Lire et écrire des productions textes-images

Comment faire lire et/ou écrire des productions textes-images (des albums de jeunesse en particulier) à de jeunes apprenants ? L’article présente quelques-unes des pistes proposées par différents didacticiens du français.

Cet article présente quelques-unes des pistes évoquées lors de la journée d’étude (organisée le 15 mars dernier) de la section belge de l’AIRDF. Cette « Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français » publie une revue intitulée « La Lettre » ainsi qu’un volume annuel de la collection « Recherches en didactique du français »1

Les pistes didactiques dont il sera question ont été sélectionnées parmi les premières interventions dont vous trouverez un résumé ci-dessous. Elles pourraient être exploitées à l’école primaire (puisque la future formation des enseignants permettra aux professeurs de français de donner des cours dans le dernier cycle de l’école primaire) ou adaptées pour des élèves du début de l’enseignement secondaire. Un prochain article pourrait aborder d’autres pistes évoquées lors de cette journée d’étude de l’AIRDF.  


1) Lire la scénographie de l’album iconotextuel et penser la scénographie de sa lecture en classe. De quelques références qui peuvent se révéler problématiques. 

Catherine TAUVERON 

2) Faire entrer dans l’écrit et développer une posture d’auteur grâce à l’album « Quand j’étais petit » de Mario Ramos. 

Graziella DELEUZE

3) L’évolution des capacités rédactionnelles des élèves du cycle 5-8 ayant pris part à des ateliers d’écriture. 

Marine ANARÉ, Anouck DUMONT, Morgane LIBION, Patricia SCHILLINGS

4) Lire « L’Indien de la Tour Eiffel » : étude des conduites interprétatives mises en œuvre par des adolescents au début du secondaire et analyse de l’appropriation du dispositif par les enseignants. 

Séverine DECROIX et Dominique LEDUR 

5) L’épreuve écrite d’analyse filmique : le concours d’admission à la FÉMIS. 

Alain HERTAY et Caroline SCHEEPERS

6) Regards d’une animatrice du livre sur les romans illustrés pour adolescents. 

Déborah DANBLON

7) Un dispositif en isomorphisme : ancrer et transférer les apprentissages didactiques. 

Marie DUMONT et Catherine GOOR

8) La production d’albums comme outil pour développer chez les futurs instituteurs des compétences en lecture littéraire.

Graziella DELEUZE et Soledad FERREIRA 

 

Extrait du dépliant de présentation de la journée organisée par l'AIRDF. 



INTERVENTION de Catherine TAUVERON

Catherine Tauveron a proposé de réfléchir à deux scénographies (un scénario, un déroulement détaillé incluant différentes étapes) de la lecture d’albums de jeunesse.

Elle est professeure émérite à l’Université de Bretagne occidentale en littérature et langue française. C’est l’une des chercheuses les plus reconnues pour ses travaux en didactique de la littérature à l’école. Elle a été, pendant 25 ans, rédactrice en chef de la revue « Repères » consacrée aux recherches en didactique du français. Elle est notamment l’auteur de l’ouvrage "Lire la littérature à l’école" (Hatier, 2003). Ses travaux ont trouvé une réalisation dans les programmes de l’école en 2002 qui ont inscrit la littérature comme discipline à part entière.2



1. Scénographie : Balthazar ! de Geoffroy DE PENNART 


Balthazar va au marché, sur le porte-bagages de la motocyclette de sa maman. Un petit dérapage et Balthazar se retrouve kidnappé par de drôles de messieurs… Drôle d'histoire pour Balthazar... 3



Il s’agit d’un album intéressant pour questionner les rapports entre le texte (ce que dit un biquet naïf, Balthazar) et les images (qui ne correspondent pas à ce qu’il dit), pour apprendre aux élèves à distinguer le point de vue d’un enfant et celui d’un adulte.

