Quelles stratégies pour lire le texte informatif ?

L'article rend compte d'une réflexion menée avec les étudiants sur des activités à réaliser en classe pour permettre aux élèves de découvrir et de s'approprier des stratégies de lecture de textes informatifs.


Durant le deuxième quadrimestre de leur première année de formation, les étudiants du régendat en français sont invités à réfléchir aux démarches de lecture de textes littéraires et informatifs, afin d’être en mesure de les enseigner de manière explicite, à l’occasion de leurs stages et, par la suite, dans leur vie professionnelle.

L’enjeu est de taille quand on sait que 24 % des élèves de 15 ans de la Fédération Wallonie Bruxelles ne dépassaient pas, lors de la dernière enquête PISA1, le niveau 1 de compréhension (sur 6 niveaux définis dans l’étude), lequel spécifie que « l’élève est capable de comprendre le sens littéral de phrases simples, de textes courts ou d’extraits, et de localiser des informations explicites. À ce niveau, les textes sont courts, peu complexes, et ils fournissent souvent des aides à la compréhension telles que des illustrations. » Cette proportion est un peu plus élevée que la moyenne de l’OCDE. Par ailleurs, la proportion d’élèves jugés très performants (6,7%) n’atteint pas la moyenne de l’OCDE (8,6 %).

L’étude montre que les élèves de 15 ans peinent à lire des textes longs, en différenciant faits et opinions, en soulignant les informations pertinentes et en les mettant en lien pour construire une représentation globale des informations perçues.

Il nous a donc paru crucial de fournir aux étudiants des outils qui aideront leurs élèves à dépasser le stade de la compréhension parcellaire pour appréhender les textes dans leur globalité. Aussi leur avons-nous proposé de partir d’un texte informatif2 dense, mais court, pour mettre au jour des stratégies de lecture efficaces. 



Voici la consigne qui leur a été adressée : 

« Votre collègue, professeur de sciences, vous demande d’aider les élèves que vous avez en commun à comprendre en profondeur les textes du dossier consacré à l’intelligence animale. Vous décidez de consacrer une à deux heures de votre cours de français au texte portant sur les rats. Qu’allez-vous faire ? Comment allez-vous procéder pour vérifier que les élèves ont compris ce texte et apprendront à mieux lire des textes informatifs qui nécessitent une lecture intégrale du document ? Lisez l’article sur les rats et réfléchissez à ces questions pendant 5 minutes avant la mise en commun. » 

Nous avons choisi de travailler sur ce texte qui ne se prête pas aux stratégies d'écrémage (consistant notamment en un survol du document pour y repérer les informations recherchées à l'aide de mots-clés et en la lecture de ses seules parties intéressantes selon le projet de lecture). Celles-ci peuvent être employées pour lire certains textes informatifs tels qu'un horaire de bus par exemple. 

Au bout de 5 minutes de réflexion, nous avons mis en commun nos idées concernant les démarches et stratégies à développer, dont voici quelques exemples :

- Chercher à comprendre le vocabulaire spécifique : prolifération, mémoire épisodique, empathie, altruisme,...
- S’arrêter sur le titre : se créer un horizon d’attente, anticiper ce qu’il y a à lire, puis vérifier les hypothèses au cours de la lecture.
- Adapter l’article pour créer un texte d’un autre genre, d’un autre type.
- Travailler sur chaque paragraphe ; extraire de chacun d’eux l’idée principale.
- Lire le début pour plonger les élèves dans le texte. Définir le cadre, le sujet, puis laisser la lecture se poursuivre individuellement.
- Effectuer deux lectures du texte, la deuxième pour approfondir sa compréhension.      

Ces suggestions sont toutes pertinentes : elles constituent certaines des démarches de lecture que les lecteurs experts appliquent plus ou moins consciemment, allant parfois même jusqu’à déduire du contexte le sens de mots inconnus. On notera en outre que le fait de créer une adaptation de l’article suppose en amont une bonne compréhension de ce dernier et, dès lors, ne peut, à lui seul, constituer une démarche de lecture suffisante pour l’élève. On remarquera surtout, même si quelques étudiants ont évoqué la possibilité de mettre en évidence les idées essentielles du texte et de le résumer (ce qui a d'ailleurs été réalisé après la lecture de l'article), qu’aucune de ces quelques démarches n’envisage explicitement la construction du sens global du texte à lire, en établissant des liens entre les informations découvertes au fil de la lecture. 

