Liste de cadeaux à glisser sous le sapin...

Quelques suggestions à offrir ou à se faire offrir en cette période des fêtes.

En cette fin d'année, le comité de rédaction de DUPALA vous suggère une liste d'idées de cadeaux à partager :


1. Ilaria Gaspari, Une rumeur dans le vent. Le bruit du monde, 2025.

// Aurélie Cintori


Dans la Rome des années 80', Marie-France gère d'une main de fer sa boutique de prêt-à-porter qui s'inspire de la mode à la française. Barbara, la narratrice, est une jeune étudiante en philosophie sans le sou qui se fait engager comme vendeuse à la boutique. Elle y côtoie Giosuè (le bras droit de la patronne) et Marta, la seconde vendeuse avec qui elle se noue d'amitié. Tout ce petit monde vit en parfait harmonie, dans un esprit de franche camaraderie au sein du microcosme de la boutique, jusqu’au jour où Marie-France décide de lancer une collection pour jeunes filles...

Dès le début du roman, le voile est levé quant à l'issue tragique de l'histoire. Se basant sur un fait divers historique, survenu à Orléans en 1969, Ilaria Gaspari tisse lentement la toile de la calomnie et prend son temps pour déployer les ressorts subreptices qui font naitre la rumeur. Edgar Morin, dans son essai La Rumeur d'Orléans, avait théorisé que chaque bouleversement sociologique s'accompagnait de la naissance de rumeurs, s'apparentant à une théorie du complot, comme ce fut le cas à Orléans à la suite de la révolution féministe symbolisée par la mini-jupe. 

À travers les yeux de Barbara, la protagoniste principale, nous découvrons le monde superficiel de la bourgeoisie romaine, nous scrutons les signes du vieillissement que tentent de cacher les clientes de la boutique et nous vivons l'expérience (quasi ontologique) du reflet dans le miroir de la cabine d'essayage : autant d'épisodes secondaires teintés de féminisme qui sous-tendent adroitement le propos principal de la légende urbaine. Sous le couvert d'une époque révolue, Ilara Gaspari nous livre un roman plein de suspense, d'entrelacs et d'échos contemporains. 


// Alessandro Greco

On croit d’abord avoir entre les mains une histoire déjà vue, avec Rome en toile de fond : la ville éternelle, ses avenues bourgeoises, ses boutiques élégantes, un certain parfum de nostalgie années 1980… et pourtant, très vite, quelque chose se fissure. Derrière les vitrines bien tenues de Joséphine, dans le quartier bourgeois des Parioli, Ilaria Gaspari fait apparaître une tout autre Rome : étouffée par les non-dits, travaillée par les peurs, traversée par une rumeur qui enfle jusqu’à tout déformer. Barbara, éternelle étudiante en philosophie devenue vendeuse, nous y guide pas à pas, avec ce regard un peu en retrait de celles et ceux qui ne sont jamais tout à fait dedans, ni tout à fait dehors.

Ce qui nous a séduits, c’est ce déplacement progressif du regard : d’abord charmés par le décor, nous sommes peu à peu amenés vers la fissure qui en révèle la face sombre. La disparition d’une adolescente habituée du magasin déclenche d’abord quelques chuchotements, puis une rumeur insistante : Joséphine serait impliquée dans un réseau de « traite des blanches ». De proche en proche, la rumeur enfle, se déforme, et finit par révéler ce que la société préfère taire : préjugés de classe, antisémitisme ordinaire, peur de l’autre. Alors la rumeur devient un personnage à part entière, et l’on se surprend à se demander, page après page, ce que nous aurions fait à la place de Barbara, narratrice en retrait qui observe plus qu’elle n’agit, de Marie-France, femme blessée par un passé qu’elle maquille d’élégance, ou de Giosuè, employé juif et homosexuel, lucide mais vulnérable face à la violence du quartier.