La scénographie de la lecture de cet album que Catherine TAUVERON a présentée est la suivante :

a) Lire le texte et les images.
b) Individuellement, faire lire aux apprenants le texte seul (reproduit sans les images) pour leur faire remarquer que le personnage naïf (le biquet) n’a pas identifié l’identité des autres personnages (les loups).
c) Leur faire reformuler l’histoire (pour vérifier ce qu’ils ont compris, s’ils ont identifié des discordances entre textes et images).
d) Leur poser des questions sur les rapports entre les images et les textes (qui sont discordants ici puisque ce que dit le biquet ne correspond pas exactement à ce que les images montrent), sur l’identité des personnages (mal identifiée par le biquet).
Commentaire : le nombre de questions posées sur le texte peut donc être réduit à quelques-unes qui sont centrales pour comprendre l’album.
e) Conclure l’interprétation avec les élèves (le biquet ne comprend pas ce qui se passe et son père lui dit : « Il faudra que je t’explique des trucs » : amener les élèves à formuler des hypothèses sur le contenu de ces explications).
f) Revenir sur les éléments difficiles à interpréter (les erreurs du biquet qui est jeune et naïf) et introduire le mot « naïf ».

 

2. Scénographie : L’Afrique de Zigomar de Philippe CORENTIN


Pipioli le souriceau rêve d'aller en Afrique comme son amie l'hirondelle. Le merle Zigomar accepte de l'y emmener...mais il n'a aucun sens de l'orientation. Un voyage inattendu les attend.4

Cet album a reçu le Prix « Sorcières » en 1991 décerné par l'Association des Libraires Jeunesse. Il permet également de questionner les rapports entre le texte et les images qui ne correspondent pas toujours à ce que les personnages disent.


La scénographie de la lecture de cet album que Catherine TAUVERON a présentée est la suivante :

a) Faire lire aux élèves le texte uniquement et les informer sur le thème (notamment sur le fait que le merle ne voyage pas et connait donc mal les animaux des régions où il ne vit pas).
b) Leur faire relever les mots employés par les personnages pour parler de Zigomar (il est vantard, obstiné notamment) et le choix du titre ( L’Afrique DE Zigomar ) et leur faire remarquer l’étonnement des autres voyageurs face aux propos de Zigomar (qui dit, par exemple, qu’en Afrique, il fait froid comme au Pôle Nord).
c) Faire voir ensuite les images.
d) Analyser avec les élèves les états mentaux des personnages (Pourquoi les personnages se trompent-ils ? Se trompent-ils tous de la même manière ?).
e) Aborder le concept de naïveté (un des personnages, Pipioli, est semi-naïf) et définir avec les apprenants le mot « vantard » et leur demander si Zigomar ne peut pas remarquer qu’il s’est trompé.
f) Leur demander d’écrire un texte sur ce que pense Zigomar à la fin de l’histoire. Afin de vérifier la compréhension des élèves, différentes hypothèses peuvent être mises en débat :  Zigomar admet ou non qu’il s’est trompé.


Cette lecture en réseau (sur le rapport à la vérité avec des albums dont les personnages sont naïfs, semi-naïfs, vantards) pourrait amener de jeunes élèves à s’interroger sur leur propre naïveté ou, au contraire, leur capacité à faire preuve d’esprit critique.  

Plusieurs autres conseils en lien avec ces scénographies ont été formulés :
- Tenter de se mettre à la place des jeunes lecteurs pour anticiper leurs difficultés lors des lectures et imaginer un dispositif qui en tient compte.
- Amener les élèves à écrire (ou dicter à l’adulte) ce qu’ils comprennent du livre lu.
- Adapter la scénographie de lecture des albums selon les spécificités de chacun (par exemple, est-il préférable pour cet album de montrer d’abord les images ou le texte ?).


3. Scénographie : Mon chat le plus bête du monde de Gilles BACHELET

Comme beaucoup de chats, mon chat passe son temps à dormir ou manger ou dormir… Il piétine mon travail et fait ses besoins à côté de sa litière. Ce qui est étrange, c’est qu’il ne retombe jamais sur ses pattes et craint les souris… C’est vraiment mon chat le plus bête du monde ! À moins que ce ne soit pas un chat ? Un album décalé et hilarant mettant en scène les tribulations d’un chat vraiment pas comme les autres…                                                                    
 

Mon chat le plus bête du monde a reçu en 2004 le Prix Baobab décerné par le Salon du livre et de la Presse jeunesse en Seine-Saint-Denis.

Il s’agit d’un album intéressant pour inviter les élèves à réaliser des hypothèses sur l’identité des personnages, les rapports entre les informations fournies par le texte (qui évoque un chat)  et les images (qui montrent un éléphant) qui sont parfois confus dans ce livre. 



