Des ateliers d'écriture comme espace d'expression et de maitrise de la langue

Cet article présente succinctement les enjeux et ressorts des ateliers d’écriture créative et en illustre certaines facettes, notamment l’invitation d’une écriture créative en classe, qui est un beau tremplin pour exercer son imagination tout en mobilisant sa maitrise de la langue.

Dans notre culture, l’écriture est centrale et quotidienne mais consiste, le plus souvent, en une écriture fonctionnelle. Nous écrivons et nous apprenons à nos enfants et à nos élèves à écrire de manière à réaliser la meilleure communication possible : nous tentons d’activer nos connaissances des règles sémantiques et linguistiques pour délivrer des informations de manière claire et concise. Malgré notre — relative — maitrise, communiquer est un art et nous pouvons constater que nombre d’incompréhensions surviennent régulièrement, nous obligeant à reformuler notre pensée, à repréciser des informations.

Les ateliers d’écriture rencontrent un tout autre objectif : il s’agit d’éprouver de l’étonnement, de ressentir le sens de l’aventure et de se découvrir à travers des exercices visant à faire émerger l’imagination.

L’écriture peut jaillir en une heure comme lors d’un projet de plus longue haleine, courant sur plusieurs semaines ou plusieurs mois. L’importance de l’espace symbolique qui est créé par la personne en charge de l’animation ou du cours permettra un confort pour l’aventure.

En ce sens, l’acte d’écriture imaginaire, personnelle, spontanée, qui est convoquée dans les ateliers d’écriture créative est une occasion de nous mettre à l’épreuve d’une autre dimension : celle de la découverte d’une langue vivante, organique, qui nous traverse.



Vivre une expérience créative et changer sa perception de la production écrite

Dans un atelier d’écriture, nous venons d’abord comme nous sommes, sans préparation, sans attente particulière quant au résultat de la production d’écriture. Nous recevons des consignes qui sont davantage des orientations et des impulsions (des « starters », pour se lancer dans la rédaction), pour libérer l’imagination et la créativité. Une des règles en vigueur est d’ailleurs que « la contrainte libère » : les propositions sont des balises cherchant à stimuler notre écriture poétique, narrative ou intime. Nous ne sommes obligés de rien mais invités à tout : la liberté d’imaginer est un terrain de jeu, dont la langue est l’outil.

Il s’agit donc moins, dans le temps de l’atelier proprement dit, de rédiger immédiatement et de manière définitive un texte visant un objectif précis que de découvrir ce qui nous vient en tête face aux consignes. Nous découvrons alors également les thèmes et la culture qui nous habitent, consciemment ou inconsciemment, et nous en apprenons plus sur nous-mêmes. C’est la première récolte de l’écriture créative : nous explorer comme sujet qui pense et qui ressent, et qui (s’)exprime. C’est un espace de liberté.


Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.

René Char, Chants de la Balandrane (1977)



Se relier aux autres, se relier au monde : écrire et lire

La langue est également un code — et un trésor — commun qui offre la possibilité de se relier aux autres. Selon une charte élaborée ensemble, à l’idéal, qui encadre l’attitude et la responsabilité de chacun et chacune, nous allons alterner des moments d’introspection pour écrire et des moments de lecture pour partager une connexion avec les autres. Chaque lecture est offerte à l’écoute des autres qui reçoivent avec ouverture et respect la vision du monde de l’écrivant. Des ponts invisibles sont créés, les différences et les similitudes entre moi et l’autre sont mises en lumière. Le dispositif produit naturellement un intérêt pour la parole de l’autre.

Si nous sommes dans la poursuite d’un objectif de production commune, comme dans un projet créatif à exposer lors d’une fête d’école ou d’un évènement particulier, le temps est plus long et davantage structuré. Les temps d’écriture sont découpés selon un plan plus précis qui, étape par étape, aboutit à un résultat commun. En une heure ou en six mois, nous avons vécu une expérience ensemble. C’est un espace de connexion.


Une charte d’ateliers d’écriture écrite et mise en forme par des élèves de 6e primaire, structurée comme un tableau d’ancrage




L’aventure d’écrire

En un sens, l’écriture est comme un muscle qui nécessite un échauffement avant de fonctionner de manière optimale. C’est donc une pratique à encourager, qui bénéficie de la régularité, de l’effort et de l’amusement qu’elle impose. Trois durées sont proposées pour structure l’expérience, qui peuvent être adaptées à l’objectif : un ou deux échauffements (débuts de phrases à terminer librement avec pour contrainte le temps très court donné pour écrire — deux ou trois minutes) ; un texte de longueur courte ou moyenne (dialogue ; texte accompagnant une image ou une musique ; rédaction d’une lettre ou d’une page de journal intime…) et enfin, l’écriture longue, à reprendre et enrichir en-dehors de l’atelier d’écriture (projets narratifs de quelques pages : nouvelles, contes, BD, voire roman, pour les plus téméraires).

