de s'imprégner de son ambiance, puis à se recentrer sur eux-mêmes et à observer les impressions ressenties. Dans un deuxième temps, quelques explications ont été données par les étudiants ou un guide sur le site dédié au culte ou à la méditation afin d'enrichir la culture générale des visiteurs et de leur permettre de se servir éventuellement de ces informations pour écrire les vers du poème. Dans un troisième temps, chacun a pu observer, à nouveau, individuellement le lieu en vue de rédiger entre deux et quatre vers exprimant ses impressions, ses ressentis, l'ambiance perçue en respectant les consignes d'écriture.    

À la fin de la rédaction de chaque extrait du poème, les supports de l'écriture ont été repris par les animateurs et redistribués à un autre participant durant le trajet menant au lieu suivant. En effet, il s'agissait d'une production collective à trois mains, ce qui impliquait de veiller à la cohérence entre les vers déjà écrits et ceux à composer. 

Le dispositif s'est terminé par une socialisation aux alentours du jardin japonais : chaque participant a lu le poème rédigé à trois. Celle-ci a permis de vivre un moment de partage des impressions et des ressentis de chacun lors de la visite des trois lieux, d'apprécier la qualité de certains vers qui ont, pourtant, été écrits assez spontanément et rapidement ou les allusions humoristiques de certains textes, notamment celles à notre guide dans la synagogue.  



En effet, nous avons eu l'opportunité de rencontrer Alexander, un juif passionné qui a accepté de nous accueillir dans la synagogue d'Ostende et qui nous a fourni de nombreuses explications tout à fait intéressantes sur sa religion, le déroulement des cérémonies religieuses, les principes et les valeurs qu'il estimait importants dans le judaïsme, les ressemblances et les divergences entre celui-ci et le christianisme notamment. Il a su captiver son public et il a accepté de répondre à nos questions. Les étudiants ont pris conscience de la richesse de la rencontre d'un témoin vivant d'une religion qui est généralement mal connue. Après la rencontre, ils ont pu discuter du discours qu'il a tenu sur sa religion, avec un certain esprit critique. 


La visite d'une église et d'un jardin japonais peuvent également permettre de développer la culture des élèves, leurs connaissances sur différentes religions, de susciter leur intérêt pour ceux qui les pratiquent, de mieux les connaitre et comprendre. En effet, deux des finalités du cours de français, selon la version provisoire du Référentiel de français et langues anciennes1 (FRALA) pour le tronc commun sont les suivantes : 

- fournir des clés de compréhension du monde,
- assurer le développement d'attitudes propices à l'engagement citoyen. Ces attitudes, nourries de valeurs démocratiques, permettent à tous, au niveau qui est le leur, de saisir avec finesse les messages qui leur sont adressés, de développer leur esprit critique et d'agir pour se réaliser dans leurs projets en tant que citoyens actifs, critiques, créatifs et solidaires, dans le respect de la diversité.

Dans le cadre de la visite d'une église, d'une synagogue et d'un jardin japonais, il s'agit notamment pour les participants de s'ouvrir à la diversité des cultures et des convictions religieuses, démarche qu'ils n'ont pas nécessairement l'occasion de mener en dehors des activités scolaires.    

Vous trouverez ci-dessous quelques exemples des poèmes rédigés à plusieurs mains lors de la visite de ces lieux que les étudiants pourront faire découvrir à leurs élèves, plus tard lors de leurs pratiques professionnelles. 

Premier exemple d'une production : 

Tous petits au milieu
De cet édifice majestueux
Nous étions observés
Par les grands vitraux colorés

Passons à la synagogue
Avec Alexander il y a un dialogue
Sur la Torah de nombreux débats
Je crois qu’ils ont converti Sarah

Pas à pas dans le jardin japonais
Nous découvrons mares et galets
Peu importe le but
Seul compte le chemin parcouru. 

Deuxième exemple :

Êtres minuscules écrasés
Sous des voutes élevées
Conscience embrouillée
Parmi ces chevaliers armés

L’autre rencontré
Que de savoirs partagés
La journée illuminée
Par un Alexander inspiré

Sur le sol, les feuilles des arbres tombées
Témoignent d’une certaine beauté
Le bruit des oiseaux enchantés
Me rappelle la vie que j’ai tant rêvée. 

