Écrire pour s'exprimer et partager son vécu

Écrire à la manière de l'auteure d'un poème : présentation du dispositif et son analyse


Le dispositif d'écriture décrit dans cet article pourrait être envisagé lors des cours en présence ou à distance. 

Les ingrédients sont les suivants :
- un texte d'un auteur à analyser avant l'écriture,
- le souhait des apprenants de s'exprimer lors d'une période particulière, où ils ont moins d'occasions de partager leur vécu. 

Les étapes suivantes peuvent ponctuer le dispositif. Elles sont inspirées des quatre phases d’un atelier d’écriture suggérées par Odile Pimet et Claire Boniface1


PHASE DE MOTIVATION

Celle-ci inclut généralement la présentation générale de l'activité, de son objectif, de son contexte (dans ce cas-ci, il s’agit d’une activité qui pourrait être intégrée dans une séquence et les modalités pratiques de celle-ci sont annoncées), l'analyse d’un texte du genre à écrire, une explication des consignes, des contraintes libératrices et des étapes du dispositif. Elle peut également comprendre l'éventuelle élaboration d’un recueil de mots où puiser pour formuler ses idées par écrit.

L’objectif de cette activité est de permettre à chacun d’expérimenter une activité d’écriture pouvant être ludique (selon les caractéristiques des propositions ludiques dans le classement d’Odile Pimet et de Claire Boniface1 : un déblocage possible de l’écriture grâce à des contraintes libératrices puisqu’il s’agira d’écrire un texte court à partir de celui d’une écrivaine, avec des contraintes formelles) et visant l'expression personnelle. 

Elle est inspirée d’une activité proposée dans le Guide pratique du programme de français du premier degré commun2, dans une séquence en lien avec la fiche « Écrire des textes littéraires ». Lors de son activité fonctionnelle de réinvestissement, il est demandé aux élèves de réécrire un poème à la manière de l’auteure du texte « J’écris avec l’encre », guide facilitant l’écriture. Ils sont tout d'abord invités à le lire et à identifier ses caractéristiques de contenu et de forme.


                                                                                            Poème de G. Beaumont3  


Sa biographie4

Femme de caractère, Germaine Beaumont dessine très vite son propre chemin, en quittant mari et enfants pour s'exiler en Angleterre où elle se nourrit de littérature pendant dix ans. De retour en France et débutant sa carrière en tant que journaliste au 'Matin' et aux 'Nouvelles littéraires', Germaine Beaumont se fait connaître comme romancière à partir de 1930, avec son premier roman 'Piège', aurore d'une carrière d’écrivain qui atteindra son sommet dans les années quarante. Sa vie et son parcours littéraire sont marqués par certaines femmes célèbres : Annie de Pène - sa mère, Colette - sa "mère spirituelle", et Virginia Woolf, dont elle traduit le célèbre 'Journal d’un écrivain'. Dans les années cinquante, elle s'ouvre à la radio où elle anime une émission aux côtés de Pierre Billard, 'Les Maîtres du mystère', et elle dirige une collection de romans policiers féminins chez Plon. En 1981, doyenne des écrivains français, elle raconte son enfance dans un livre ultime : 'Une odeur de trèfle blanc' (Gallimard). Témoin d’un siècle, Germaine Beaumont porte un regard à la fois curieux et sans compromis sur l’histoire de son temps et sur la nouvelle génération d’écrivains. Cette femme de lettres a su trouver sa place entre les romancières du début du XXe siècle et les intellectuelles féministes des années soixante-dix.