INTERVENTION de Graziella DELEUZE

Graziella DELEUZE (maitre-assistante en français à la Haute École de Bruxelles-Brabant) a décrit et analysé des activités qui ont été expérimentées par deux jeunes enseignantes dans une école primaire. Leur but était d’amener les apprenants à écrire le texte d’un album qui en est dépourvu : Quand j’étais petit de Mario RAMOS.



La girafe regarde par-dessus la palissade. Mais comment faisait-elle quand elle était petite ? Et ce singe pensif, était-il tellement sérieux quand il était petit ? Et cette cochonne toute rose, était-elle déjà coquette quand elle était petite ? Pour découvrir l'enfant, il vous suffit de soulever l'adulte.6

Cet album sans texte présente donc une galerie de portraits de huit animaux durant l’enfance et à l’âge adulte. Il montre un contraste entre les images de ces personnages à ces deux périodes de la vie. Il a reçu le Prix des critiques belges (première mention) en 1998.


Etant donné la spécificité de cet album de portraits montrant une métamorphose entre l’animal enfant et ce même animal adulte, les activités menées visent à apprendre aux élèves à lire des images (compréhension relativement aisée dans ce cas) et à verbaliser l’interprétation de celles-ci. Cette verbalisation s’est révélée plus délicate même s’ils ne devaient pas respecter le schéma narratif (vu qu’il s’agit de portraits simplement juxtaposés) et n’ont donc pas éprouvé de difficultés relatives à la cohérence de leur production. Par ailleurs, ils ont pu employer les images comme outil de planification et comme rappel du contenu à produire. Placer les jeunes apprenants dans une posture d’auteur d’écrit fictionnel leur a permis de développer différents apprentissages.

 

Le dispositif testé a été le suivant :

a) Planification du texte à produire :
- lecture des images de l’album (cet album sans texte est, en effet, un support pertinent pour apprendre à lire l’image),
- observation attentive d’indices à mettre en relation pour émettre des hypothèses sur ces images,
- échange autour de l’interprétation de celles-ci : notamment, quelles sont les différences entre l’animal enfant et l’animal adulte ? Que veut nous dire l’auteur sur le passage de l’enfance à l’âge adulte ?
b) Écriture du texte (qui accompagnerait ou compléterait les images) en lien avec une ou plusieurs de celles-ci, voire avec tous les portraits (sous la forme d’une dictée à l’adulte ou d’une écriture en autonomie par deux) et intégration de la production des élèves dans l’album.
c) Socialisation face à la classe ou face à un autre groupe.


Quels apprentissages cette activité d’écriture peut-elle permettre de développer (en plus de ceux en lien avec la lecture des images) ?

Cette activité d’écriture peut être notamment l’occasion de :

1) aborder l’importance des choix énonciatifs, la sélection d’un narrateur avant d’écrire (ce dernier peut être l’enfant ou l’adulte des portraits, a priori il s’agit plutôt de l’adulte étant donné le titre « Quand j’étais petit », mais l’élève peut également choisir un narrateur qui est un tiers). S’il rédige son texte à la première personne, ce choix implique d’apprendre à écrire en « je », mais en se mettant dans la peau d’un personnage fictif. L’apprenant doit donc se distancier du réel.

 2) réfléchir au système temporel (comment parler du personnage dans son présent, à l’âge adulte et dans son passé, celui de son enfance ? par quel système temporel rendre compte de ses transformations ?). En effet, certains élèves ont écrit tout leur texte au présent, alors qu’ils évoquaient à certains moments le passé du personnage : le choix des temps peut donc faire l’objet d’apprentissages.

3) montrer aux élèves l’importance de se servir des indices repérés dans les images (que l’élève mettra idéalement en relation pour interpréter celles-ci et ne pas se limiter à décrire l’image : par exemple, il pourra identifier l’état d’esprit du personnage à partir d’indices corporels ou le statut du roi à partir de sa couronne) pour pouvoir écrire le texte correspondant à celles-ci.
Certains jeunes élèves ont même dépassé ces indices en écrivant (ils sont allés au-delà de ce que les images montrent, ils ont pu  « se glisser dans les espaces laissés vacants du texte. »7  

Hatier pédagogie - Vers une écriture littéraire


4) travailler la maitrise du code écrit, certains savoirs de langue : notamment apprendre à améliorer des choix lexicaux inappropriés, à éviter des confusions relatives aux homophones, à corriger des accords lors de la relecture en se concentrant sur les rapports de sens entre les mots (par exemple, le titre est « Quand j’étais petit », mais si l’élève évoque la femelle d’un animal, il doit modifier le titre en accordant l’adjectif au féminin) ou encore à éviter des structures syntaxiques à l’écrit parce qu’elles sont calquées sur celles de l’oral (par exemple l’absence de la négation « ne » : « Elle était pas sérieuse. »).