Troisième exemple :

Sint et Saint que le jour nouveau illumine
Voir ici ces rois de pacotille me mine
Et m’envahit alors un silence assourdissant
Qui fut donc parmi les puissants ?

Les mots me manquent comme les voyelles de la Torah
Être rentrée dans ce lieu sacré, je ne le regretterai pas.

La nature comme refuge
Pour échapper à la réalité
J’aime pouvoir m’y évader
Et m’attarder sur ce qui m’entoure.


Prolongement

Cette activité d'écriture de poèmes pourrait être le point de départ d'une séquence portant sur la poésie à mener avec des élèves dont les connaissances sur ce genre pourraient être approfondies. Il pourrait s'agir du premier jet d'un texte à retravailler, à améliorer après des activités de structuration sur les textes poétiques et sur les figures de style notamment. La version provisoire du Référentiel de français et langues anciennes (FRALA)2 met en évidence l'importance du travail sur les genres. 

En classe, c'est sur les genres de textes, observés dans la réalité de leurs usages, que se fonde l'enseignement des savoirs et des savoir-faire. En effet, pour les élèves, l'entrée par les genres permet de partir de leurs expériences langagières à l'école et en dehors. Avec l'aide de l'enseignant, ils apprennent à réfléchir à leurs pratiques d'écriture, de lecture et de communication orale  en les mettant à distance ; ils adaptent leurs stratégies et améliorent progressivement la compréhension-interprétation et la production de textes : ils développent ainsi leur littératie. Par la lecture ou l'écoute de plusieurs textes, l'enseignant amène les élèves à dégager les principales caractéristiques d'un genre.

Le poème peut être abordé de la première année de l'enseignement fondamental à la troisième année dans les écoles secondaires selon ce référentiel qui recommande une approche spiralaire d'un certain nombre de genres3

Certains de ces genres présentent un certain degré de complexité ou requièrent des habiletés complexes. Ils nécessitent dès lors une approche spiralaire, raison pour laquelle ils sont travaillés pendant plusieurs années avec un degré croissant d'approfondissement.

Cette activité de rédaction à plusieurs mains d'un poème pourrait être menée soit au premier degré commun, dans le cadre de la fiche 5 du programme4Écrire des textes littéraires (textes narratifs fictionnels ou textes poétiques) pour se dire, imaginer, créer, soit au deuxième degré, dans le cadre de l'UAA5 du programme, S’inscrire dans une œuvre culturelle source en l’amplifiant, la recomposant ou la transposant. Il pourrait s'agir, dans ce dernier cas, d'amplifier une œuvre source, de « poursuivre une œuvre narrative ou poétique »5: en effet, un début de poème pourrait être fourni aux participants au début de l'activité, comme contrainte libératrice. Ils seraient amenés à écrire les vers suivants, puis à les socialiser et à confronter leur production au poème de l'écrivain. La version provisoire du Référentiel de français et langues anciennes3 évoque cette possibilité. 

Les activités d'écriture ne doivent pas nécessairement porter sur l'intégralité d'un texte : l'élève peut être amené à rédiger la fin d'un conte ou à amplifier un épisode ... 



Ci-dessous, des poèmes évoquant des lieux de spiritualité dont le début pourrait être poursuivi. L'animateur choisira la longueur du texte à fournir aux scripteurs (un ou plusieurs vers, une ou plusieurs strophe(s)) et pourra donner la possibilité aux participants de modifier certains éléments du début du poème pour assurer la cohérence avec les vers suivants.  


La vie antérieure de Charles Baudelaire : la première strophe6

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux
Rendaient pareils le soir, aux grottes basaltiques.


Le couvent de Georges Rodenbach : les deux premières strophes 6.

En fines lettres d'or chaque nom des couvents
Sur les portes s'enroule, autour de banderoles,
Noms charmants chuchotés par la lèvre des vents ;
La maison de l'amour, la maison des Corolles,

Oh! le silence heureux de l'ouvroir aux grands murs,
Où l'on entend à peine un bruit de banc qui bouge,
Tandis qu'elles sont là, suivant de leurs yeux purs
Le sable en ruisseaux blonds sur le pavement rouge


Notre-Dame de Paris de Gérard de Nerval : les deux premiers vers des deux premières strophes7

Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ; [...]

Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,[...]


Soir de pluie sur Saint Marc de Christian Mégrelis en 2016 : les deux premières strophes7

La pluie vient de cesser à l’instant sur Venise
Et dans le ciel aveugle parmi les nuées noires
Un halo de lait pâle peu à peu se tamise
Dont la clarté blafarde se dilate sans gloire.

Doucement se dessine par dessus les églises
L’astre toujours fidèle au rendez-vous du soir.
Soudain, des dalles humides, des lumières exquises
Comme des feux follets grimpent aux étendards.




Pourquoi mener des activités d'écriture créative, inventive ?

Dans la deuxième édition de leur ouvrage intitulé Didactique du français langue première8 parue en 2019, Claude Simard, Jean-Louis Dufays, Joaquim Dolz et Claudine Garcia-Debanc apportent des réponses à cette question (aux pages 277 à 279). 


À côté d'activités plus structurées sur la production de textes fonctionnels, la didactique de l'écriture a développé depuis les années 1960 de nombreux projets d'écriture inventive ou créative. L'enseignement de l'écriture inventive a pris une importance considérable, en milieu scolaire en général et dans la classe de français en particulier, pour des élèves de tous les niveaux. [...]

Les grands objectifs explicites de ce type de projets ou d'ateliers sont les suivants :
- développer la motivation pour l'écriture,
- permettre de dépasser la peur ou l'angoisse de la feuille blanche en développant l'invention et l'imagination,
- ouvrir un espace privilégié permettant de libérer l'expression en français, en toute liberté, sans contraintes et en suivant le rythme des élèves,
- permettre de s'entrainer dans l'activité d'écrire,
- mettre en valeur la créativité,
- permettre de partager les textes écrits et de s'entraider par des retours et des commentaires sur les effets des productions. 


Ces objectifs manifestent l'intérêt de ces activités d'écriture de textes littéraires, notamment de poèmes, en classe.

Dans ce type d'activités, la distinction entre les bons et les mauvais élèves, la rentabilité immédiate des apprentissages, la maitrise des conventions discursives et la vérification des connaissances sont considérées comme secondaires. En revanche, la place attribuée aux manifestations des émotions, le plaisir d'écrire, de communiquer et d'oser entrer dans le processus créatif sont soulignés. La pratique de l'écriture et le fait d'écrire par plaisir en position d'auteur sont les deux priorités.

Dans le cadre de l'activité décrite ci-dessus qui consiste à écrire un poème lors de la visite de lieux culturels, il s'agit de donner l'occasion aux participants d'écrire à plusieurs mains (ce qui peut être un facteur qui libère davantage l'écriture et favorise la collaboration entre scripteurs) pour exprimer les émotions, les impressions éprouvées dans ces sites invitant à la spiritualité, pour rendre compte de leur découverte. En outre, ils ont eu l'occasion de partager leur production avec les autres membres du groupe.  

Les ateliers d'écriture inventive introduisent également toutes sortes de techniques rédactionnelles appliquées à différents genres littéraires (poésie, théâtre, scénarios cinématographiques, etc.).

Dans le dispositif présenté dans cet article, les rédacteurs ont mis en œuvre leurs connaissances des textes poétiques et ils ont eu l'occasion de développer leur appétence pour l'écriture.


Je remercie Élisa, Emma et Geoffrey d'avoir accepté qu'un compte rendu de l'activité qu'ils ont élaborée soit présenté dans cette revue.



Sylvie Bougelet 



1. Référentiel disponible sur le site de l'ARES : https://rfie.ares-ac.be/boite-... (page 18).

2. FRALA, page 29.

3. FRALA, page 31. 

4.  Programme de français du premier degré commun de la FESeC : D/2005/7362/3/13. 

5. Programme de français du deuxième degré de la FESeC : D/2018/7362/3/09, page 50. 

6. http://www.historel.net/poesie...

7. https://www.poetica.fr/categor...

8. Simard, C., Dufays, J.-L., Dolz, J.& Garcia-Debanc, C. (2019) Didactique du français langue première. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur. 

Auteur

Sylvie Bougelet

Maitre-assistante en français et didactique du français. Intérêt particulier pour la didactique de l'écriture et les activités sollicitant la créativité.

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