Créer un escape game pédagogique

Quelques balises et ressources pour se lancer dans la création d'un escape game destiné aux élèves.

Les jeux d'évasion suscitent l'engouement d'un large public, à tel point qu'on voit fleurir depuis plusieurs années toutes sortes d'espaces destinés à ce type d'activité. Divertissement, amusement, challenge, mais également réflexion et coopération, sont au programme de ces escape games. Autant de caractéristiques qui ont permis le transfert de tels dispositifs vers la sphère éducative et pédagogique. Certains, comme Alvarez, Djaouti et Rampnoux, nomment ce phénomène la « ludification »1


Un escape game pédagogique : késako ?  

Au sens propre, l'escape game pédagogique est un « jeu d'évasion grandeur nature dans lequel une équipe de joueurs doit résoudre des énigmes afin de s'évader d'un lieu déterminé en un temps limité, le tout dans un contexte pédagogique »2 (centré sur la découverte, l'apprentissage, l'entrainement ou la révision). Il existe cependant de nombreuses variantes : au lieu de devoir s'échapper d'un lieu, les participants peuvent, par exemple, avoir à  ouvrir un coffre, à désamorcer une bombe ou à résoudre une enquête policière... Outre les thématiques abordées et les défis à relever, les formats et les supports sont nombreux. Ainsi, certains escape games intègrent le numérique le temps d'une activité ou de la mise en situation alors que d'autres sont totalement virtuels.  

                                                                                                       Extrait d'un sketchnote réalisé par Amélie Kowalski

Les caractéristiques de l'escape game pédagogique 

Le collectif S'CAPE résume ce dispositif en cinq mots, « les cinq E »3

  • Évasion : en plus de l'éventuel objectif d'évasion, les participants sont invités à quitter le monde réel pour entrer dans un autre univers qui, comme dans tout jeu, vise à leur procurer du plaisir. S'ils ne s'évadent pas toujours physiquement, ils s'évadent au moins mentalement. 
  • Express : le jeu se réalise contre la montre, dans un laps de temps déterminé. Le décompte est accessible aux joueurs ou régulièrement annoncé par un animateur. 
  • Énigmes : pour relever le défi et atteindre l'objectif final, les joueurs doivent résoudre des énigmes variées. Celles-ci leur permettront notamment de collecter des indices ou des mots de passe intermédiaires. 
  • Équipe : les participants, regroupés en équipe, sont amenés à cumuler leurs forces, ils peuvent se répartir les tâches ou réaliser toutes les énigmes ensemble. Dans de nombreux cas, ils devront négocier et se mettre d'accord. 
  • Éduquer : tout escape game pédagogique poursuit, en toute logique, des objectifs pédagogiques. Il peut aussi poursuivre des objectifs didactiques, selon les contenus abordés au fil du jeu et les apprentissages visés.


Quelles implications didactiques et pédagogiques ?

Des compétences sociales et transversales 

Puisqu'il est mené en équipe, l'escape game permet le développement de compétences sociales, telles que la coopération et l'esprit d'équipe. Ces compétences, essentielles dans le cadre scolaire, le sont également à l'extérieur de celui-ci. Pour se comprendre et progresser ensemble, les joueurs doivent également développer et exploiter leurs compétences communicationnelles et organisationnelles. 

Le jeu devrait par ailleurs avoir un impact positif sur la motivation des participants : ils s'impliquent dans les activités, persévèrent, atteignent des caps intermédiaires à mesure qu'ils résolvent les énigmes, se réjouissent de leurs réussites et mesurent peu à peu leur progression. 

Des compétences disciplinaires 

Selon les énigmes proposées, les participants sont également amenés à développer l'observation et la logique ainsi que des compétences disciplinaires relevant d'un ou plusieurs domaine(s). Dans bien des cas, ils mobilisent aussi des contenus et des savoirs disciplinaires. Par exemple, dans le cadre d'un escape game proposé à des élèves de l'enseignement primaire, une épreuve pourrait faire appel à des compétences de calcul, conduisant les élèves à utiliser une procédure mathématique apprise précédemment, tandis qu'une autre épreuve les amènerait à associer des termes de manière à former des groupes de mots dans lesquels les règles d'accord seraient respectées.

