Le caviardage, quelques pistes pour l’exploiter en classe

Amener des apprenants à s'approprier un texte en supprimant des mots de celui-ci : quels peuvent donc être les enjeux de cette activité ?

DÉFINITION :

Le caviardage, vous en avez peut-être entendu parler, mais avez-vous déjà réfléchi à son potentiel didactique ? C’est ce qui vous est proposé dans cet article. 

En voici quelques exemples. 

 


Source1


En quoi consiste le caviardage ? Comment mener cette activité avec des élèves ?

En lisant le mot caviardage, on peut penser au caviar, cette préparation culinaire noire servie en général aux grandes occasions. Cependant, il s’agit ici d’un autre sens du mot caviar qui est également un terme journalistique désignant, en Russie en particulier, « une tache noire dont l'autorité se sert pour dérober à l'œil du lecteur certaines lignes du journal »2. Si, au départ, caviarder signifie donc « supprimer en biffant à l'encre noire les passages d'un écrit interdits par la censure », par extension, il s’agit de « supprimer spontanément certains passages d'un texte »3. C’est cette activité qui est proposée aux élèves dans ce cas-ci.            

 

Source4

 

ACTIVITÉ D'ÉCRITURE :

La consigne d’une activité d’écriture permettant d’expérimenter le caviardage pourrait être la suivante :

Choisis un texte court, qui peut être un texte célèbre (un poème, une fable, une chanson, par exemple), et supprime des mots de celui-ci :
> soit en veillant à conserver le sens du texte original (cf. la fable de La Fontaine caviardée annexée à cet article) ;
> soit (dans le cas d’une variante de cette activité) en élaborant un autre texte dont le sens sera différent de celui du texte de départ (cf. Le dormeur du val caviardé ci-dessus).

Ceux qui le souhaitent pourront socialiser leur écrit (le lire à voix haute par exemple après une préparation de cette oralisation), ce qui permettra une comparaison des productions réalisées au départ d’un même texte (si plusieurs élèves ont caviardé un même document) et des différents procédés employés pour réduire le texte de départ. Par ailleurs, la mise en évidence des qualités des écrits par les auditeurs pourra encourager les scripteurs à socialiser leur texte et, on l’espère, à continuer à écrire.


QUELS OBJECTIFS ?

Pourquoi amener des élèves à caviarder des textes ?

1. Ce jeu d’écriture propose une contrainte libératrice (dans ce cas-ci, supprimer des mots d’un texte qui constituera le point de départ de la production de l’apprenant). Elle peut faciliter, libérer l’écriture et l’expression de chacun (en particulier s’il s’agit de la variante de l’activité qui propose de rédiger un texte personnel dont le sens sera différent de celui du texte original). Dans le cas où des élèves ne sont pas à l’aise avec l’écriture, il peut être une occasion de se réconcilier avec celle-ci et, pour tous, de développer sa créativité, de prendre du plaisir en écrivant grâce à un support qui facilite la production du texte. L’enjeu de ce type d’activités ludiques est donc de développer l’appétence pour l’écriture.

À ce propos, dans la fiche 4 du programme de français du premier degré commun, il est question d' « écrire des textes littéraires pour se dire, imaginer, créer », ce qui peut être une occasion « pour certains élèves « fâchés » avec l’écriture d’en découvrir un autre visage ». Par ailleurs, «réécrire un texte en le modifiant […], c’est s’inscrire dans une histoire, dans un patrimoine collectif ouvert à la créativité du sujet. » En outre, « sur le plan pédagogique, la réécriture de textes existants réduit l’angoisse de la page blanche et permet une appropriation des textes vus en lecture»5.


2. Le caviardage peut également être l’occasion de développer les compétences syntaxiques des élèves. En effet, l’observation des textes caviardés et l’analyse des procédés employés pour réduire le texte permettent de mettre en évidence des moyens de raccourcir la longueur des phrases et d’aller à l’essentiel, ce qui constitue une difficulté pour certains apprenants. Parmi ceux employés dans les deux textes caviardés ci-dessus, on peut citer la suppression de mots ou de groupes (notamment des expansions du nom) non indispensables à la compréhension du sens, d’éléments précisant les circonstances des évènements, décrivant le cadre de ceux-ci ou les personnages ou encore nuançant certains propos ainsi que la sélection des mots-clés du texte (ceux qui sont indispensables pour le comprendre, qui ne peuvent donc pas être caviardés). 

L’analyse des textes caviardés peut également être l’occasion de mettre en évidence les structures de phrases de base (dont la suivante, très fréquente : «sujet + verbe + complément ») ainsi que la distinction entre les fonctions verbales (qui s’exercent par l’intermédiaire d’un verbe: sujet, compléments du verbe, attribut,…) et les fonctions non verbales (épithète, complément du nom,…), ces dernières étant souvent nombreuses à être supprimées dans un texte caviardé.

