Archétype et détournements

Présentation d'un dispositif autour du personnage du loup intégrant l'utilisation de marionnettes.


Dans le cadre de leur dernière année de formation, les étudiants, futurs A.E.S.I., participent à  un module leur permettant de se faire une idée de ce qu'est l'enseignement primaire et de s'interroger sur la « liaison primaire-secondaire » (transition capitale dans le cursus de tout élève). Que font les élèves à la fin de leurs années primaires ? En quoi cet enseignement est-il proche ou différent de l'enseignement tel qu'il est organisé au premier degré du secondaire ?  Au programme de ce module : rencontre avec un(e) enseignant(e) de 6e primaire, découverte du prescrit légal et d'activités adaptées aux élèves du cycle 4, stage de deux jours dans une classe de 5e ou 6e année primaire, etc. 

Les activités préparatoires au stage sont l'occasion de revenir sur des essentiels de la discipline « français », parfois oubliés ou relégués au second plan : plaisir (lecture et écoute plaisir), médiations de la lecture, socialisation de l'écriture et créativité1. Ces essentiels sont au cœur du dispositif décrit ci-dessous. 


Présentation du dispositif

Expérimenté par les étudiants dans une version accélérée, le dispositif destiné aux élèves de la fin du primaire permet d'explorer les différentes représentations du loup dans la tradition littéraire (au travers des contes notamment) et au sein de la littérature jeunesse contemporaine. Il s'articule en plusieurs étapes qui amèneront les élèves à développer des compétences en lecture et écriture ainsi que des compétences orales.

1. Recueil des représentations 

La première étape consiste en un recueil des connaissances et représentations sur la figure du loup : les apprenants sont invités à décrire ce personnage, tel qu'il apparait dans les œuvres littéraires qu'ils connaissent. Les caractéristiques pointées sont consignées au tableau afin de pouvoir être exploitées par la suite. 

Bien souvent, le portrait dressé par les élèves correspond à la version archétypale du personnage : en référence aux contes traditionnels, le loup est présenté comme étant sauvage, féroce, affamé et cruel, à la fois bête et rusé. 

Cette première étape permet à l'enseignant de mesurer le bagage littéraire des élèves. Ont-ils tous rencontré le personnage du loup au fil de leurs lectures ? Connaissent-ils les caractéristiques du loup archétypal ? Ont-ils conscience des détournements de cet archétype présents dans de nombreux textes ? 

2. Découverte/consolidation de l'archétype 

Pour pouvoir prendre conscience des détournements et les apprécier, il est essentiel de connaitre le personnage dans sa version stéréotypée. Ainsi, lors de la deuxième étape du dispositif, les élèves sont amenés à construire ou consolider le portrait du Grand Méchant Loup grâce à la lecture de contes traditionnels (Le Petit Chaperon rouge, Les Trois Petits Cochons, etc.) et éventuellement de fables (Le loup et l'agneau, Le loup et le chien, etc.). Plusieurs rencontres avec le personnage archétypal sont nécessaires pour qu'émerge une représentation de ce dernier. 

Le travail autour de l'archétype peut favoriser la motivation et le gout pour la lecture. En effet, face à un texte qu'il découvre, le lecteur se constitue un horizon d'attente au départ des éléments du paratexte qu'il identifie. Ainsi, face à un texte ou un album mettant en scène un loup, le lecteur « pré-instruit », qui connait le personnage archétypal, prévoit et cherche à anticiper le contenu (genre, intrigue, actions du personnage, etc.). Au fil de la lecture, « cet horizon d'attente se modifie en intégrant les éléments du texte. »2 Le plaisir et la surprise sont au rendez-vous lorsque le lecteur découvre des variations ou des détournements qui déjouent ses attentes. 

3. Découverte de différents détournements du personnage 

A. Caractérisation de différents loups 

Par groupes de deux ou trois, les élèves reçoivent deux albums mettant en scène un ou plusieurs loups. Leur tâche consiste à prendre connaissance des œuvres, à garder trace de leur ressenti, des sensations et émotions que la lecture a provoqués chez eux, et à identifier les caractéristiques des loups qu'ils rencontrent. Pour ce faire, ils répertorient les caractéristiques physiques et morales de chaque loup au sein d'un document conçu sous la forme d'un tableau. Cet outil favorisera la comparaison qui aura lieu dans un second temps. 

Si certaines œuvres respectent relativement fidèlement les caractéristiques de l'archétype, de nombreuses autres se plaisent à détourner ce dernier. Ainsi, le lecteur pourra découvrir des loups civilisés, dotés d'intentions louables, des loups domestiqués, des loups peureux, des loups végétariens, des loups tournés en bourrique ou agressés, etc. Les détournements possibles sont nombreux et s'entremêlent parfois au sein d'un même texte. Il existe une multitude d'albums intégrant le personnage du loup. On en trouve pour tous les âges et pour tous les niveaux de lecture. L'enseignant peut donc ajuster son corpus en sélectionnant des livres adaptés à son public.