Pour les lecteurs qui aiment les romans où le crime n’est pas tant une affaire de police qu’une affaire de mots, de regards et de lâchetés collectives, Une rumeur dans le vent est une lecture à la fois accessible et exigeante. Ilaria Gaspari, une voix de la littérature italienne contemporaine à suivre de près.




2. Erri De Luca, Histoire d’Irène. Gallimard, 2015.

// Jean Kattus


Irène est une très jeune femme qui, toutes les nuits, va nager en pleine mer avec les dauphins. Elle les libère d’ailleurs parfois des filets de pêche qui les ont emprisonnés. Elle a été abandonnée sur une petite ile grecque alors qu’elle était enfant, recueillie d’abord par le pope, puis rejetée par la communauté à la mort de celui-ci. Elle vit seule, parce qu’on la trouve étrange. Et parce qu’elle est enceinte et qu’on ne sait pas de qui. Sur la plage, entre les rochers caressés par les flots, seul un homme âgé qui vit là, un étranger lui aussi, parvient à établir un contact avec elle. Parce qu’il écoute, qu’il ne juge pas.

Éminemment sensible, le récit décrit avec légèreté et poésie le lien qui peut se créer entre deux personnes, l’une pleine de la vigueur et des idéaux de la jeunesse, l’autre empreinte de l’expérience apportée par les années et la bienveillance d’un regard intelligent et respectueux. Tout en évoquant, dans une sorte d’arrière-fond brumeux, peu perceptible sous le soleil méditerranéen mais sournoisement présent, les questions qui agitent la jeunesse du monde actuel.



3. Valentine Goby, Le palmier. Actes Sud, 2025.

//Jean Kattus


Une enfant d’environ sept ans. Elle vit dans le Sud de la France, à Grasse. Senteurs, parfums et effluves rythment sa vie, à travers ce que son papa lui apprend de son métier : rechercher les matières premières qui seront transformées en parfums à l’usine. Elle aime le monde des plantes et des odeurs, et les mots qui en parlent. Elle a une maman aimante, un grand frère, une petite sœur, et un grand jardin dans lequel trône un magnifique palmier. Mais celui-ci dépérit, il faut donc se résoudre à l’élaguer. L’opération révèle alors une maladie hélas fatale pour lui. Cette nouvelle affecte fortement la petite fille, au-delà de ce qui est raisonnable… Que lui arrive-t-il ?

Un magnifique récit sur les ressentis des enfants que les adultes ont progressivement oubliés, qu’ils n’arrivent plus à comprendre. Un portrait du monde intérieur d’une petite fille qui construit peu à peu son langage, ses connaissances, qui apprend à maitriser ses émotions, à surmonter ses peurs, à trouver les mots pour dire, à situer ses propres balises. Un régal d’écriture — l’intrigue est rigoureusement construite — et d’analyse de la psychologie enfantine, toute en nuances.


4. Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Je voulais vivre. Grasset, 2025.

// Jean-François Pondant


Par une nuit glaciale, le père Lamandre recueille une fillette de six ans venue frapper avec insistance à sa porte. L’enfant aux yeux admirables tremble de froid et de faim. Elle a les pieds en sang dans ses souliers à boucles d’argent, mais refuse de répondre aux questions qui lui sont posées. Le vieux prêtre ne saura que son prénom : Anne. Vingt ans plus tard, Anne est devenue Lady Clarick. Richissime, courtisée, elle a l’oreille des grands et le cardinal de Richelieu ne jure que par elle. Pourtant, dans l’ombre, quatre hommes connaissent son vrai visage et sont prêts à tout pour la punir de ses forfaits. Manipulatrice sans foi ni loi, intrigante, traitresse, empoisonneuse, cette criminelle au visage angélique a traversé les siècles et la littérature : elle se nomme Milady.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre a jugé qu’il était temps de rendre justice à ce personnage de fiction afin de rencontrer la femme derrière la légende. A partir de indices semés par Dumas dans Les Trois Mousquetaires, vie est rendue à Milady le temps de cet admirable roman où l’auteure suggère que la réalité est plus complexe, plus subtile, que celle décrite par Dumas : la figure diabolique est ici une survivante luttant contre un destin implacable. Sans nier sa noirceur, le roman en révèle les causes et met en lumière une femme broyée par les carcans sociaux de son temps.