Nous avions à cet égard prévu le complément d’informations suivant, dont on doit l’essentiel à Jocelyne Giasson, spécialiste de l’enseignement de la lecture. Réponses possibles à la consigne ci-dessus :

1. Élaboration ou rappel du projet de lecture du texte informatif sur les rats. Ici, il peut s’agir de se préparer à la visite d’une exposition consacrée aux capacités cognitives des animaux, de documenter une telle exposition que la classe préparerait elle-même ou encore d’étoffer ou d’illustrer par des exemples la partie du cours consacrée au comportement des animaux... Il s’agira donc de bien comprendre le texte afin de pouvoir l’exploiter en fonction du projet sélectionné.

2. Lecture du texte et socialisation des informations recueillies : « Qui pourrait le résumer en quelques phrases (pour vérifier la compréhension de son sens global) ? Le résumé semble-t-il valable à tous ?  Les informations recueillies sont-elles en lien avec le projet de lecture préalablement défini ? Sont-elles suffisamment détaillées ? Certaines ont-elles été omises, négligées ? »

3. Réflexion sur les stratégies de lecture mises en œuvre pour lire et comprendre le texte. Il s’agit de demander aux élèves comment ils ont procédé lors de la lecture et ce qui, dans le texte, a pu les aider à le comprendre. Certains auront peut-être cherché à résumer les informations lues, à mettre en évidence l’essentiel de celles-ci dans le texte et à dégager sa structure : ils auront remarqué qu’il comporte une introduction, puis deux parties, chacune centrée sur une des qualités des rats (leur intelligence, puis leur solidarité).  


Jocelyne Giasson, dans son ouvrage intitulé La compréhension en lecture3, écrit entre autres ceci : 

« (…) le lecteur habile aborde le texte avec une certaine connaissance de la façon dont les textes sont organisés ; il choisit parmi son répertoire de structures celle qui correspond le mieux à la structure du texte à lire. Certains aspects du texte, certains indices de signalement lui indiquent le type de structure utilisé par l’auteur. Même si l’habileté à se servir de la structure de texte se développe avec le temps, il arrive que des lecteurs n’utilisent pas cette structure parce qu’ils ne savent pas qu’il est utile de le faire ; d’où l’importance d’enseigner cette habileté. »

Jocelyne Giasson poursuit en détaillant ces structures des textes informatifs, qui, précise-t-elle, se combinent le plus souvent au sein d’un même texte (les exemples sont ceux de Jocelyne Giasson) :

Description.
« Exemple : un texte décrivant différentes caractéristiques du raton-laveur. »
Énumération (ou collection, liste, séquence).
« Exemple (énumération) : un texte présentant les composantes des différents groupes alimentaires. »
« Exemple (séquence) : un texte décrivant les étapes de la transformation du têtard en grenouille. »
Comparaison.
« Exemple : un texte qui compare le loup et le chien sous différents aspects. »
Cause-effet.
« Exemple : un texte décrivant l’effet de la pollution du fleuve Saint-Laurent sur la vie du béluga. »
Problème-solution (question-réponse).
« Exemple : un texte décrivant une ou des solution(s) possible(s) au phénomène des pluies acides. »

Jocelyne Giasson rappelle que l’identification de ces structures ne constitue pas une fin en soi, mais qu’elles doivent avant tout servir d’outils pour mieux comprendre un texte, en aidant notamment l’élève à agencer logiquement les informations comprises4 !  L’idéal, nous semble-t-il, est de faire découvrir progressivement ces différentes structures, à travers différents textes.