Des objectifs variés : découvrir, apprendre, réinvestir...

Les dispositifs du type escape game, qui permettent donc aux élèves d'utiliser, d'exploiter et/ou de développer simultanément des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être spécifiques ou non à une ou plusieurs discipline(s), peuvent être mis en place à différents moments d'une séquence ou d'un parcours. Ainsi, l'escape game peut faire office de mise en route (découverte de la thématique, du genre qui sera abordé, etc.). Dans ce cas, les éléments et les supports découverts durant le jeu (des textes représentatifs du genre textuel qui sera travaillé ou des éléments propres au contexte socioculturel d'une œuvre, par exemple) seront réexploités par la suite, au sein de la séquence. L'escape game peut aussi être le lieu d'apprentissages, notamment au moyen d'activités de manipulation ou de comparaison menant à une synthèse des observations. Ce type de dispositif est également intéressant dans un contexte de révision : il peut ainsi conduire les élèves à remobiliser de manière dynamique toute une série de savoirs et de compétences acquises au fil d'une ou plusieurs séquence(s). 

Une place pour les essais-erreurs et les compétences de chacun  

Dans un escape game de qualité, les consignes sont limitées. C'est aux participants de les déduire et de les comprendre au moyen du matériel mis à leur disposition. La recherche d'indices et d'objets (qui peuvent être cachés dans la pièce, disposés au sein du décor, déposés sur une table, etc.), l'association de ceux-ci et la compréhension du matériel et des codes (chiffres, pictogrammes, hiéroglyphes, etc.) font partie intégrante du dispositif. Ainsi, inévitablement, les participants doivent procéder par essais-erreurs. L'erreur retrouve donc un statut pédagogique au sein du jeu d'évasion : on peut, voire on doit, se tromper pour progresser vers la résolution du défi. 

Par ailleurs, au sein de l'équipe, chacun dispose de qualités et de compétences personnelles, que le jeu mettra en lumière grâce à la variété des énigmes proposées. Chacun peut donc apporter quelque chose à l'équipe. Le dispositif fait ainsi une place à la différenciation. Celle-ci peut bien entendu être davantage prévue par l'enseignant qui pourra prévoir des aides et des relances à utiliser si cela est nécessaire, mais aussi, proposer des énigmes différentes, en adaptant le niveau de difficulté aux équipes d'élèves.

Comment construire un escape game pédagogique ? 

Il n'est pas possible de détailler toutes les étapes de création d'un escape game pédagogique et de donner toutes les astuces dans un seul article. Pour se familiariser avec ce type de dispositif, il convient d'être curieux, de faire ses propres recherches, de participer soi-même à des jeux d'évasion et de se lancer petit à petit, sans vouloir voir trop grand, dans les pratiques de conception. 

Les incontournables d'un escape game réussi 

Les ingrédients d'un escape game motivant et efficace pourraient se résumer à : 

  • un scénario original, motivant et cohérent (Dans quel univers se trouvent les participants ? Qui sont-ils ? Quelle est leur mission ?) porté par un décor plus ou moins élaboré selon les moyens dont dispose l'enseignant (agencement de la pièce, présence d'objets particuliers, etc.) et introduit dès le départ par une vidéo de présentation, par exemple, de manière à motiver les élèves ; 
  • un défi clairement défini (À quoi les participants doivent-ils aboutir ? En combien de temps ?) ;   
  • des énigmes variées tant du point de vue des actions à accomplir (décoder, faire des liens, manipuler, comparer, calculer, etc.) que du niveau de difficulté. En effet, pour entretenir la motivation des élèves tout au long du jeu, il est utile de leur proposer, parmi les énigmes, quelques épreuves facilement réalisables. Patrice Nadam, membre du collectif S'CAPE, a dressé une typologie des énigmes le plus souvent utilisées : 
           NADAM Patrice, « Vers une typologie des énigmes », sur https://scape.enepe.fr/typologie-enigmes.html, publié le 17 juin 2019.