Loin de trahir l’œuvre originelle, ce roman palpitant et audacieux, prix Renaudot 2025, en approfondit la lecture en brossant le magnifique portrait d’une femme libre qui, dans une époque où trop d’hommes voudraient la contraindre et la posséder, se bat pour son pays, pour son idéal et pour sa liberté.


5. Chris Whitaker, Duchess. Sonatine, 2022.

// Jean-François Pondant


« Depuis quand tu veux être comme les autres ? Tu es une hors-la-loi. » Duchess a 13 ans, pas de père, et une mère à la dérive. Dans les rues de Cape Haven, petite ville côtière de Californie, elle ne souffre ni pitié ni compromis. Face à un monde d’adultes défaillants, elle relève la tête et fait front, tout en veillant sur son petit frère, Robin. Mais Vincent King, le responsable du naufrage de sa mère, vient de sortir de prison. Et son retour à Cape Haven ravive les tumultes du passé. Quand cette menace se précise, Duchess n’a plus le choix : il va lui falloir engager la lutte pour sauver ce qui peut l’être, et protéger les siens.

Cette histoire bouleversante et émouvante m’a complètement chamboulé. Ce roman noir, aux allures de polar, lève progressivement le voile sur de nombreux secrets et drames qui ont frappé la petite communauté de Cape Haven en général et la famille de la pauvre Duchess en particulier. Outre une enquête policière qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin, l’auteur livre une incroyable galerie de personnages hauts en couleur et terriblement attachants. Parmi eux, la sombre, et pourtant terriblement lumineuse, héroïne, Duchess, véritable écorchée vive et « hors-la-loi », comme elle aime le répéter.

Ce roman, bien que tragique, laisse percevoir de magnifiques lueurs de bonté, d'amour, de dévouement, de force, de générosité et de profonde humanité. Chris Whitaker, par sa plume riche et sensible, nous plonge dans un roman poignant, déchirant et mémorable... Un très gros coup de cœur !



6. Michaël Escoffier et Kris Di Giacomo, Encore un peu. Editions D’eux, 2024.

// Philippe Cheyrels



Sélectionné par le comité de l’association Tatoulu1 dans la catégorie jaune (5-6 ans), édité par la maison d’édition québécoise de livres pour enfants D’eux et écrit par Michaël Escoffier, sans oublier les douces illustrations de Kris Di Giacomo, cet album ne pouvait être qu’une réussite.

« Dans la maison d’Amir, il y a une porte fermée à clé. Une salle interdite qui lui sera ouverte que lorsqu’il sera plus grand que le nain de jardin. Alors, chaque jour il s’encourage, travaille fort pour gagner quelques centimètres, mais la statuette, aussi imperturbable que rigide, le dépasse toujours. En digne petit garçon sage, mais curieux et tenace, il profite de l’absence de ses parents pour fouiller la pièce secrète. »2

L’album questionne le lecteur sur les thèmes suivants : l’envie de grandir, la curiosité et l’attrait de l’interdit. Mais aussi sur le mensonge déguisé qui est perpétré par les parents… Il peut également déboucher sur un projet de lecture-écriture en proposant aux élèves de deviner ce qui se cache derrière cette fameuse porte. Un chute aussi inattendue qu'humoristique ! Une petite pépite à découvrir au plus vite. 