Dans ce poème, il est question de couleurs associées à des sentiments, des états d’âme, des images, des souvenirs ou des moments particuliers. De plus, les strophes présentent des récurrences syntaxiques :

Vers 1 : « J’écris avec l’encre + une couleur + un CDV (complément direct du verbe) »
Vers suivant(s) : « Et + un/d’autre(s) CDV »      OU        « J’écris  + un/d’autre(s) CDV »

Consignes de l’activité d’écriture

En dix à quinze minutes, il s’agit d’écrire, individuellement ou à deux (l’écriture à plusieurs peut être plus rassurante et plus enrichissante), une strophe de deux à trois vers (au minimum, mais sans doute davantage) pour poursuivre le poème « J’écris avec l’encre » en respectant ses structures syntaxiques (mentionnées ci-dessus) à propos d’une autre couleur que celles du poème et, idéalement, avec des rimes. Cette strophe sera ensuite socialisée.

PHASE DE PRODUCTION 

Les différentes étapes de l’activité correspondent à cette phase. Cette dernière intègre les processus ou opérations de planification, d'écriture, de relecture, de réécriture et d'acte graphique.2 

PLANIFIER

Au préalable, lire et analyser le poème choisi.

1) sélectionner une couleur de votre choix (ou se mettre d’accord sur celle-ci), mais différente de celles citées dans le poème, sauf si la couleur est précisée : par exemple, bleu turquoise, vert olive, etc.

2) écriture effervescente (outil pour écrire présenté et exploité par Odette et Michel Neumayer5) : élaborer (individuellement ou par deux) deux listes de mots (la première incluant des mots terminés par le(s) même(s) son(s) que celui/ceux à la fin du nom de la couleur choisie, ce qui pourrait faciliter l’écriture de vers avec des rimes et la deuxième regroupant des termes ou des expressions à associer à cette couleur en pensant aux images, souvenirs, sentiments, états d’âme liés à celle-ci).

Lorsque les apprenants vivent ou ont vécu des moments inédits, l'animateur de l'activité peut inviter chacun à choisir une couleur qu’il associe à la période en cours ou passée, à s’exprimer sur ce sujet, sur la manière dont chacun la vit notamment.

ÉCRIRE 

3) écrire une strophe (individuellement ou à deux) en puisant dans les deux listes de mots (pour nourrir l’écriture), en respectant les structures syntaxiques du poème « J’écris avec l’encre » et en terminant les vers par des rimes si possible.  

RELIRE, RÉÉCRIRE ET ACTE GRAPHIQUE

4) relire et améliorer la strophe écrite (en se servant des quatre démarches de réécriture2 : ajouter, supprimer, remplacer ou déplacer des éléments du texte qui peuvent être des lettres, des mots, des syntagmes, voire des phrases) avant la socialisation (sa publication sur Teams). Il s'agit de vérifier en particulier la forme (le respect de la structure syntaxique des vers du poème, le choix de mots précis et variés, la présence de rimes si le scripteur a choisi d'en intégrer dans sa production).

5) dactylographier la strophe à publier.




PHASE DE COMMUNICATION (ou socialisation) et DE RÉACTIONS (aux productions, voire à l'activité d'écriture)

6) Chacun est invité à publier (de manière anonyme ou non) sa strophe dans un fichier prévu à cet effet sur Teams (il suffit de créer une équipe dans cette application de communication collaborative et un fichier incluant un tableau en deux colonnes pour que chacun y note son texte et/ou ses commentaires sur les productions socialisées).  

7) Chacun est également invité à lire les strophes publiées et à formuler des feedbacks (principalement positifs) sur celles qui lui ont plu, qui l'ont surpris ou fait sourire ou encore dont le contenu était proche du sien par exemple. Les commentaires peuvent porter sur leur contenu et/ou leur forme (en se souvenant des contraintes libératrices). Le but de la socialisation et des feedbacks est, en priorité, de valoriser les productions lues, évaluer consistant à manifester la valeur de ce qui est jugé.




ANALYSE DE L'ACTIVITÉ D'ÉCRITURE

Celle-ci peut être suivie d'une analyse menée avec les apprenants. Elle permet de développer la métacognition, de mettre en évidence ce qui a pu faciliter ou non l’écriture, ce qui a été apprécié ou non et ce qui constitue des démarches pour écrire. En effet, le dispositif décrit les amène à mettre en œuvre les processus de l’écriture qu’ils pourront réexploiter (après en avoir pris conscience si nécessaire lors de l'analyse de celui-ci) pour écrire de manière plus autonome : la planification, la rédaction, la relecture, la réécriture et l’acte graphique.