Des connecteurs peuvent aider les élèves à identifier les structures présentes dans un texte. Jocelyne Giasson parle d’« indices de signalement » et nous en livre la liste suivante : 

« Séquence : d’abord, ensuite, enfin ; premièrement, deuxièmement ; après ; par la suite ; finalement. Cause-effet : à cause de ; parce que ; puisque ; comme résultats. Description : plusieurs aspects ; différents éléments ; caractéristiques ; parties ; dimensions. Comparaison : comme ; de la même façon ; comparé ; les deux ; au lieu de. »


De nouveau, il nous semble que ces listes gagneraient à être élaborées progressivement par les élèves, au fil de leurs lectures : chaque expression relevée serait ainsi clairement exemplifiée, contextualisée par le texte dont elle est issue. Par exemple, le texte sur les rats présente un certain nombre de connecteurs qui pourraient être intégrés dans le répertoire élaboré progressivement.

L'auteure suggère ensuite de recourir à des graphiques pour matérialiser ces structures. Elle en donne de nombreux exemples dans son livre (pages 126 à 136). On pourrait d’ailleurs demander aux élèves de représenter graphiquement le texte consacré aux rats, en tâchant de mettre en évidence les structures relevées. Dans le cas de ce texte, trois structures peuvent aider les élèves à identifier l’agencement des informations fournies sur ces animaux : une description de deux de leurs qualités (leur intelligence et leur solidarité) dans les deux paragraphes suivant l’introduction ; cette description consiste essentiellement en une énumération d’exemples illustrant chacune de ces qualités. En outre, en ce qui concerne leur intelligence, les deux exemples montrent deux effets d’une même cause (cause-effet) : la bonne mémoire des rats. Cela pourrait donner ceci :



En conclusion ...

Nous vous renvoyons à la fiche 2 du Programme de français du 1er degré commun de la Fédération de l’enseignement secondaire catholique (2005), laquelle précise des pistes d’activités pour consolider les apprentissages (par exemple, l’identification et l’analyse de l’organisation et des connecteurs de textes informatifs ou la sélection des informations essentielles de tels documents) et des objets à produire en fin de séquence (par exemple, la formulation des informations trouvées lors de la lecture d’un texte informatif ou la réponse à des questions sur celles-ci).

Dans l'idéal, ces apprentissages de lecture s'inscriront dans des projets mobilisant plusieurs enseignants et disciplines. Ces projets, déjà évoqués plus haut, devraient motiver les élèves à lire efficacement des documents qu'ils auraient, avec l'aide d'un adulte, recherchés et rassemblés. Pourquoi ne pas mettre sur pied, au sein de l'école, une ou plusieurs journées thématiques auxquelles seraient conviés les proches et les parents des élèves ? On pourrait imaginer que les thèmes retenus soient déclinés en plusieurs sujets et que chacun de ces sujets soit pris en charge par une classe d'un degré. Chaque classe proposerait alors une exposition, des mini-conférences, des animations vidéos, une petite revue, etc., à travers lesquelles les élèves rendraient compte de leurs recherches et de leurs lectures. Gageons que de telles activités, concrètes, porteuses de sens, motivantes, ne seront pas sans effet sur la qualité des apprentissages que les protagonistes auront réalisés.



Sylvie Bougelet et Pierre-Yves Duchâteau


1.  Service d'analyse des Systèmes et des Pratiques d'enseignement - Université de Liège, PISA 2018 : Les jeunes de 15 ans et la lecture, paru dans Les cahiers des Sciences de l’Éducation (n°45 – avril 2021). 

2. Zivohlava A. Richard , La prodigieuse intelligence des animaux, paru dans Le Vif L'express (n°3449, 11-17 aout 2017, pp. 24-37).

3.  Giasson J., La compréhension en lecture, Bruxelles, éditions De Boeck Université, 2007.

4. Cette recherche de schémas types dans les textes informatifs que l’on découvre n’est pas éloignée de l’identification des structures narratives dans les textes littéraires. Dans un cas comme dans l’autre, le lecteur aguerri est sans doute celui qui dispose dans sa mémoire d’un répertoire élargi de schémas divers, desquels il peut se servir pour comprendre le sens global des textes qu’il lit.

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