7. Laurine Roux, Trois fois la colère. Les éditions du Sonneur, 2025

// Pierre-Yves Duchâteau


Ce roman, je l’ai découvert au B3, parmi les nouveautés mises en exergue dans un recoin particulier de la bibliothèque. Et depuis longtemps un texte ne m’a autant tenu en haleine. Le récit s’ouvre sur le procès de Miou, adolescente coupable d’un crime dont les longs prolégomènes nous seront rapportés par un chroniqueur contemporain des faits. C’est donc dans une langue aux allures délicatement médiévales — nous sommes à l’époque des croisades — que nous apprenons l’origine du crime : la naissance, au fond d’une forêt profonde sise au creux des Alpes, de trois « petiots » qui seront séparés les uns des autres par les sombres manigances de leur accoucheuse, pour complaire à la « seigneuresse » du coin, laquelle ne peut enfanter… Des révélations suivront, pour instruire le procès de Miou, sur l’ascendance de ces petits et le destin de chacun d’eux.

Les personnages sont habilement croqués, les évènements s’enchainent à un rythme soutenu et les femmes ont la part belle dans un monde présenté comme brutal. Les quelques invraisemblances (selon moi) ne nuisent nullement au plaisir de la lecture !


8. Laurine Roux, L’autre moitié du monde. Folio, 2023

// Pierre-Yves Duchâteau


Dans le delta de l'Èbre, Toya, petite fille sauvage, grandit dans une Espagne qui, à l’aube de la guerre civile de 36, est encore dominée par des propriétaires omnipotents et peu soucieux du sort des paysans qui cultivent leurs terres.

Le lecteur a tout intérêt à enchainer les deux romans de Laurine Roux ci-suggérés, car les contenus et les constructions s'avèrent similaires, elles incitent à la comparaison. Loin de susciter un effet de redondance rébarbatif, ces similitudes nourrissent notre appétence pour chacun de ces ouvrages et augmentent de ce fait notre enthousiasme littéraire.

Toya comme Miou sont deux incarnations d’un même archétype, « déposées » dans des époques éloignées l’une de l’autre, toutes deux marquées par des brutalités sociales insupportables.



9. Guillaume Guéraud et Henri Meunier, La face cachée du prince charmant. Rouergue, 2019
    Guillaume Guéraud et Henri Meunier, La princesse rebelle se dévoile. Rouergue, 2021

//Sylvie Bougelet



Vous cherchez des albums qui présentent une autre facette de personnages souvent présents dans certains textes narratifs ? Lisez ces deux albums où ces personnages sont présentés avec les stéréotypes qui leur sont fréquemment associés sur une page et très différemment sur la suivante où le texte de la précédente est caviardé3. Les phrases de la page précédente y sont reprises, mais des mots y sont barrés, ce qui transforme complètement l'image des personnages. Les illustrations également sont métamorphosées : elles passent de dessins colorés à d'autres plus sombres, sur fond noir. Le prince n'est plus charmant du tout, il est peureux et pleurnichard, il dit des gros mots, il est oisif et il est présenté comme un individu « juste comme toi et moi ». Quant à elle, la princesse veut vivre des aventures, elle fait des bêtises, elle ment à ses parents, elle se moque des garçons qui veulent la séduire, elle est amoureuse d'un pauvre berger et elle « prend sa vie en main parce qu'elle est libre comme le vent ». 

Ces albums construits de manière ingénieuse et originale peuvent faire sourire le lecteur à plus d'une reprise et l'amènent à réfléchir aux stéréotypes qu'il associe habituellement à certains personnages des histoires.


10. Bibhouti Bhoushan Banerji, De la Forêt. Editions Zulma, 2020

// Caroline Martin





Bibhouti Bhoushan Banerji est une figure majeure de la littérature bengalie, encore bien mal connue en Occident. Son œuvre la plus marquante, considérée comme un chef-d’œuvre en Inde, La complainte du sentier, figure d’ailleurs au programme d’études secondaires de la langue bengalie en Inde.