6


En outre, elle est susceptible de faciliter l’écriture des participants et éventuellement de développer leur appétence pour celle-ci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les outils déclencheurs, les contraintes libératrices peuvent les aider à écrire. Dans ce cas-ci, il s’agit d’un texte fourni comme guide, de la structure syntaxique des vers à imiter, de l’écriture effervescente (l’élaboration de deux listes de mots où puiser lors de la rédaction de la production) et de la collaboration possible (l’écriture à plusieurs mains). Ensuite, les participants peuvent exprimer et partager ce qu’ils associent à une couleur de leur choix (peut-être leur état d’esprit du moment, des souvenirs, un message à transmettre aux lecteurs,...: le contenu est assez libre).

Enfin, elle peut être une activité d’écriture intermédiaire avant le réinvestissement de la séquence. Celui suggéré dans le Guide pratique du programme du premier degré commun est le suivant2


D’autres outils déclencheurs auraient pu être employés lors de cette activité. Par exemple, les participants auraient pu choisir une couleur et apporter des objets (qu'ils pourront manipuler) ou des images (à observer attentivement) qu’ils associent à celle-ci pour déclencher l’écriture de certains élèves dont l'intelligence serait plus kinesthésique ou visuelle. 

Par ailleurs, ce dispositif est susceptible de développer certaines de leurs compétences de scripteurs. En effet, lors de celui-ci, ils apprennent à écrire un poème en respectant certaines caractéristiques du genre (ils sont amenés à écrire des vers terminés idéalement par des rimes et regroupés en strophes) et en accordant correctement les mots (notamment des adjectifs composés) désignant des couleurs. 




PRODUCTIONS DE DEUX ÉTUDIANTES 

Productions (strophes à la manière de l’auteure du poème « J’écris avec l’encre ») 

Feedbacks sur les productions 

J’écris avec l’encre rose cette longue pause, 
Et cet éloignement que l’on nous impose,  
Et cette Terre qui se recompose, 
Et cette nouvelle vie que l’on nous propose. J’écris avec l’encre gris acier cette opportunité, 
J’écris un possible futur, et sa destinée. 

                                                                                Clara

Découverte d’un talent pour écrire des vers avec des rimes et nous proposer une réflexion intéressante sur la situation actuelle et future. Merci à Clara ! 

 

 

J’écris avec l’encre bleue, ma tristesse de ne plus vous voir, Et les larmes me montent aux yeux, mais au fond je garde espoir,  
J’écris le manque de l’autre et la peine qui est la nôtre, 
Et bientôt votre retour 

                                                            Mélanie

Merci à Mélanie pour ces vers qui ont permis un partage de ses émotions en cette période de contacts à distance !
Gardez espoir comme elle.

Merci à Clara et à Mélanie d'avoir accepté de partager leurs productions !  



Sylvie Bougelet 



1 Boniface C. et Pimet O., Ateliers d’écriture : mode d’emploi. Guide pratique de l’animateur, Paris, ESF, 2016 (7e édition).

Guide pratique du programme de français du premier degré (1re A et 2e commune). Boite à outils n°6, Bruxelles, FESeC, 2005.

3 Beaumont G. , Les nouvelles littéraires, 1954 (texte reproduit dans le Guide pratique du programme de français du premier degré commun). 

4 http://evene.lefigaro.fr/celebre/biographie/germaine-beaumont-4515.php.

5 Neumayer M. et O., Animer un atelier d’écriture. Faire de l’écriture un bien partagé, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2003.

Programme de français des 2e et 3e degrés : professionnel et technique de qualification, Bruxelles, FESeC, 2014.


Auteur

Sylvie Bougelet

Maitre-assistante en français et didactique du français. Intérêt particulier pour la didactique de l'écriture et les activités sollicitant la créativité.

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