                                                                                                                                                                                Quelques exemples d'albums à exploiter 

La découverte des détournements pourrait se prolonger au moyen de textes plus denses et plus résistants et de divers supports, comme, par exemple, d'autres genres narratifs tels que le conte ou la fable, ou des documents audiovisuels (films d'animation, publicités).  

 B. Comparaison, classement et étiquetage des détournements repérés 

Une mise en commun des découvertes réalisées suit le travail en sous-groupes. Chaque groupe présente les albums qu'il avait à analyser et fait part de ses découvertes au reste de la classe. Celles-ci sont consignées au tableau sous la forme de mots-clés. Les élèves sont invités à faire des rapprochements entre les observations des différents groupes et à comparer les portraits qu'ils ont dressés des loups avec les caractéristiques du loup archétypal. Se dessine ainsi une classification des détournements. Le moment est venu de revenir sur les connaissances et représentations initiales listées au début du dispositif. 

Il s'agit ensuite de nommer chacun des détournements identifiés. Dans un article paru en 2010, Stéphane Bonnéry, professeur en sciences de l'éducation à l'Université Paris 8, propose une typologie des détournements existants3. L'enseignant peut s'y référer, mais il peut aussi forger avec les élèves des noms pour l'ensemble des contrepieds analysés. 

Une fois les détournements classés et nommés, les élèves sont invités à s'interroger sur les effets produits par ceux-ci : surprise, comique, etc. Ils analysent également les procédés utilisés par l'auteur pour construire ses personnages, mettre en œuvre le détournement et viser, dès lors, des effets relativement précis. 

Lors de cette troisième étape, les élèves sont amenés à tisser des liens entre les œuvres et entre les personnages grâce au travail de comparaison. Cela devrait leur permettre de prendre conscience du « réseau de relations qui unit les écrits »4  et de développer leur mémoire littéraire.


4. Écriture 

Pour s'approprier davantage le concept de détournement, les élèves entament ensuite un travail d'écriture. Par groupe de deux ou trois, ils sont amenés à inventer et rédiger la suite d'un récit, en respectant un type de détournement du personnage (qu'ils tirent au sort). Le début de deux récits (situation initiale et élément modificateur) leur est proposé. Ils peuvent de cette manière choisir l'entame qui les inspire le plus. 

Ainsi, les étudiants qui ont expérimenté cette partie du dispositif ont eu le choix entre la première partie du conte intitulé Le loup et les sept chevreaux et le début de l'album Roulé le loup ! de Praline Gay-Parareproduit ci-dessous : 


Avant de se lancer dans le travail de rédaction à proprement parler, les étudiants ont dû dresser le portrait physique et moral de leur loup, de manière à ce que celui-ci corresponde au détournement à illustrer. Ils ont également été invités à imaginer les actions et réactions possibles de ce personnage. Ils ont ensuite dressé le plan de leur récit. 


Lors de la phase d'écriture, les élèves doivent non seulement veiller à mettre en œuvre le détournement, mais aussi à respecter les caractéristiques du genre à produire (temps du récit, dialogues, etc.). Si elles n'ont pas fait l'objet d'apprentissages antérieurs, celles-ci pourront être observées, analysées et théorisées au départ des textes rencontrés au début du dispositif. L'écriture, quant à elle, sera entrainée progressivement par diverses tâches d'écriture préparatoires. 

Dans cette quatrième étape du dispositif, les élèves effectuent des opérations de planification avant d'entamer la mise en texte6.  Pour éviter le syndrome de la page blanche, deux contraintes libératrices sont imposées : le détournement à respecter et l'utilisation d'un début de récit préexistant.

Le travail d'écriture sera organisé en plusieurs jets, avec phases de révision, afin de permettre aux élèves d'améliorer et de finaliser leur production.  


5. Création de marionnettes et préparation de la mise en scène 

La socialisation des productions se fera oralement. Elle prendra la forme de saynètes mises en scène à l'aide de marionnettes. Plusieurs options sont possibles : soit l'enseignant propose aux élèves une série de marionnettes parmi lesquelles ils pourront choisir celles qui représentent le mieux les personnages de leur récit, soit les élèves fabriquent leurs propres marionnettes. Cette deuxième option est plus ludique, mais aussi plus chronophage. Afin qu'elle ne s'apparente pas à une simple activité de bricolage et qu'elle soit porteuse d'apprentissages, il convient d'amener les élèves à imaginer leurs marionnettes, à faire des choix en accord avec le portrait qu'ils ont dressé du personnage, avant de se lancer dans la fabrication. 

Pour ce faire, il est conseillé de recourir à  un document de planification. Celui-ci pourrait amener les élèves à schématiser leur marionnette, à lister les matériaux et le matériel nécessaires ainsi que les étapes de fabrication.  


Chaussettes, pics à brochette ou baguettes chinoises, morceaux de tissu, ouate ou rembourrage, magazines, journaux, papier de couleur, carton, laine, ficelle, ciseaux, colle, marqueurs, billes de frigolite, yeux adhésifs, et matériaux de récupération feront largement l'affaire.  