Les énigmes resteront énigmatiques, c'est-à -dire que, comme dit plus haut, les participants doivent déduire et comprendre eux-mêmes ce qui est attendu d'eux, en tâtonnant. Moins la réalisation des énigmes sera linéaire (selon un ordre chronologique bien défini), plus le jeu sera captivant. Les énigmes peuvent par ailleurs être imbriquées ;

  • du matériel attractif, en accord avec le scénario, des supports et des outils variés (utilisation des tablettes de l'école, objets à manipuler, cartes, enveloppes, boites, etc.) ;


  • un juste milieu en ce qui concerne la difficulté des énigmes, leur imbrication, la longueur du jeu, les relances et aides, etc. Tout cela dépendra des objectifs poursuivis mais aussi du rapport des élèves avec ce type de jeu : Ont-il déjà réalisé des escape games ? Sont-ils à l'aise avec l'absence de consignes ? Osent-ils faire des essais ? Durant le jeu, l'enseignant peut s'effacer et s'assurer simplement que tout se déroule bien, mais il peut aussi endosser le rôle d'un personnage chargé de guider les participants ; 
  • une issue soignée et captivante qui tient les élèves en haleine jusqu'au bout et les rend satisfaits du travail accompli ;
  • un débriefing du jeu lors duquel sont verbalisées les notions et compétences découvertes ou mobilisées. Quelle que soit l'issue, que les élèves remplissent leur mission dans le temps imparti ou non, pour dépasser le simple jeu, il est nécessaire de revenir sur les activités réalisées et la manière dont l'équipe a travaillé. 

Réserver un temps collectif de retour sur l'expérience vécue est nécessaire, et c'est un moment qui ne s'improvise pas. Il correspond à une remobilisation collective et une distanciation critique par rapport au jeu. Il permet de dégager les tensions, de collecter les informations, de corréler diverses perceptions, d'identifier des pistes d'amélioration, de vérifier les connaissances acquises par les joueurs, et se veut aussi un bilan pour l'enseignant en vue d'améliorer son défi-évasion pour une prochaine session. Mais surtout il donne du sens4

Ce débriefing peut s'organiser en trois temps : 

  1. Un temps de recueil des émotions lors duquel chacun est invité à exprimer librement son ressenti. L'enseignant peut si nécessaire guider l'échange par des questions : Comment t'es-tu senti durant le jeu ?, Es-tu satisfait du travail réalisé par ton équipe ?, Comment t'es-tu senti au sein de l'équipe ?, etc.
  2. Une phase consacrée aux enseignements au cours de laquelle le jeu est passé en revue et analysé. Il s'agit de revenir sur différentes parties du dispositif, selon l'ordre dans lequel elles se sont déroulées. Lors de cette étape, les élèves sont invités à répondre à des questions telles que Comment avez-vous démarré le jeu ?, Comment vous êtes-vous organisés pour travailler en équipe ?, Qui a pris quoi en charge ?, Quelles ont été vos facilités ?, Comment les expliquez-vous ?, Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?, Comment les avez-vous surmontées ?, Comment avez-vous communiqué entre vous ?, etc. C'est aussi lors de cette étape que les élèves verbaliseront les apprentissages disciplinaires réalisés, les contenus découverts, les compétences mobilisées, etc.
  3. Une phase d'ancrage : il s'agit de résumer les étapes précédentes afin que les participants puissent retenir et synthétiser les éléments essentiels (Quels sont les apprentissages à retenir ?). Cette étape s'apparente à une phase de structuration/d'institutionnalisation. Elle peut donc aboutir à la création d'une synthèse individuelle ou collective (panneau, carte mentale, tableau, etc.) qui permettra, selon les objectifs poursuivis par l'escape game (faire découvrir, mettre en place des apprentissages, faire remobiliser des savoirs et savoir-faire), d'approfondir les notions travaillées ou de transférer les compétences dans un autre contexte. 