De la Forêt est un roman d’introspection et de dédicace à la nature. Profondément humaniste et naturaliste, cette fresque typiquement indienne nous introduit aux réalités de l’Inde profonde, où l’homme, soumis à la pauvreté, à la loi des castes et aux lois de la nature, est amené à survivre dans la détermination de son destin. Par ses descriptions des couleurs et des odeurs de la nature écrasante, omniprésente, par les réflexions de son héros qui apprivoise la solitude rurale (et on ne pourra s’empêcher d’y trouver un arrière-gout du Loup des Steppes d’Hermann Hesse), Banerij écrit ligne après ligne une ode à l’Inde, sans complaisance et en toute simplicité. C’est bien là l’étonnement majeur que suscite cette lecture : la langue déroule ses visions sans jugement et sans conditionnement ; le lecteur est immergé dans un récit méditatif où le héros, Satya, n’est jamais dupe de la fragilité de sa condition humaine et de l’environnement dans lequel il évolue. A la fois découvrant et agissant, mu par des valeurs morales puissantes et saines, il s’observe évoluant dans un terrain inconnu qui finira par l’adopter.

Satya quitte Calcutta après ses études de droit car il est chômage. Un ami lui propose de se rendre dans le district de Purnea, au Bihar, pour devenir le nouveau manager de la forêt de 400 hectares de son père et installer une série de métayers, qui gèrent les récoltes. Heureux mais anxieux, Satya découvre le nouveau décor de sa vie :

(…) deux semaines plus tard, je descendais du train avec mes bagages dans une petite gare des chemins de fer. C’était une fin d’après-midi hivernale. De grandes ombres descendaient sur la plaine ; au loin, au-dessus de la cime des arbres, une brume s’était formée. De part et d’autre de la voie de chemin de fer s’étendaient des champs de petits pois. Le parfum doux de leurs feuilles vertes, portés par la brise fraîche du soir, me fit penser étrangement que ma nouvelle vie serait très solitaire, aussi solitaire que cette soirée d’hiver, aussi solitaire que la vaste plaine et les lignes sombres de la forêt au loin. (pp.17-18)

Satya est un jeune homme éduqué et lucide sur l’organisation socio-politique de son pays. Avec loyauté et discrétion, il apprend la gestion d’un territoire d’une immensité à peine pensable et s’émeut de l’état de survie de tant de gens des campagnes qui le sollicitent pour obtenir un peu de nourriture, quelques roupies. Son regard transperce le décor et les auras : il discerne avec acuité les gens de bien des gens de mal, ce qui le mène à déjouer les mauvais tours et les jeux de pouvoir que ses rencontres lui offrent lors de la gestion de la forêt. Le texte a tout d’un récit initiatique.

Ce roman contemplatif, qui suit le cheminement d’un homme vers le dépouillement des artifices proprement citadins, présente un intérêt particulier pour les Occidentaux car il met en scène la philosophie indienne, une des plus anciennes sagesses du monde, par les actes quotidiens et les décisions éclairées de Satya. Satya est un maitre exemplaire, qui sert la cause du juste : il se sent lié à chacun et chacune qui se présente à lui, et plus encore, à la nature qui les contient tous. Il lui faudra du temps pour apprivoiser cet espace grandiloquent et se débarrasser de l’angoisse d’être soumis aux caprices de la mousson, des mauvaises récoltes, de la sécheresse, des rapines. Il apprend à repousser la peur et l’erreur. Peu à peu, Satya perçoit la poésie folle de cette nature qui l’accueille et l’adopte :

Des hérons avaient élu domicile sur la plus haute branche du vieux ficus et, de loin, on eût dit des bouquets de fleurs blanches épanouies. L’endroit est très ombragé, solitaire et, de là, on ne voit que la ronde des collines bleues qui se tiennent par la main comme de jeunes enfants. En parlant avec Jaypal, à l’ombre du grand ficus, j’avais l’impression que le mode de vie apaisé de mon interlocuteur, son calme, son détachement, l’absence de tout souci, et la paix que dégageait cet immense arbre, pénétrait étrangement en moi, doucement mais sûrement. (…) Mes yeux s’ouvraient à ce que je n’avais jamais vu, aux idées auxquelles je n’avais jamais pensé bourgeonnaient dans mon esprit. (…) Je n’avais plus qu’une idée en tête — retourner à ma jungle, me replonger dans sa solitude, dans son merveilleux clair de lune, son coucher de soleil, ses immenses nuages d’orages printaniers et ses nuits d’été remplies d’étoiles. (pp. 66-67)

De la Forêt est un roman de renversement : l’homme ne domine plus la nature mais lui est soumis, dans la plus grande commisération. Roman simple et qui retourne à l’essentiel, criant de modernité, mêlant sentiment de solitude et défense de la nature : à offrir aux amoureux de la nature et de la philosophie.