Moins les récepteurs maitrisent la langue, plus les propositions d’écriture doivent être courtes et simples dans leur conception : on les multiplie alors, donnant l’expérience du foisonnement créatif et léger. Aves les enfants et avec les jeunes, on élaborera un parcours où chaque étape est un univers en soi : à l’objectif de « récolter » les fruits de l’écriture, il s’agit d’ajouter une aventure sensorielle, intellectuelle et émotionnelle qui produit des traces dans la mémoire et enchante le moment.

Après les quelques dégels que sont les premières séances, nous remarquons que l’écriture « vient seule » : la pratique émerge, s’installe. Si on bute par moments, l’animateur ou le professeur est là pour venir relancer la machine. C’est donc un entrainement qui peut être ritualisé pour devenir une maitrise : plus je muscle mon entrainement à l’imagination, plus mon imagination est rapide et efficace. Car tout peut être sujet d’écriture ; la vie est remplie d’étonnements, d’originalités, d’à-côtés, de sources de réflexion. Chaque lundi matin, j’écris ce que je retiens de mon week-end. J’écris à propos de la chose la plus surprenante à laquelle j’ai assisté. Dans ce dialogue entre une chaise et le vent, que de motifs profonds et amusants. Chaque confrontation à la culture me donne une occasion d’exprimer mon ressenti. Chaque découverte formelle est une enveloppe dans laquelle me glisser pour intégrer des codes : poétique, narratif, musical, discursif...


Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.

George Perec, Espèces d’espaces (1974)



Trouver l’inspiration

Et si on ne sait pas écrire ? Si on n’aime pas lire ? Si on est trop petit pour écrire, comme en maternelle ou au début du primaire, ou qu’on n’a pas beaucoup d’idées, ou qu’on n’aime pas tellement ça ? Qu’à cela ne tienne. Dans l’atelier, nous nous essayons à l’écriture. Nous jouons aux écrivains. Nous créons des étapes. D’abord, on décrit ce qu’on voit. Ou on écrit des mots qui commencent ou se terminent par une syllabe ou un son, et on les accumule dans des phrases pour créer une musique, ou on crée un personnage avec une carte d’identité fictive. Ensuite, on remplit un court schéma narratif, ou on crée « à la manière de » en recevant un texte caviardé. On peut vivre des moments collaboratifs où toutes nos idées sont récoltées au tableau dans un brouhaha joyeux, et on y picorera toutes et tous ce qui nous plait pour écrire. Ensuite, on feuillette des albums ; on pense aux films déjà vus ; on écrit en musique des suites de mots apparemment sans lien, ou des phrases poétiques ; on discute avec son copain de classe pour avoir plus d’inspiration à propos de cette peinture projetée en classe. Que pensent les personnages ? Quelle action viendra juste après cet instantané de l’image ? Petit à petit, le récit s’écrit et l’écrivain débutant s’émerveille d’avoir relevé le défi. À cette fin, je vous propose ci-dessous une très succincte bibliographie.


S’inspirer des lieux, habiter l’espace (Académie royale des Beaux-Arts de Liège, 2022). 
S’entrainer à décrire avec fidélité et détails est une étape importante qui exerce la concentration et aiguise les sens, stimulant l’écriture.




Les écrivains trouvent l’inspiration en tous lieux et sur tous les sujets. Ils nous donnent à lire leur réception du monde à travers leur style. L’espace public, l’art et les cultures, les évènements du quotidien sont les sources permettant d’explorer les sens et la pensée. Le ciel est la limite (dans un espace démocratique). Il s’agit de faire un pas de côté par rapport aux attendus du réel et de convoquer la langue dans son organisation pour formaliser un discours et toucher l’interlocuteur, le spectateur, l’auditeur.

Composition (Académie royale des Beaux-Arts de Liège, 2022). 
Stage de photo-écriture pour les 8-14 ans : on écrit des scènes pour élaborer un récit et on les capture en photo ou, à l’inverse, on saisit des photos et on écrit à leur propos. Le thème : le corps, différemment.


Accumulation (Ecole Sainte-Walburge, 2017).
Atelier philo-art sur le thème de la transformation : les 3e maternelle et 1re primaire ont réfléchi ensemble selon des dispositifs d’exploration philosophique. Ils ont ensuite écrit leur transformation en « autre chose », finalement représenté sur des corps détourés à enfiler qui porte par les couleurs et les mots le processus transformateur.