Quelques conseils du collectif S'CAPE

Vingt conseils pratiques présentés de manière visuelle pour se lancer : 

                                                                                                            https://scape.enepe.fr/EGpeda-...



Quels outils à destination des enseignants ? 

On trouve de nombreux outils destinés aux enseignants qui souhaitent se lancer dans la création de leurs propres jeux d'évasion. Le collectif S'CAPE, regroupant des professeurs passionnés qui se sont spécialisés dans la conception d'escape games, met à leur disposition de nombreuses ressources utiles via son site internet5 : articles visant à définir le concept, recommandations variées, exemples d'activités, renvoi à des outils et à des accessoires, astuces pour créer son propre matériel, partage d'expériences, etc. En 2019, ce même collectif a publié un ouvrage intitulé S'capade pédagogique avec les jeux d'évasion6

                                    Extrait du site internet du collectif S'CAPE

Il existe également des communautés organisées autour des escape games pédagogiques. De nombreux groupes de partage sont ainsi accessibles sur les réseaux sociaux, moyennant une simple demande d'adhésion. Plusieurs enseignants proposent également, sur des blogs personnels7, des récits d'expérience et du matériel reproductible. 


Enfin, il est possible d'accéder à une série de logiciels ou de sites internet qui offrent des canevas, des mises en forme particulières pour les documents, ainsi qu'à des plateformes permettant la création d'activités en ligne8


En conclusion 

La nouvelle pratique pédagogique qu'est l'escape game est séduisante à bien des égards, tant pour l'enseignant que pour les apprenants. Bien conçu, ce type de jeu permet d'associer amusement, tâches et apprentissages. En effet, le plaisir de jouer s'avère être, pour beaucoup d'élèves, un sérieux moteur d'apprentissage. Selon les objectifs visés et les énigmes imaginées par l'enseignant, les participants peuvent être amenés à  amorcer, exploiter ou réinvestir des compétences disciplinaires, pédagogiques et sociales. L'escape game offre une place de choix aux essais-erreurs et favorise la coopération et l'intelligence collective. En outre, l'enseignant peut également exploiter ce dispositif dans une optique de différenciation. Le tout est de ne pas perdre de vue les objectifs visés et de ne pas laisser le côté ludique prendre le pas sur ceux-ci.




Anne-Catherine Werner


1.La ludification consiste à « associer du jeu ou des mécaniques du jeu à des contextes ou objets qui en sont dépourvus à l'origine ». ALVAREZ Julian, DJAOUTI Damien et RAMPNOUX Olivier (2016), Apprendre avec les serious games ?, Paris, Éditions Canopée.

2.https://scape.enepe.fr/EGpeda-...

3.FENAERT Mélanie, NADAM Patrice et PETIT Anne (2019), S'capade pédagogique avec les jeux d'évasion : Apprendre grâce aux escape games, Paris, Ellipses, pp. 23-25. 

4.Ibidem, p. 61.

5.https://scape.enepe.fr/EGpeda-... 

6.Cet ouvrage, qui peut être lu et consulté de manière tout à fait classique, peut aussi être découvert sous la forme d'un escape game : les auteurs ont prévu du matériel imprimable à insérer entre certaines pages du livre avant de prendre connaissance de la consigne qui lancera le jeu de découverte. 

7.Par exemple, https://www.tablettesetpirouet...

8.Quelques exemples : tout comme celui du collectif S'CAPE, le site cquesne-escapegame (https://www.cquesne-escapegame...) regorge d'outils intéressants pour la création d'escape games réels et virtuels (polices de caractères particulières, cadenas numériques, comptes à rebours, tutoriels). Le site Unitag permet la création et la personnalisation de QR codes (https://www.unitag.io/fr/qrcod...) ; Parchance propose, quant à lui, un canevas de parchemin à compléter (http://www.parchance.fr). 

Auteur

Anne-Catherine Werner

Maitre-assistante en français, didactique du français, assistante de formation en didactique du français langue première (ULiège). Intérêt particulier pour la lecture, l'écriture, la langue française, le cinéma, le théâtre, la photographie et les arts plastiques.

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