Après l’observation de ces procédés employés dans les textes caviardés, les élèves pourront les exploiter pour s’entrainer à améliorer leurs productions.
- Certains ont tendance à formuler des phrases trop longues : ces procédés les aideront à réduire leur longueur, à s’exprimer avec plus de concision (en se servant notamment des structures des phrases de base).
- Au contraire, d’autres ont tendance à manquer de précision, à s’exprimer parfois de manière trop succincte : ces procédés leur permettront d’amplifier leurs phrases avec des précisions, des nuances qui rendent mieux compte de leurs idées (par exemple, des descriptions plus détaillées qui permettent de mieux se représenter le personnage ou le lieu décrit). L’ajout de groupes exerçant une fonction non verbale sera une des pistes à explorer.
L’objectif sera donc d’aider chacun à améliorer ses écrits, grâce à l’explicitation de procédés permettant d’améliorer la formulation de ses phrases.


3. Dans le cadre d’une séquence où il s’agit d’apprendre à mieux lire des textes en vue de les résumer, le caviardage pourrait également être envisagé afin d’amener les élèves à  repérer les éléments essentiels d’un document. Dans ce cas, la consigne de l’activité pourrait se limiter à leur demander de barrer les mots ou groupes qui ne sont pas essentiels à la compréhension des idées ou des évènements principaux du texte (informatif ou narratif). Après une comparaison des éléments qui n’ont pas été barrés (ceux qui semblent donc essentiels à la compréhension du texte), si l’on souhaite également proposer aux élèves un entrainement à l’écriture d’un résumé, le texte ainsi caviardé pourrait devenir un support qui facilite celle-ci.


4. Le caviardage est, on vient de le voir, une occasion de développer les compétences des élèves en tant que scripteurs (concernant la syntaxe ou la rédaction d’un résumé). Il pourrait également les aider à devenir de meilleurs lecteurs

En effet, l’activité suivante pourrait être envisagée : 

Lis cet extrait de texte caviardé en cherchant à te construire une représentation mentale du personnage, lieu ou évènement dont il est question, puis dessine l’image que tu as en tête après cette première lecture. Réalise les mêmes opérations après la lecture de l’extrait de texte de départ (sans les éléments barrés). Quelles conclusions peux-tu tirer de la comparaison des deux dessins à propos des effets de ces mots du texte qui peuvent être caviardés, qui peuvent sembler non indispensables au lecteur ?

L’objectif de cette activité est de mettre en évidence l’importance de ces mots caviardés (notamment certaines fonctions non verbales, certains compléments précisant les circonstances des évènements,…) pour « se construire une représentation mentale »6, processus de lecture à expliciter étant donné qu'il aidera les élèves à mieux lire.


5. Enfin, le caviardage donne l’occasion aux élèves de s’approprier un texte qui peut être celui d’un écrivain connu (par exemple, une fable de LA FONTAINE ou un poème de RIMBAUD dans les exemples ci-dessus). Ce jeu d’écriture permet donc de découvrir certains textes qui peuvent enrichir la culture des élèves : leur lecture préalable à l’écriture peut être l’occasion de s’intéresser à leurs auteurs et à leurs œuvres qui font partie du patrimoine littéraire dans les deux cas cités. Par ailleurs, il désacralise la littérature puisque les élèves sont invités à transformer un texte célèbre pour en rédiger un personnel. Ils sont donc amenés à expérimenter partiellement le travail de l’écrivain qui réfléchit aux mots qu’il va employer ou non, qui retravaille son texte notamment en ajoutant des mots (pour préciser une description par exemple) ou en en supprimant (pour être plus concis quand il se rend compte que certains mots sont superflus).

 

 Source 7


 Source8


Source9


Ces quelques pistes ont permis de mettre en évidence plusieurs atouts didactiques de ce jeu d’écriture qu’est le caviardage. Il est à parier qu’en l’expérimentant avec une classe, il devrait en révéler encore d’autres. 


Sylvie BOUGELET



1
LANDROIT H. (pour le Service de la langue française), 100 jeux de langue à l’école et ailleurs, Bruxelles, Henry Ingberg, 2004, p.100.

2 http://www.cnrtl.fr/definition/caviar.   

3 http://www.cnrtl.fr/definition/caviarder.   

4  BERNARD H. et J-F. MARTIN, Les métamorphoses d'Aladin ou comment il fut passé au caviar, Editions Michalon, 2006

 FESeC,Programme de français du 1er degré commun (D/2005/7362/3/13), p.43.

6 Ce processus est évoqué notamment dans le « zoom sur les processus de lecture » du programme de français des 2e et 3e degrés de l’enseignement technique de qualification et professionnel (FESeC- D/2014/7362/3/19 - Français - D2D3 P et TQ, p. 90) et dans celui du 2e degré de transition (FESeC– Français – D2GT – D/2018/7362/3/09, p. 64).

CAUSSE R., BEIGEL C., Mon atelier d'écriture et mon atelier de poésie : Des jeux pour écrire, Paris, Albin Michel jeunesse, 2011.

http://academie23.blogspot.com

http://www2.ac-lyon.fr/etab/ien/rhone/oullins/IMG/pdf/caviardage.pdf

Auteur

Sylvie Bougelet

Maitre-assistante en français et didactique du français. Intérêt particulier pour la didactique de l'écriture et les activités sollicitant la créativité.

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