L’histoire à tiroirs, un jeu de langue à découvrir

Comment et pourquoi faire écrire une histoire à tiroirs aux apprenants? Quel prolongement de cette activité envisager?

L’histoire à tiroirs, un jeu de langue à découvrir.

Une pièce ou un roman à tiroirs est une œuvre littéraire « dont l’intrigue comprend des scènes étrangères à l’action principale, intercalées et comme emboitées dans celle-ci».1

Dans notre activité, il ne s’agit pas de demander aux élèves d’écrire une œuvre longue intégrant d’autres histoires ou scènes sans lien apparent avec l’intrigue principale. La consigne de l’activité pourrait être la suivante :

« Par deux, écrivez une histoire courte (un évènement vécu en commun, un bref récit adapté d’un texte ou d’un roman lu par chacun, une intrigue inventée, … au choix) sur les modèles suivants. Il s’agira de lire ou faire lire ce texte à un autre groupe de deux pour voir à quel moment les lecteurs ou les auditeurs vont interrompre leur lecture ou leur écoute. »


Quelques exemples : 

 « C’est le frère du père de ma sœur dont le neveu a été assassiné dans une ville dont je ne me souviens plus du nom qui ressemblait pourtant à celui d’un roman que j’ai adoré dans mon enfance qui fut malheureuse, mais bien moins que celle de cette fille du père de ma tante qui avait épousé le beau-frère de mon père… »2

Source : QUENEAU R., Exercices de style, Gallimard, 2009, p.105-106. 


L’analyse de ces exemples permettra de découvrir qu’il s’agit d’une histoire où tellement d’informations sont imbriquées les unes dans les autres que le lecteur ne s’y retrouve plus. Plus précisément, les élèves pourront remarquer que les phrases sont très longues parce que certains termes sont remplacés par leur définition ou une périphrase (« le frère du père de ma sœur » est mon oncle, par exemple), que de nombreux mots sont accompagnés d’expansions, d’informations complémentaires (« un véhicule désigné par la dix-neuvième lettre de l’alphabet »).


Pourquoi faire écrire des histoires à tiroirs aux élèves ?

1. Elles permettent de prendre conscience de constructions syntaxiques à éviter si l’on souhaite écrire pour être compris : en effet, certaines peuvent rendre le texte incompréhensible ou presque. Dans ce cas-ci, les limites de la construction des phrases sont atteintes : elles sont beaucoup trop longues, de trop nombreuses informations sont données dans une seule phrase. Si certains apprenants emploient fréquemment ce type de constructions syntaxiques, ils connaitront ainsi un moyen d’améliorer leurs textes.

2. L’analyse des deux textes permettra également d’observer la construction des expansions du nom : des groupes nominaux introduits par des prépositions, des propositions introduites par des pronoms relatifs, des adjectifs, des groupes construits autour d’un participe présent ou passé dans les exemples ci-dessus. Ces ressources pourront être exploitées par les élèves dans diverses situations d’écriture (à condition que leur nombre reste raisonnable : ils l’auront remarqué) pour varier les moyens employés pour décrire, donner des informations complémentaires sur certains éléments de leurs phrases, préciser si nécessaire leurs propos.

3. Une troisième observation pourrait porter sur la notion de périphrase qui consiste à remplacer « le terme propre et unique (mot usuel ou nom propre) par une expression imagée ou descriptive qui le définit ou l’évoque »4 (par exemple, « le grand véhicule automobile public de transport urbain » employé par QUENEAU au lieu de l’autobus) et d’amener les élèves à réfléchir à ses emplois (ce qui supposera sans doute l’observation d’autres textes, notamment poétiques). Elle permet notamment d’éviter des répétitions de mots, d’ajouter des caractéristiques à un élément du texte (un personnage ou un lieu par exemple), d’utiliser un euphémisme pour atténuer l’expression de certains propos qui pourraient être déplaisants ou trop brutaux (on peut par exemple remplacer le verbe « mourir » par la périphrase « partir pour toujours »).

Dans les fables de LA FONTAINE notamment, des périphrases pourront être observées (par exemple, « la Dame au nez pointu » pour désigner la belette dans « Le Chat, la Belette et le petit Lapin » ou « les Citoyennes des étangs » pour les grenouilles dans « Le Soleil  et les Grenouilles », fable qui peut faire écho aux réflexions actuelles sur le climat.


Source : https://www.youtube.com/watch?v=40fys5Yg4uA


4. Cette activité d’écriture d’une histoire à tiroirs peut s’intégrer dans diverses séquences qui portent sur la rédaction de textes narratifs, sur l’expression écrite (raconter une expérience par exemple) ou être menée après la lecture ou l’écoute de textes (résumer une nouvelle lue, une chanson écoutée…). Elle peut en être un prolongement dont un des objectifs serait le développement des compétences syntaxiques des élèves. Néanmoins, l’histoire à tiroirs est avant tout un jeu de langue qui peut contribuer à débloquer, à faciliter l’écriture de certains élèves (grâce à la contrainte libératrice, aux textes fournis comme exemples et à l’invitation à écrire par deux). Comme dans le cas du caviardage dont il a été question dans un précédent numéro de la revue5, ce dispositif leur donne l’occasion de participer à une activité peu habituelle (écrire des phrases trop longues dans un premier temps : un prolongement de celle-ci est proposé ci-dessous) qui peut contribuer à réconcilier progressivement certains avec l’écriture.