11. Sophie Vissière, Le Petit livre des grandes choses. hélium / Actes Sud, 2022

// Anne-Catherine Werner

Dans ce très joli album de petit format, sorte d'imagier 2.0, Sophie Vissière, auteure et illustratrice toulousaine ayant récemment posé ses valises à Liège le temps d’une résidence artistique aux ATI4, propose au lecteur de regarder le monde qui l’entoure à hauteur d’enfant. Plusieurs objets du quotidien (une botte, un arbre, une table, un module de plaine de jeux, etc.) sont ainsi représentés en plongée ou en contreplongée, obligeant le jeune (ou moins jeune) lecteur à prendre le temps d’observer attentivement l’image pour identifier ce dont il est question. Chaque image se déploie sur une double page. Sur la double page suivante, un bref récit (souvent explicite), accompagné d’une représentation plus frontale de l’objet et du personnage à travers les yeux duquel celui-ci était montré à la page précédente, décrit la scène. Il permet dès lors au lecteur de vérifier ses hypothèses.

La technique artistique utilisée est aussi intéressante. Pour composer ses images, Sophie Vissière utilise pochoirs, gouache et crayons de couleur. Le résultat est doux et coloré. Ce petit livre, mis ou non en relation avec Le Grand livre des petites choses (qui adopte la même technique artistique, mais ressemble quant à lui davantage à un « Cherche et trouve »), donne bien sûr de nombreuses idées d'exploitation tant en éducation culturelle et artistique qu'en français. Plus largement, cet album promet de beaux moments de lecture et de partage avec les enfants et constitue un chouette objet pour entrer dans la lecture d’images et se familiariser avec les angles de prise de vue !




12. Dario Ferrari, La récréation est finie, Éditions du sous-sol, 2025.

// Alessandro Greco




La récréation est finie, de Dario Ferrari (traduit de l’italien par Vincent Raynaud), est un roman à glisser entre les mains de ceux qui connaissent  — ou redoutent — les couloirs de l’université. On y suit Marcello, trentenaire toscan, de Viareggio, un peu à la dérive. Décidé à ne pas finir comme son père derrière le comptoir du bar familial, il remporte presque par hasard un concours de doctorat en lettres et se retrouve plongé dans un département où les intrigues, les égos et les discours savants occupent plus de place que la recherche elle-même.

Chargé d’enquêter sur Tito Sella, ex-terroriste des années de plomb devenu écrivain fantôme, auteur supposé d’une autobiographie perdue, il pense simplement étudier la vie d’un autre, mais en réalité c’est la sienne qu’il remet en question. Dans ce véritable « roman dans le roman », les archives de Sella finissent par contaminer sa propre existence.

Pour un lecteur ou une lectrice qui aime les comédies sociales intelligentes, les romans qui parlent de précarité, d’engagement et de peur de choisir sans jamais devenir pesants, c’est un très bon conseil de lecture : un livre où l’on se reconnait plus qu’on ne l’avoue. Une belle porte d’entrée, aussi, vers cette littérature italienne contemporaine, capable de mêler humour, lucidité et conscience sociale.





1. Voir à ce propos notre article : 

2. https://editionsdeux.com 

3. Lire à ce propos notre article précédent : https://dupala.be/article.php?...

4.Le travail réalisé durant cette résidence est visible aux ateliers du RAVI ces 12, 13 et 14 décembre : https://www.ravi-liege.eu/cate...

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