                                                                                                                                                                Marionnettes réalisées par les étudiantes du Bloc 3 

Après avoir conçu le matériel, il reste à préparer la performance orale. Comment mettre en voix le texte et incarner les personnages ? Comment se répartir les rôles et la parole ? Comment manipuler les marionnettes ? 

Dans le cadre du module « liaison primaire-secondaire », la phase de préparation était réduite, voire inexistante, car la performance orale se voulait simple médiation de l'écriture. 

Dans le cadre d'un parcours, le travail de l'oral constituerait une séquence à part entière, nécessaire à la production finale. Il conviendrait de proposer aux élèves des modèles authentiques à observer, analyser et théoriser, de les amener à  dresser le profil vocal du personnage et à s'entrainer à moduler les paramètres de leur voix. Un balisage du texte serait également intéressant ainsi qu'un travail de mémorisation. Enfin, comme pour les tâches écrites, les élèves devraient pouvoir faire évoluer leur production en réalisant plusieurs jets. 

6. Socialisation 

Pour partager leurs productions, les groupes présentent un à un leur saynète à la classe. Le local est organisé de manière à rendre cette étape agréable pour tous. Le public reçoit une tâche d'écoute : il s'agit d'identifier les caractéristiques du loup mis en scène et, par extension, le détournement que le groupe était chargé de représenter. Dans un second temps, les choix posés pourront être justifiés, commentés et évalués. 

Malgré une préparation orale réduite, voire inexistante, les performances des étudiantes du Bloc 3 étaient de qualité. Cela s'explique notamment par les acquis liés à leur formation et par leur parcours personnel. Voici un exemple de ce qu'elles ont réussi à produire en peu de temps : 


                                                                                                                                       Isabelle Étienne et Coline Gaillard 



Prolongements

Le dispositif imaginé est destiné à des élèves de la fin du primaire. Cependant, il est tout à fait possible de l'adapter à un autre public en ajustant le choix des textes par exemple. Par ailleurs, la littérature regorge d'archétypes et de détournements. Le renard, le détective, la fée, la princesse, l'ogre, la sorcière... pourraient tout à fait remplacer le loup.

Le volet oral, sollicité mais non travaillé lors du module « liaison primaire-secondaire », pourrait faire l'objet d'une véritable séquence. Celle-ci comporterait de réels apprentissages en lien avec la saynète jouée et la manipulation de marionnettes. Elle serait ainsi en accord avec les projets du Pacte pour un enseignement d'excellence, puisque celui-ci considère que « les différentes formes d'expression artistique doivent faire partie intégrante des domaines d'apprentissage qui composent le tronc commun redéfini »7.

Lors des activités, les élèves seraient notamment amenés à découvrir, grâce à des représentations théâtrales, que la marionnette n'est pas exclusivement enfantine. En effet, d'une part, des spectacles tels que Bon débarras (Compagnie Alula) sont susceptibles d'être appréciés par un public multigénérationnel, et, d'autre part, des pièces telles que Borgia, comédie contemporaine sont réservées à un public adolescent ou adulte.


Pour conclure 

Le personnage archétypal constitue un outil pertinent pour développer des compétences de lecture et d'écriture, sans négliger le plaisir, et exercer sa créativité. Il peut également donner lieu à un travail intéressant de l'oral expressif incluant par exemple l'utilisation de la marionnette.

Anne-Catherine Werner 


1 Rappelons-le, la créativité, définie de manière consensuelle comme « la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle [donc originale] et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste […] » (LUBART Todd et al. (2015). Psychologie de la créativité (2eéd.). Paris : Armand Colin, p. 23) fait partie des compétences promues par le Pacte pour un enseignement d'excellence.

 2 POSLANIEC Christian (2003). Pratique de la littérature jeunesse à l'école. Comment élaborer des activités concrètes ? Paris : Hachette, p. 69.  

3 BONNÉRY Stéphane (2010). « " – Loup y es-tu ? – Pas exactement, c'est pour mieux te faire réfléchir, mon enfant... " Sociologie du lecteur supposé par la littérature de jeunesse ». Congrès de l'Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF). Genève-France.  

4 GIASSON Jocelyne (2005). La lecture : de la théorie à la pratique. Bruxelles : De Boeck. 

5 GAY-PARA Praline et MICOU Hélène (2014). Roulé le loup ! Paris : Didier Jeunesse.

6 Voir le modèle d'organisation des opérations intervenant dans le processus rédactionnel défini par HAYES et FLOWER (HAYES John R. et FLOWER Linda S. (1980).« Identifying the Organization of Writing Processes » dans Lee W. GREGG et Erwin R. STEINBERG (éds). Cognitive Processes in Writing. Hillsdale-New Jersey. Lawrence Erlbaum Associates Publishers, p. 11. 

7 Coupole Alliance Culture-École (janvier 2017). Bouger les lignes, p. 15.


Auteur

Anne-Catherine Werner

Maitre-assistante en français, didactique du français, assistante de formation en didactique du français langue première (ULiège). Intérêt particulier pour la lecture, l'écriture, la langue française, le cinéma, le théâtre, la photographie et les arts plastiques.

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