5) aborder certaines démarches de relecture (par exemple, en oralisant les phrases écrites individuellement, avec les condisciples ou l’enseignant pour identifier ce qui est améliorable).

Cette tâche d’écriture s’est donc révélée relativement complexe (étant donné, notamment, la nécessité d’approfondir l’interprétation des images avant d’écrire), mais tout à fait intéressante à  mener en classe. En effet, les élèves ont appris à écrire des productions associant images et textes, ils ont pu prendre du plaisir à écrire (en se prenant pour ce qu’on n’est pas) et procurer du plaisir au lecteur.



BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE

D’autres albums ont été évoqués par Graziella DELEUZE :

 a) La porte de Michel VAN ZEVEREN (École des loisirs, 2008) :


La petite cochonne ouvre la porte de la salle de bain. Elle se prépare à prendre une bonne douche. Bien tranquillement… Bien tranquillement ? Pas si sûr!8

b) Le code de la route de Mario RAMOS (École des loisirs, 2010)


Comme rien n’arrête le progrès, une petite route traverse maintenant la forêt pour que le petit chaperon rouge puisse se déplacer à vélo. Les grands panneaux de signalisation qui longent la route annoncent : trois ours, un prince charmant, le petit poucet, le chasseur, le loup et la grand-mère. Le petit chaperon rouge rejoint la maison bien tranquille de sa grand-mère qui l’attend pour passer un bon moment.                                                                                   Les grands contes sortent du bois dans cet album sans texte.9


Graziella DELEUZE a également présenté différentes recherches montrant l’intérêt de faire écrire des apprentis lecteurs :

1) celles de Roland GOIGOUX : « Apprendre à lire et à écrire au cours préparatoire : enseignements d’une recherche collective » in Revue française de pédagogie, 2016, n°196.

2) la théorie de la clarté cognitive (de DOWNING et FIJALKOW) ou la prise de conscience progressive de l’écrit ;

3) celles de Catherine TAUVERON et de Pierre SÈVE dans l’ouvrage de 2005 intitulé Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école (présenté ci-dessus) ;

4) celles de Lucy CALKINS sur l’apprentissage de l’écriture ;

Lucy CALKINS est directrice et fondatrice du Teachers College Reading and Writing Project (TCRWP) de l’Université Columbia. Depuis plus de trente ans, ce groupe de réflexion a mis au point de multiples méthodes d’apprentissage. Elle travaille de concert avec les responsables des politiques ministérielles, le personnel enseignant et les directions d’école pour mettre en place et soutenir une réforme de l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Elle est également professeure émérite de littératie pour enfants au TCRWP, où elle codirige le programme d’enseignement de la littératie. 10


5) les recherches coordonnées par Jean-Louis DUFAYS et Sylvie PLANE : L’écriture de fiction en classe de français, Presses universitaires de Namur, 2009.



Lors de ces deux interventions, différents albums et des exploitations de certains de ceux-ci ont été présentés : ils ont été jugés intéressants à exploiter avec de jeunes apprenants. Cet article vous aura peut-être donné des idées d’activités de lecture et/ou d’écriture de productions textes-images en classe.  


Sylvie BOUGELET



1 Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site : http://airdf.ouvaton.org/

2 https://www.babelio.com/auteur/Catherine-Tauveron/352419

https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/balthazar

https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/afrique-zigomar

http://www.seuil.com/ouvrage/mon-chat-le-plus-bete-du-monde-gilles-bachelet/9782021071429

6 https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/quand-jetais-petit

7 Selon TAUVERON et SÈVE dans l’ouvrage de 2005 intitulé Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d'auteur à l'école.

https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/porte

https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/code-route

10 https://www.cheneliere.ca/2842-auteur-lucy-calkins.html

Auteur

Sylvie Bougelet

Maitre-assistante en français et didactique du français. Intérêt particulier pour la didactique de l'écriture et les activités sollicitant la créativité.

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