Dialogue entre art et écriture

Lorsque l’écriture dialogue avec un art, c’est une alchimie toujours renouvelée. Tout est neuf. Divers canaux de communication s’activent et interagissent pour transmettre une émotion. L’ouverture est alors béante, s’affranchissant des normes formelles des productions littéraires ou artistiques. L’hybridité est déconcertante pour le cerveau humain et permet une liberté qui oblige l’esprit à penser et ressentir « en-dehors de la boite ». Les enfants ont alors une longueur d’avance sur les autres car ils sont encore souples ; l’expression par le dessin, la peinture, la photographie, la sculpture est naturellement un lieu de création parallèle à la langue qui traduit des idées.

Créer de l’art, c’est s’appliquer à utiliser les techniques pour que le rendu soit fidèle à l’inspiration, que la forme traduise le contenu imaginé. Quand j’écris, je veille alors à ce que la langue serve mon envie et ma tentative de dire ce que je veux dire, au plus près. Quand j’écris sur une image, je veux m’appliquer pour que le rendu me paraisse beau. Alors, je forme mes lettres au mieux pour être lisible, et je recopie mes écrits du brouillon corrigé. Ainsi, l’atelier d’écriture est peut-être la porte d’entrée opposée à celle de la leçon de grammaire ou de conjugaison en matière de maitrise de la langue : d’abord, j’écris ma pensée comme elle vient « avec mes mots » ; par la suite, quand je dois la donner à lire, je la formalise selon les règles en vigueur dans la langue, pour être compris, pour être reçu. Évidemment, les deux dimensions sont absolument essentielles. Interpénétrantes, elles sont toutes deux indispensables et elles s’offrent une légitimité.

C’est une petite révolution de pensée pour l’élève : il découvre que maitriser la langue n’est pas une fin en soi mais un moyen d’échanger avec les autres à propos d’intérêts qui l’habitent et peuvent trouver une résonance en l’autre, en appliquant un code qui réduit considérablement les interprétations et crée un espace commun.

Écrire de manière créative, on le voit, c’est ici une tentative : tentative pour se comprendre, pour se relier aux autres, pour percevoir plus profondément le monde, faisant fi de l’espace et du temps réels. Écrire, c’est un jeu et une liberté.



Bibliographie non exhaustive

Petit atelier d’écriture créative, Usborne éditions
J’écris des histoires, Usborne éditions
J’écris des scénarios, Usborne
Mon nom est Anna, Écrire avec le théâtre, Les petits carnets d’écriture 2, Gallimard éducation
Berthaud Philippe, La chaufferie de la langue, dispositifs pour ateliers d’écriture, Erès
Bon François, Tous les mots sont adultes, Fayard
Bon François, Autobiographie des objets, Points, Seuil
Carpentier Josette, L’écriture créative, 80 exercices pour libérer sa plume et oser écrire !, Eyrolles
Cifali Mireille, André Alain, Ecrire l’expérience, vers la reconnaissance des pratiques professionnelles, PUF
D’Astragal Laure, Atelier d’écriture, 10 séances, 10 semaines, 70 exercices, Larousse poche
Evrard Franck, L’atelier d’écriture, 150 jeux de lettres et exercices de rédaction, Ellipses
Friot Bernard, La fabrique à histoires, Milan
Kavian Eva, Écrire et faire écrire, Tome 1 (Manuel pratique d’écriture) et tome 2 (50 auteurs belges vous font écrire), De Boeck Duculot
Morgensten Susie/ Bronn Théresa, Carnet de l’apprenti écrivain, De la Martinière jeunesse
Neumayer Odette et Michel, Animer un atelier d’écriture, faire de l’écriture un bien partagé, ESF éditeur
Pratiquer le dialogue arts plastiques – écriture, Chronique sociale
Pimet Odile, Boniface Claire, Ateliers d’écriture, mode d’emploi, guide pratique de l’animateur, ESF éditeur
Rivais Yak, Jeux d’écriture et de langage, cycle 3, 6e/5e, Tomes 1 et 2, Retz
Rodari Gianni, Grammaire de l’imagination, Introduction à l’art d’inventer des histoires, Rue du monde
Stachak Faly, Faire écrire les enfants, 300 propositions d’écriture, Eyrolles
Stachak Faly, Écrire, un plaisir à la portée de tous, Eyrolles


Le Saviez-vous ?

Le projet La plume au bout de la langue (Direction de la langue française)

Les enseignants et enseignantes peuvent inviter un ou une artiste ou une personne qui anime des ateliers d’écriture avec certaines spécificités de publics, de forme d’expression artistique ou de thèmes de prédilection. Ce service émanant de la FWB est gratuit et donne le choix parmi une longue liste de personnes qualifiées et reconnues dans leur compétences.

Ateliers La Plume au bout de la langue - Langues, Lettres & Livre




Caroline Martin


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