D’après un extrait de la fiche 4 « Écrire des textes littéraires pour se dire, imaginer, créer » du programme du 1er degré commun, «l’écriture n’est pas qu’une soumission aux normes langagières, textuelles ou culturelles. À la différence des écrits sociaux et scolaires (fiches 3 et 5) où l’élève apprend à s’ajuster aux normes, il peut ici en jouer tout en les apprenant. Il découvre ainsi que le jeu sur les normes ou le respect de certains procédés formels apparemment contraignants sont des moteurs puissants de la création.»6




Quel pourrait être un prolongement de l’activité d’écriture d’une histoire à tiroirs ?

 Cette activité permet de proposer aux apprenants un jeu de langue inhabituel et de dégager différents apprentissages. Elle pourrait être suivie de la suivante : 

« Par deux, réécrivez votre histoire à tiroirs en veillant à ce qu’elle soit beaucoup plus facilement compréhensible. » 

 

Une réflexion serait menée avec les élèves (à partir de l’analyse du texte ci-dessous) pour dégager des moyens d’atteindre cet objectif. Ceux-ci sont principalement la réduction de la longueur des phrases et du nombre de propositions enchâssées, le remplacement des périphrases, des définitions par des termes précis, la suppression de certaines expansions du nom qui ne sont pas indispensables à la compréhension globale du récit.

La quatrième de couverture du livre de QUENEAUprésente une réécriture de la version « définitionnelle » du texte : elle facilite nettement la compréhension du récit et illustre les moyens évoqués ci-dessus (phrases plus courtes, enchâssées peu nombreuses, remplacement des définitions par les termes précis, expansions du nom en nombre raisonnable).

                                                                                                     

                                                                                                         

Pourquoi ce prolongement ?

Cette deuxième activité ainsi que la socialisation et l’analyse des textes réécrits par les apprenants pourront les amener à percevoir l’importance de formuler des phrases de longueur raisonnable qui n’expriment pas trop d’idées en un seul énoncé. Pour y parvenir, ils pourront mettre en évidence différents procédés dont ceux cités et illustrés ci-dessus (la suppression d’éventuelles digressions ou informations peu utiles pour la compréhension du récit, l’emploi de termes précis, le remplacement de propositions par des adjectifs ou des groupes nominaux notamment).

Ils pourront également découvrir différents moyens de lier les phrases entre elles en évitant l’enchâssement de propositions pour réduire leur longueur : l’emploi de connecteurs, mais également d’anaphores, donc de substituts (« …dans une ville dont je ne me souviens plus du nom qui ressemblait à celui d’un roman… » qui serait remplacé par «… dans une ville. Je ne me souviens plus du nom de celle-ci, pourtant il ressemble à celui d’un roman… »).

Enfin, l’activité de réécriture d’une histoire à tiroirs (qui serait celle d’un autre groupe dans ce cas-ci) peut être l’occasion de développer les compétences lexicales des élèves. En effet, ils seront amenés à rechercher les termes propres qui permettent d’éviter les longues périphrases définissant ces mots. Étant donné qu’il leur est proposé de réécrire le texte par duo, ils ne seront pas seuls en cas de difficultés à identifier certains mots correspondant aux définitions.


En conclusion ...

Cet article a mis en évidence différents atouts didactiques de cette activité consistant au départ à écrire des histoires à tiroirs qui mettront bien des lecteurs ou des auditeurs à l’épreuve. D’autres sont apparus en envisageant un prolongement de celle-ci. A chacun de s’approprier ce dispositif en fonction de ses objectifs et de son contexte.

D’autres dispositifs d’écriture d’histoires à tiroirs existent : par exemple, une démarche d’écriture collective d’une histoire interactive « à plusieurs chemins » (où plusieurs suites sont imaginées à partir du même début d’une intrigue) avec les TICE (avec des cartes mentales notamment) est présentée dans l’article suivant : « Lire au collège - Écrire des histoires à tiroirs avec les TICE » 

Source : http://www.educ-revues.fr/LC/AffichageDocument.aspx?iddoc=40010



                                                                                                                                                                                            

Sylvie BOUGELET


1  Petit Robert

2 D’après un texte de H. LANDROIT dans 100 jeux de langue à l’école et ailleurs (Bruxelles, H. Ingberg, 2004, p. 90).

3  QUENEAU R., Exercices de style, Gallimard, 2009, p.105-106.

4  http://www.cnrtl.fr/définition/périphrase.

5  Voir article suivant : https://dupala.be/article.php?...

FESeC, Programme de français du 1er degré commun, Bruxelles, 2005, p.43.

7 QUENEAU R., Exercices de style, Gallimard, 2009, 4e de couverture.


Auteur

Sylvie Bougelet

Maitre-assistante en français et didactique du français. Intérêt particulier pour la didactique de l'écriture et les activités sollicitant la créativité.

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